25 févr. 2015

La légende de l'Abyssa - Claire Porquet

En l’espace de quelques jours seulement après le début du mois de janvier, j’ai réussi à faire une entorse à une de mes résolutions : ne plus acheter de nouveaux livres tant que je n’ai pas lu ceux que j’ai déjà et que je contemple…
Pour me donner bonne conscience quand je me suis offert celui-ci, je me suis efforcée de me rappeler que lors de mes recherches à Grand-Bassam, quelques rares personnes l’avaient mentionné durant des interviews…
C’était donc pour la bonne cause que je cédais, pour la recherche… Et je n’ai pas regretté bien que mon avis soit partagé…

La part de l’auteure pour sa communauté

Dès les premières pages, le ton est donné. La préface est signée « Sa Majesté Awoulae Amon Tanoe roi des N’zima Kotoko de Côte d’Ivoire, Grand-Bassam » p.10 puis dans son avant-propos l’auteure nous parle de l’urgence d’un retour aux sources afin de ralentir l’avènement de nouvelles échelles de valeurs qui semblent nous pousser à des comportements inquiétants. Toujours selon l’auteure la fête de l’Abissa qui est un « festival de réjouissances populaires à caractères mystiques »p12, permet aux peuples N’Zima Kotoko de faire la promotion de ses us et coutumes, et l’enracinement dans sa propre culture par de telles manifestations par exemple serait le « gage d’un meilleur apprentissage des valeurs occidentales ». Puis elle nous invite à apprécier les richesses de ce peuple dont elle nous parlera à travers son histoire.
J’ai donc, dès le début eu le sentiment que ce livre était en quelque sorte la contribution de l’auteure à une meilleure connaissance d’une importante tradition de son peuple et surtout à sa promotion.

Une histoire à visée pédagogique

Dans la légende de l’Abyssa, cette tradition N’zima nous est racontée sous deux formes : une épique et une autre plus ‘réelle’, descriptive, car les personnages principaux iront assister à la fête et l’auteure nous rapporte les évènements dont ils sont témoins.

Dans la forme épique, tante N’dèdè de Grand-Bassam est accueillie par sa sœur Akouba à Abidjan. À l’occasion de son arrivée, Gnakou Bilé, le mari d’Akouba invite les voisins pour une soirée spéciale durant laquelle ils écouteront la légende de l’Abyssa racontée par cette « agréable conteuse ». Kodjo et Echua les enfants de Bilé et Akouba attendent ce moment avec impatience. L’arrivée des invités est une véritable libération. Tout le monde s’installe et tante Akouba commence l’histoire.
Elle nous raconte donc le mythe de la naissance de l’Abissa. Toutefois cette version diffère un peu de ce que j’ai pu entendre durant mes recherches. L’auteure semble avoir ajouté de nombreux éléments à la légende pour tenir le jeune lecteur en haleine, mais surtout pour tenter d’expliquer et de comprendre d’où viennent certaines pratiques que l’on retrouve encore dans nos villages aujourd’hui.

Toutefois, certaines scènes décrites avec une remarquable précision semblent relever de la réalité. En les parcourant, pendant quelques secondes, je me suis revue à Bassam en train d’assister à ce type d’évènement. J’en ai déduit que l’auteure les avait sûrement vécues… Mais ce n’est pas le sujet.

Les chapitres ‘ le voyage à Grand-Bassam’ mais surtout la ‘conférence’ me font affirmer également avec certitude que l’auteure à assister à la conférence dont elle parle et ce d’autant plus que le professeur Agbroffi et Mr Louis Kouamé Abrima, sont des personnes qui existent bel et bien. 

Ainsi, nous quittons la fiction pour être dans un genre un peu plus journalistique. En effet, l’auteure détaillera le déroulement de la conférence à savoir, l’arrivée des invités, les propos tenus par le Pr Agbroffi et Monsieur Abrima. Cette partie me semble un peu rébarbative pour de jeunes enfants, car il s’agit d’une succession d’informations sur le peuple N’zima mises bout à bout, sans véritable structure ou ‘simplification’ pour maintenir l’intérêt des enfants...






Une allure de reportage

Enfin dans la dernière partie, l’Abissa nous est racontée sous sa dernière forme, ou devrai-je plutôt dire rapportée. En effet, tante N’dèdè s’est rendue à Bassam avec Kodjo et Echua. Ils retrouvent leurs cousins avec lesquelles ils vont assister pour la première fois à l’Abissa, durant une semaine entière. L’auteure nous racontera chacune des journées et leurs lots d’évènements, accompagné d’explications. Elle en profite pour rendre hommage à quelque membre de la communauté N’zima qu’elle semble connaître.

Dans cette partie, les enfants iront à la découverte de la ville elle-même. J’ai bien aimé le fait qu’au-delà de l’Abissa l’auteure nous parle brièvement des monuments et bâtiments de la ville. Je pense qu’il est important d’en parler pour que tout le monde puisse en apprendre davantage sur les différentes richesses et facettes de Grand-Bassam. Toutefois, la façon par laquelle l’auteure suscitera un intérêt pour la découverte des bâtiments chez les enfants m'a fortement déplu. 

Le dernier chapitre est de loin, le meilleur de tous. J’avais le sentiment d’être en train d’assister à la fête et les anecdotes rapportées m’ont rappelée quelques moments forts que j’ai moi-même vécu durant l’Abissa. 

Dans l’ensemble c’est un livre intéressant qui permettra aux enfants de découvrir une culture, une pratique actuelle et par la même occasion d'enrichir leur vocabulaire. Les illustrations qui émaillent le récit permettront à ceux qui n’ont jamais assisté à l’Abissa, d’avoir un petit aperçu des moments forts de la célébration.

Et pour ceux qui souhaitent en savoir davantage sur l'Abissa, voici un article publié sur ce blog à ce sujet : L'Abissa 2014


Claire Porquet, la légende de l'Abyssa
NEI/CEDA

3 févr. 2015

Debout-payé - Gauz


Une chose dont je suis certaine : après avoir lu ce bouquin, je ne regarderai certainement plus les vigiles de la même façon. Je me demanderai souvent si un Gauz se cache en eux. Ou pire vous me direz, je les ‘verrai’ peut-être un peu plus.

Dans Debout-payé, celui qui s’est rebaptisé Gauz nous parle d’Ossiri, vigile ivoirien vivant en France, plus précisément à Paris. À travers lui, c’est toute l’histoire de la profession, du processus de recrutement en passant par les ‘circuits’ d’embauche, le jargon ou encore son évolution qui nous sera racontée.


 Les vigiles, ce sont ces ‘invisibles’ qui sont pourtant partout. Ici, sous nos tropiques, à Abidjan notamment, ils sont souvent habillés en t-shirt jaune, estampillé du nom de la société de gardiennage qui les emploie. En tout cas, pour les plus visibles d’entre eux. On les aperçoit, le plus  souvent assis à l’entrée des entreprises qui les emploient. Lorsqu’une personne, un client ou un employé arrive, ils se lèvent pour leur ouvrir la porte. On les aperçoit également à travers les guérites des villas cossues de la ville, où  ils sont également assis la plupart du temps, voire couchés en train de somnoler jusqu’à ce qu’une sonnerie retentisse et qu’ils soient obligés de se lever péniblement pour vérifier l’identité de celui qui souhaite entrer.


 En France, à Paris, le métier de vigile est tout autre. On les retrouve principalement dans des magasins, les grands magasins surtout. La façon de se vêtir dépend de l'enseigne où on travaille, selon qu’elle soit huppée ou un peu moins. Et puis en France, bien souvent, les Africains qui se retrouvent à exercer ce type de métier le doivent à leur réseau, l'urgence de trouver rapidement ‘quelque chose’ pour (sur)vivre ou encore au problème d’équivalence que posent leurs diplômes obtenus à l’étranger. Et oui!

Mais une chose est certaine, les vigiles de France, à l’inverse de ceux d’ici, ont une chose en commun : ce sont des Debout-payé autrement dit ceux qui sont payés pour rester debout.

Ainsi, dans Debout-payé la ‘condition de vigile’ en France est dévoilée.




C’est à travers la vie d’Ossiri, jeune ivoirien instruit, avec une situation stable en Côte d’Ivoire qui décidera pourtant d’aller ‘se chercher’ en France que Gauz nous entrainera dans le quotidien de ces invisibles. Ossiri se liera d’amitié avec le jeune Kassoum, lui aussi ivoirien et sans papiers, tout droit sorti du Colosse de Treichville, un ghetto d’Abidjan. Ils se retrouveront à faire le même métier de vigile.


Les chapitres racontant la vie d’Ossiri, ponctués d’incroyables digressions, sont souvent suivis de chapitres d’interludes aux titres savoureux dans lesquelles l’auteur nous raconte des anecdotes, analyses, questionnements, résultats des nombreuses heures que l’auteur a lui-même passé debout, alors qu’il était vigile. Le récit change alors de rythme, de type de narration. J'avais du mal au début avec les premiers chapitres d’interludes, car j'avais hâte de ‘rencontrer’ les personnages, connaître leur histoire. Mais j'ai fini par m'habituer à ces petites interruptions dans la narration pour apprécier la répartie et l’humour de l’auteur. Rien ni personne n’est épargné. On rigole. On s’arrête. On relit pour s’assurer qu’il a vraiment écrit cela. On appelle un proche qui sera réceptif pour lui en lire un passage. Ces chapitres d’interludes s’y prêtaient particulièrement bien.


Grâce à Ossiri, on découvre aussi un autre Paris. Le Paris africain à travers les yeux de ses sans-papiers, ses ‘étudiants’, leurs revendications et l’évolution’ de leur situation depuis les années 1960. L’auteur revisite de ‘grands évènements’ à travers le prisme de ses ‘invisibles’ de France pour nous offrir une histoire selon leur perspective. On voit comment changements politiques, bouleversement des perceptions à la suite d’évènements retentissants sur l’ensemble de la planète peuvent affecter leur quotidien en créant entre autres un sentiment d’insécurité plus important et une grande fébrilité dans les milieux que fréquentent ces personnes.


Au-delà de son style truculent, son humour percutant, sa capacité à revisiter certains adages, je retiens également les nombreuses ‘ivoirisations’ du langage. Je me suis sentie proche de l’auteur, car je comprends ses expressions, ses termes, ce qu'il insinue et surtout saisir de ‘petites choses’ qui parlent vraiment aux ivoiriens. Je dois dire que retrouver de telles références dans ce roman particulièrement intéressant, ont rendu sa lecture encore plus agréable.


Il y a tellement de choses à dire encore sur l'histoire, les personnages notamment la mère d’Ossiri, une véritable afrocentriste et les interrogations importantes que ses propos peuvent induire chez le lecteur ou encore les invitations à l'ouverture d’esprit et à la curiosité … mais je vais m’arrêter là.


 Finalement comme l’a si bien dit Ossiri à Kassoum :



 « Kassoum, juste parce que tu es là, tu es un homme meilleur. Meilleur que les gens du Colosse parce qu'ils ne connaîtront jamais Paris. Meilleur que les gens de Paris parce qu'ils ne connaîtront jamais le Colosse». p154

 J'ai envie de dire que Gauz est meilleur que nous, pas parce qu’il a connu Paris, Abidjan et je ne sais encore quel autre endroit, mais plutôt parce qu'il a su savamment, avec ingéniosité et humour, concilier ses  deux horizons, ses deux mondes et ses deux cultures pour nous offrir ce magnifique roman qui décrypte la société française, la société de consommation, à travers le regard affuté d'un ‘Debout-payé’ ivoirien.


Un roman audacieux, instructif. Un pari qui semble réussi pour l’auteur qui vient de se voir décerner le prix du meilleur premier roman français 2014 et le Prix des libraires Gibert Joseph 2014.

Le nouvel Attila
Meilleur premier roman français 2014
Prix des libraires Gibert Joseph 2014