25 juin 2012

Mémoires de Porc-épic - Alain Mabanckou


Le conte philosophique Mémoires de Porc-épic, nous emporte dans le monde macabre du "double nuisible" d'un jeune africain. Selon une légende africaine, chaque Homme est doté d'un double animal, pour la plupart, d'un "double pacifique". Kibandi , initié malgré lui par son père, a hérité d'un Porc-épic, un "double nuisible" qui va changer le cours de son existence.

Au pied du baobab sous lequel il s'est réfugié, ce Porc-épic de quarante-deux ans , pas comme les autres, va nous raconter l'histoire de son maître, leur histoire . Au delà du fait que ce soit un animal qui parle, le lecteur est surpris , voire mal à l'aise face au regard sévère qu'il porte sur les Hommes.  On réalise rapidement que cet animal nous connaît bien . Après tout, il a vécu avec l'un des nôtres pendant très longtemps.

Les êtres humains n'ont pas la cote auprès des bêtes sauvages , c'est donc plein d'appréhension  qu'il répond à l'appel de son destin qui est celui de servir les hommes. Au départ, la "cohabitation" se passe sans trop de difficultés. Il se surprend  même à penser que les êtres humains ne sont pas si terrible qu'on le dit, qu'il est  peut-être  même un peu mieux parmi ces derniers, qui suscitent sa curiosité, que parmi son clan de Porc-épic avec leur chef méprisant et moralisateur.
C'est, à l'aide de ses "redoutables piquants", qu'il exécutera les désirs macabres de son maître sans trop se poser de questions jusqu'au jour où une folie meurtrière s'empare de ce dernier. Kibandi lui fait alors découvrir les travers de l'Homme : la convoitise, la jalousie, le mensonge, le désir de vengeance, la cruauté... Désormais c'est avec un pincement au cœur qu'il exécute ces meurtres "illégitimes". Il sait que son maître va trop loin, qu'il les pousse à leur perte car leurs destins sont intimement liés, mais que peut-il y faire ? Il se doit de lui obéir. Il est avant tout l'esclave de Kibandi même s'il est aussi, paradoxalement, son arme. Une arme dont Kibandi ne soupçonnera pas les limites...






Mémoires de Porc-épic est écrit d'une seule traite, avec des virgules comme unique point de ponctuation,  ce qui donne au récit une cadence rythmé et rapide. Ce style , peu conventionnel, déstabilisant au départ fini par donner tout son sens au récit. On ressent la confusion, l'inquiétude, l'incompréhension et l'envie du Porc-épic de témoigner au plus vite  pour expier ses péchés afin  de pouvoir passer à autre chose. 
Bien qu'étant surprenante, car nous sommes plongés au coeur de l'Afrique et de son mysticisme ; c'est une histoire agréable , envoutante;  où les travers de l'homme sont dénoncés à travers un animal a qui on donne la parole . Durant le récit , la prise de conscience et la culpabilité du Porc-épic s'oppose à l'indifférence et à la cruauté de Kibandi. Les rôles semblent alors inversés car l'animal est doté de sentiments "humains" tandis que Kibandi, lui, se transforme en véritable bête.

Quelques mots sur l'auteur : Alain Mabanckou a remporté le prix Renaudot en 2006 pour ce roman. Il est aujourd'hui professeur de littérature francophone à UCLA où il dispense ses cours en français ! 

15 juin 2012

Mémoires I et II - Amadou Hampâté Bâ


Bien plus qu'une simple autobiographie, Les mémoires d'Amadou Hampâté Bâ  regorgent de richesses  historiques, culturelles, humaines et spirituelles.  Se comportant en véritable héritier de la tradition orale, l'auteur transcende son moi intérieur, certes riche mais unique, pour relater avec justesse et précision la multitude d'évènements dont il a été témoin. Au côté de son enfance pleine d'insouciance , rythmée par les jeux et l'apprentissage des traditions peuls, il y a les réalités frappantes d'une Afrique en pleine mutation, désarticulée par l'établissement de l'administration coloniale. Celle-ci vient s'installer dans ce décor intact transformant radicalement les coutumes.
Ses mémoires se déclinent en deux tomes : Amkoullel l'enfant peul et Oui mon commandant.

Amkoullel, l'enfant peul
Dans le premier tome, nous plongeons dans l'enfance de l'auteur dans un Mali qui semble encore "authentique" , où les habitudes millénaires, le respect des coutumes et traditions semble encore de mise. Nous en apprenons également sur son ascendance royale tant du côté de son père , que de son "deuxième père" second mari de sa mère "Kadidja". Cette dernière, noble de par son caractère vertueux, peu encline au découragement et aux lamentations malgré une vie semé d'embuches ne laissera pas le lecteur indifférent.  Toutefois son entrée dans l'école coranique puis celle à l'"école des blancs" nous rappellent que l'Afrique connait alors des changements irréversibles qui la transformeront ,elle et ses futurs générations, pour toujours. L'auteur "Amkoullel" tout en étant attaché à ses traditions semblent alors ,malgré lui , devenir à la fois un témoin et un fruit de ses changements... Nous le suivrons alors dans les nombreux déplacements et évènements qu'il connaitra tout au long de ses 20 premières années.

Oui mon commandant!
Ici, Amadou Hampâté Bâ nous raconte sa vie d'adulte en tant que travailleur de l'administration coloniale. Comme pour marquer le passage de sa vie d'enfant à celle d'adulte, le destin ( ou plutôt le colon)l'éloigne de son Mali Natal. Sa vie sera  alors un  périple incessant. Ses nombreux déplacements l'emmèneront à la rencontre des "blancs blancs" "tout-puissants" et si imprévisible. Il rencontrera également de nouveaux peuples  et leurs traditions orales respectives , on assistera à son amour grandissant pour ces dernières qu'il commencera à retranscrire dans un cahier au fil de ses rencontres. Mais on sera également les témoins privilégiés de son périple intérieur, car désormais converti à l'Islam et en particulier à une branche du soufisme: la tidjanya; "Amkoullel" devient grâce aux conseils de son maître  Tierno Bokar, un homme plein de sagesse. Dès lors, son comportement exemplaire et la justesse  dont il fera preuve , dans ses jugements, en marqueront plus d'un qu'il soit "blanc blanc" , "noir noir" ou lecteur de son histoire au XXIè siècle.




J'ai adoré les deux tomes que  j'ai dévoré en quelques jours à peine et je dois même avouer que j'ai envié la vie d'Amadou Hampâté Bâ. Tout au long du récit, il décrit les personnage avec beaucoup de tendresse, les évènements avec de la justesse et du recul, les lieux avec clarté et précision, le tout avec beaucoup d'humour. On a du mal à s'arrêter, on est emporté par les nombreuses aventures et rencontres du petit garçon puis de l'homme et ce d'autant plus que le livre est très bien écrit.

Je considère ses Mémoires comme une véritable contribution à la connaissance de la culture et de l'histoire du continent car elles sont riches d'informations sur : les relations entre communautés ( notamment entre les peuls et les toucouleurs), l'histoire de l'empire peul du Macina, le parcours scolaire, associatif et initiatique des enfants de l'époque; la "solidarité africaine", la polygamie, l'organisation coloniale  et son impact sur les modes d'organisation préexistants , les tribus, la première guerre mondiale et ces nombreuses conséquences comme  la "rupture dans  la transmission des savoirs issus de la tradition orale " , véritable catastrophe pour le continent. Le voyage a également une grande place au sein de ses livre car ,  AHB aura, au cours de sa vie, parcouru une grande partie du continent ce qui lui donnera la chance d'aller à la rencontre de nombreux autres peuples dont il racontera les coutumes, les traditions et l'histoire pour notre plus grand bonheur.