27 sept. 2014

Wide Sargasso Sea - Jean Rhys

Il y a des livres qui vous laissent un goût d’inachevé, d’autres dont l’avancée des pages vous brise presque le cœur car vous n’avez pas envie qu’il se termine si vite; enfin, il y a ceux qui vous laissent un goût amer. Wide Sargasso Sea fait partie de ceux-là.
Une histoire amère que j’ai pourtant… appréciée ! Je me demande encore pourquoi d’ailleurs.
Peut-être à cause des contrastes… nous sommes en plein enfer dans ce qui pourrait être un paradis :  des îles aux paysages paradisiaques telles que la Jamaïque ou encore l’île du vent, plus précisément, la Dominique.
Le livre se décline en trois parties. Chacune d'elle, nous livrent le point de vue d’un personnage différent, son expérience. Toutefois, elles concernent toute la vie du personnage principale : Antoinette Cosway qui après le remariage de sa mère s’appellera Antoinette Mason avant de devenir Mme Rochester, un personnage notoire du roman Jayne Eyre de Charlotte Brontë.

 La première partie
L'histoire nous est racontée à travers les yeux d’Antoinette. Elle nous raconte son enfance dans le domaine de ses parents, Coulibri, en Jamaïque. Seulement, si le lecteur sent bien que Coulibri était par le passé un domaine impressionnant de par sa taille et son jardin à la végétation luxuriante, il s’agit au moment où Antoinette nous raconte l’histoire, d’une propriété qui tombe en ruine. La végétation semble avoir pris le dessus sur les hommes, faute d’entretien. Le havre de paix, se transforme en un lieu ou de mauvais présages semblent planer sur la famille Cosway. En effet, la mort de Monsieur Cosway, puis l’’Emancipation Act’ de 1833 qui ruinera de nombreux propriétaires d’esclaves, enfoncera Antoinette, sa mère et son frère dans la pauvreté. Seuls quelques esclaves décideront de rester auprès d’eux. Certains pour des raisons douteuses et se comportant de manière peu rassurante, d’autre, en réalité, une seule, Christophine, restera car elle aime Antoinette dont elle a pris soin depuis la naissance. La vie devient particulièrement difficile à Coulibri en raison de la pauvreté mais surtout de l’hostilité des habitants de l’île, jubilant presque face à leur situation difficile. Antoinette et sa famille deviennent les « Coackroach » ( Cafards) ou « White nigger », qu’il faut faire dégager. Elle se retrouve dans un isolement pesant et dangereux…
L’arrivée de Monsieur Mason, qui épousera sa mère, sera comme une bouffée d’air et d’espoir qui fera oublier ces années difficiles, un moment de répit, pour un temps seulement car le malheur semble ne jamais réellement s’éloigner de Coulibri… Il s’abattra lourdement sur la famille dont le destin basculera indéniablement….

Photo prise sur à l'adresse suivante : http://www.sailblogs.com/member/mandy/?xjMsgID=114923&c=2144

La seconde partie
Dans cette partie nous découvrons la nouvelle vie d’Antoinette à travers les yeux à la fois de Mr Rochester, son mari et d’Antoinette elle-même. C’est Mr Rochester qui commence la narration. Son nom n’est jamais mentionné, ce qui porte un peu à confusion au départ. Mais on comprend très vite que la vie d’Antoinette vient de brusquement changer, dès les premières lignes. Antoinette et Rochester voyagent pour leur lune de Miel, dans un lieu au nom… évocateur : Massacre. Ils sont dans un autre domaine cette fois-ci, Grandbois.  La lecture de cette partie est pénible. Rochester est un homme ambivalent… Le lecteur sent qu’il n’aime pas l’endroit, qu’il n’aime pas Antoinette, il n’aime pas les West Indies de toutes les façons. Même s’il tente de se convaincre du contraire. Il est plein de préjugés sur les Antilles, sur les Créoles telles qu’Antoinette. Il ne comprend pas l’environnement, ni la culture de cette région du monde. On découvre les tristes raisons pour lesquelles il a accepté de se marier avec elle. Le lecteur comprend bien vite que… la lune de miel ne durera pas et ce d’autant plus qu’il ne l’appelle plus par son prénom, il la rebaptise Bertha, comme pour la rendre folle, lui enlever son identité et faire d’elle une poupée à sa merci.

« My name is not Bertha, why do you call me Bertha ? » 

Cette partie du livre est accablante pour le lecteur qui assiste à l’infortune d’Antoine … Comme dans la première partie, le paysage et l’environnement pèsent sur les personnages. Toutefois, un élément nouveau viendra aggraver cette pesanteur. Il s’agit de la rumeur, des rumeurs… On réalise l'impact qu’une simple rumeur peut avoir lorsqu'un proche choisit de la croire et de la nourrir. Antoinette sera meurtrie au terme de cette lune de miel…
Ainsi, le lecteur comprend que dans la seconde partie, le fait de donner à Rochester la parole pour parler d’Antoinette, symbolise un peu la perte de cette dernière. Elle perd son nom et sa liberté.

La dernière partie.
Il s'agit du chapitre le plus court, deux voix différentes se succèdent celle de Grace Poole puis celle d'Antoinette. Cette dernière semble être devenue folle, comme une esclave qui se réveille dans un endroit autre que celui qu’elle a toujours connue, déportée sans qu’on lui ai demandé son avis, enfermée dans ‘une prison’, vivant dans un endroit complètement différent de ce qu’elle avait pu imaginer . Elle est déboussolée, dépaysée, affaiblie, incomprise…

Wide Sargasso ou la prisonnière des Sargasses en français, de Jean Rhys, sera publié en 1966. Il éclaire sur la vie de Bertha Mason, un personnage de Jayne Eyre, écrit pas Charlotte Brontë, publié en  1847. Ainsi ce livre est considéré comme une réécriture de l’histoire de ce personnage, du point de vue d’Antoinette. Jean Rhys, elle-même originaire des Caraïbes, a souhaité à travers cet ouvrage détruire les mythes et les stéréotypes sur les créoles notamment en tentant de réhabiliter Antoinette dont la folie supposée était attribuée à son héritage (créole) plutôt qu’à son histoire personnelle : à savoir son enfance difficile,  son mariage aux clauses abusives mais surtout ce que son mari, Mr Rochester lui a fait subir.


30 août 2014

À la découverte du Kete...

« C’est nous qui avons créé cette danse. Mais nous avons arrêté de la pratiquer, c’est comme ça qu’on l’a oublié » ! C’est en ces termes que j’entendis parler du Kete pour la première fois, par un Nzema de Grand-Bassam.





Cet après-midi-là, mon oncle et moi, nous nous rendions à un rendez-vous dans le fond du village, non loin du Bouaké, le bois sacré des Nzema, lorsque des tam-tams se mirent à résonner dans le quartier France de Grand-Bassam, perturbant le calme de cette partie de la ville, d’ordinaire si paisible. Je m’interrogeai alors  sur la provenance de la musique et les raisons pour lesquelles nous l’entendions à ce moment précis. Est-ce qu’il s’agissait d’une fête ou d’une répétition pour une cérémonie spéciale ?
Je n’eus pas le temps de poser de questions que mon oncle me demanda :
 « -Tu entends les tam-tams là, tu sais ce que c’est ? 
-Non, c’est quoi ?
- Après on va aller voir »…
Ainsi, juste après notre rendez-vous, nous nous sommes précipités vers le bâtiment d’où les tam-tams résonnaient... Il y avait beaucoup d’agitation. À l’entrée de l’immeuble, des enfants allaient et venaient dans les escaliers et se bousculaient. Lorsque nous sommes arrivés au dernier étage, nous les avons trouvé beaucoup plus calmes et attentifs face à ce qui se déroulait : la leçon de Kete.





Une danse Akan

Sewa, Kwamé et Isaac, trois jeunes ghanéens,  sont tous les trois originaires du village Ashanti de Aweman Kofidua et travaillent pour la compagnie ghanéenne : amamereso, connue pour ses chorales.
Ils ont été invités, à la demande du roi de Grand-Bassam qui souhaite que les jeunes du village puissent le danser lors de grandes cérémonies.
Le Kete serait une danse royale pratiquée par l’ensemble des sous-groupes du peuple Akan lors de cérémonies importantes telles qu'une intronisation, des funérailles...

Sewa, la seule femme du groupe, danse le Kete depuis plus de dix-neuf ans. Accompagnée de Kwamé et Isaac, elle aurait été dans de nombreux pays, notamment le Nigeria, l'Éthiopie et la Sierra Leone pour l'enseigner. Elle m’explique que c’est la deuxième fois qu’ils viennent en Côte d'Ivoire. Lors de leur première visite, l’an dernier, ils ont appris aux jeunes à jouer au ‘Drum Adowa’ l’ensemble des quatre  tam-tams; à savoir le kodum, l’apentema, le petia et l’abrukuwa ; les « tam-tams traditionnels qu’on utilise pour le roi seulement ». Cette fois-ci, ils sont en Côte d’Ivoire, pour deux semaines, uniquement pour apprendre aux jeunes à danser.


Les tam-tams du Kete

Les tam-tams de l'Adowa 


Une origine incertaine …

Lorsque je les interroge sur l’origine du Kete, Sewa m’explique qu’il s’agit d’une danse qui parle d’amitié. Je lui demande alors s’il pourrait s’agir d’amitié entre un homme et une femme, d’une relation. Elle me répond que oui.

Isaac quant à lui, me donne une toute autre explication. Il me parle d’une guerre qui aurait eu lieu à un moment indéterminé. Pour célébrer leur victoire, les vainqueurs auraient créer le Kete. Les tam-tam rouges et noirs symboliseraient cela. Le rouge représenterait le sang et le noir, la couleur de la peau noire.
Les autres tam-tams de couleur marron, auraient été créés pour danser l’Adowa, similaire au Kete, à la seule différence qu’elle est dansée avec des mouchoirs dans les mains.
Le Kete symboliserait la victoire; l’Adowa, l’union.

Nous pourrions donc conclure que l’origine du Kete semble incertaine…. De plus, selon que l’on parle à un Ashanti tels que nos trois jeunes ghanéens ou un Nzema, chacun s’attribue la paternité de la danse. Mais une chose est certaine, ce sont les Ghanéens qui semblent l’avoir perpétué!



Sous l'oeil attentif de Sewa

…Qui relèverait du mythe

Sur la pochette de l’album Asante Kete drumming : music of Ghana, produit et enregistré par l’ethnomusicologue Joe Kaminski, l’origine suivante nous est proposée « l’Asante Kete drumming est un ancien genre musical Ouest Africain. Selon la légende, le Kete aurait été créé par des êtres surnaturels de la forêt. En réalité, il est probable qu’il provienne d’un ancien royaume soudanique. Au XVIII et le XIX, les Ashantis obtinrent le pouvoir militaire, c’est durant cette période qu’ils acquirent le Kete chez un peuple conquis. Les tambours du Kete accompagnaient les soldats à la bataille, étaient utilisés lors de cérémonie aux cours royales telles que des visites d’État, des exécutions, des funérailles et des inspections de mausolées royaux. Aujourd’hui, le Kete est joué lors de funérailles et est accessible au public pour danser afin de célébrer l’entrée d’une âme, de ceux qui ne sont plus parmi nous, dans le paradis des ancêtres… » [1]

Je suis allée assister au cours, deux jours d'affilé...



Une des choses qui m’a également frappée est la difficulté du groupe, à communiquer.
J’avais justement demandé à Sewa, le premier jour, comment le groupe avait réussi à gérer cette barrière. Elle me disait que c’était très difficile. Certains jours, un habitant du village qui parlait Twi, français et Nzema, venait assister aux cours et les aidait à communiquer. Les autres jours, ils se débrouillaient. 
Mais cette personne servait aussi de ce qu’on pourrait qualifier de modérateur, car il y avait de nombreuses petites tension, notamment en raison de la barrière de la langue. Les gestes des profs étaient parfois mal interprétés, les élèves se vexaient et refusaient parfois de danser... pendant quelques minutes seulement, avant de reprendre le cours en boudant un peu.


Petite mise au point - difficile de se faire comprendre


Le second jour, mon oncle qui, lui aussi, parle les trois langues, a reproché à une des élèves de ne pas écouter les consignes des ‘profs’, elle lui a répondu : « Je ne comprends pas leur Apolo ghanéen là ».

Mais mis à part ces petites tensions que l’on pourrait retrouver au sein de n’importe quel groupe de jeunes, les cours se terminaient bien souvent par un moment d’ « apothéose » durant lequel, tout le monde faisait un peu n’importe quoi, on oublie le Kete ou l'Adowa, on danse, tout simplement !


Fin du cours, moment de détente
Avec Isaac, Sewa et Kwamé, les profs.


La vue depuis le bâtiment - Immeuble Ganamet





20 juil. 2014

Notre quelque part - Nii Ayikwei Parkes


J’étais à ‘mon quelque part’,quand, à ma grande surprise, j’aperçus la couverture du livre de Nii Ayikwei Parkes, lauréat du Prix Mahogany 2014, que je reconnus immédiatement pour l’avoir vu, revu et rerevu sur internet. Je me tournai vers mon père et lui dis : ‘en fait je vais plutôt prendre celui-là’ pendant que je lui arrachai presque le livre que je lui avais demandé de m’offrir quelques minutes auparavant, pour le remplacer par 'Notre quelque part'.
Il s'agit du premier roman de Nii Ayikwei Parkes, poète du 'spoken word' qui partage sa vie entre l'Angleterre et le Ghana.

« Nous étions à notre quelque part quand elle est arrivée. Celle dont les yeux ne voulaient pas rester en place. Moi-même, je revenais de la case du malafoutier. »…  « Elle portait une façon de jupe petit petit là »p14-15


C’est ainsi que nous plongeons en plein cœur du Ghana  contemporain, dans lequel se côtoient villes et villages, aux réalités, univers et rythme différents; semblant s'accorder difficilement. Pourtant, lorsqu’une ‘masse’ suspecte est découverte à Tafo, dans la case de Koffi Atta, l’inspecteur P.J. Donkor d’Accra, fera appelle à ‘Monsieur-Un-Homme-En-Vaut-Mille’, Kwadwo ‘Kayo’ Odamtten, médecin légiste ou ‘légisse’ selon les villageois, ayant fait ses études à Londres. En somme, un Ghanéen occidentalisé. C’est par des méthodes, pour le moins, discutables et pour des objectifs qui le sont tout autant, que P.J. Donkor réclamera à Kayo un rapport digne de la série « Les Experts ». Le citadin Kayo, sera ainsi obligé de se plonger dans le village et ses manières, au rythme des histoires de Opanyin 'Yao' Poku, vieux chasseur, adepte de vin de palme, dépositaire de la mémoire de Tafo et sa forêt environnante qui cache de nombreux mystères…

Comment Kayo parviendra-t-il à découvrir la vérité ? Comment faire lorsque personne ne semble vouloir coopérer ? Lorsque les villageois, impassibles, semblent ne pas être impressionnés par les hommes de la ville et la ‘science’? Ou  lorsque toutes les réponses aux questions semblent être des paraboles ? 

 « Vous nos Aînés là, vous êtes en train de nous faire danser ici présentement. On vous pose les questions et vous nous donnez un proverbe. » p269

Et que dire de la langue ? Anglais ‘standard’, Pidgin, Twi émaillée de proverbes ou ‘sagesse’ du village de, avec des expressions qui m’ont marqué telles que « Oh Owurade! » comme on dirait « Oh Gnamien! » chez les Akans de Côte d’Ivoire; ou encore les « Chaley, eeh! ». En tant qu’Ouest Africaine, je me suis retrouvée sans aucune difficulté dans ces différents types d’anglais ou devrais-je plutôt dire de français, car j’ai lu la version française de ‘Tail of the Blue Bird’. Traduite de l’anglais par la brillante Sika Farambi, qui a obtenu, en juin, les Prix Baudelaire et Laure Bataillon 2014 pour la traduction de ‘Notre Quelque part’.


Quelle histoire !! Pétillante ! Un véritable régal. Je la recommande vivement à tous! Eï!  Vous  verrez par vous-même « mes frères, que cette terre est pleine de choses étonnantes»!

Roman traduit de l'anglais (Ghana) par Sika Fakambi
Prix Mahogany 2014
Prix Baudelaire 2014
Prix Laure Bataillon 2014
Finaliste du Commonwealth Prize 2011

24 janv. 2014

Grand-Bassam métropole médiévale des N'zima - Association Abissa

Tenter de reconstituer l'histoire des N'zima est l'objectif que se sont donnés onze co-auteurs, tous chercheurs, co-dirigés par les Pr Niamkey Georges Kodjo(historien) et Niamkey Koffi Robert (Philosophe)  et tous originaires de Grand-Bassam; à travers la rédaction de Grand-Bassam, métropole médiévale des N'zima. Ces derniers, réunis au sein du comité de l'Abissa, ont tenté, avec des précisions remarquables de retracer l’histoire des N’Zima de Côte d’Ivoire dont l’expérience, bien distincte de celle des N’Zima du Ghana, à qui ont les associe de manière presque réductrice en leur prêtant bien souvent exclusivement des origines ghanéennes, est méconnue.

Lorsque le pays N’Zima (du Ghana), royaume unitaire, organisé depuis le XIXème siècle en une confédération regroupant les royaumes de Beyinlin et d’Adouambo se brise pour former le Ghana et l’actuelle Côte d’Ivoire, les N’Zima dit de Côte d’Ivoire occupent déjà cette région.  Toutefois on observera  des vagues de migration du royaume N’Zima du Ghana vers celui de la Côte d’Ivoire en raison des guerres fratricides et pressions. La plus célèbre d’entre elle est l’épopée de la Reine Pokou qui  arrivera au XVIII eme siècle dans la vallée du Bandama ( en 1750). C’est cette dernière qui alimentera l’idée selon laquelle les N’Zima sont « arrivés  comme ça  » du Ghana.

Ainsi , les auteurs nous renseigneront sur la réalité historique de la présence des N’zima à Grand Bassam, sur  le peuplement d'Assinie, en passant par Modeste, Port-Bouet, Treichville ou encore  Grand Lahou; territoire des N’zima que les explorateurs appelleront l’Appolonie en raison de la beauté, habileté physique mais surtout l'intelligence remarquable de leurs habitants qui fera de ces derniers des négociants  incontournable dans le commerce de la région. En effet , selon certains explorateurs : « Les Apolloniens , de très beaux hommes se signalaient par la coloration foncée de leur peau, leur taille élancée, et leurs attaches fines… » p115 
Ou encore « Les Apolloniens qui ne sont pas tous bons payeurs, commerçants fins et avisés au plus haut degré ont depuis longtemps appris à s’approvisionner en Europe. Beaucoup d’entre eux ont pour correspondants, des compatriotes établis sur la Côte qui sont eux-même en relations directes avec des commissaires de Liverpool ». p132

Les auteurs nous renseignent sur les différents rois qui se succéderont, sur l’organisation politique du royaume N’zima mais également  sur la lutte acharnée entre les puissances coloniales sur la côte; sur les débuts de la colonisation avec l’installation des premiers comptoirs notamment sous le règne du roi Peter ou encore sur le contrôle du négoce colonial par les N’zima alors qualifiés «  d’intraitables négociants ».

Les auteurs couvriront également la formation de l'ancienne colonie de la Côte d’Ivoire qui se traduit par une disqualification de la chefferie traditionnelle, la mise en place de l’organisation coloniale appuyée par des auxiliaires dits «indigènes».
Enfin, les auteurs nous parleront également du rôle de la civilisation N’zima sur le développement de Grand-Bassam puis de l’essor de la capitale à l’époque coloniale. 




L’histoire du peuple N’zima a été retracée, au-delà des sources orales, par des documents écrits incontestables tels que des traités, rapports des autorités administratives, différents accords, journaux de bord d’explorateurs portugais, français, anglais, hollandais , des lettres ou encore des études réalisées par des anthropologue tel que Maurice Delafosse. On retrouve des extraits de ces documents ou leur totalité dans leur version originale bien souvent suivie de leur déchiffrage qui se traduit par une version dactylographiée plus lisible. La diversité des sources est remarquables.

On retrouve également des portraits d'hommes et de femmes illustres qui ont marqué l’histoire de la ville, des  cartes postales , des plans, des informations sur les vagues successives d'immigration, qui ont, très tôt, fait de Grand-Bassam une ville cosmopolite. Il y a également des informations sur  l’histoire et l’origine des propriétaires de chacun des bâtiments qui sont présents dans la ville historique classée au Patrimoine Mondial matériel de l'Unesco. Certains ont été reconvertis: le marché aux légume est devenu la bibliothèque municipale, le bâtiment des  douanes et postes est devenu la maison du patrimoine culturel; certains abritent vendeurs ou restaurants, d’autres sont dans un état de délabrement tel qu’il est urgent que l’on fasse quelque chose ( Premier palais de justice de Cote d'Ivoire).

Ainsi au-delà de l’histoire des N’zima, c’est l’histoire de Grand-Bassam, première capitale de la Côte d’Ivoire que l’on découvre également à travers cet ouvrage.

Ce livre est également une invitation aux jeunes chercheurs, à s'inscrire dans la même dynamique en poursuivant et/ou en approfondissant ce travail de recherche majeur, venu combler un vide dans l'histoire des peuples qui ont constitué la Cote d'Ivoire.


8 déc. 2013

La saison de l'ombre - Léonora Miano

Romancière d'origine camerounaise, Léonora Miano, n'est aujourd'hui plus à présenter sur la scène littéraire francophone. Paru en 2005, son premier roman L'intérieur de la nuit, reçoit à lui tout seul, dès sa parution, plus de six prix. Son second roman: Contours du jour qui vient, reçoit le prix Goncourt des lycéens en 2006. En 2011, elle reçoit le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire pour ses romans Blues pour l'Afrique et Ces âmes Chagrines. Avec au total , neuf romans à son actif, l'auteure vient de se voir décerner le Grand Prix du Roman Métis et le Prix Fémina pour sa dernière œuvre: La saison de l'ombre ( 2013).

Dès les premières lignes, l'auteure nous fait rentrer dans le vif du sujet. Des évènements graves viennent de se produire au sein de la communauté Mulango. Douze initiés se sont volatilisés au cours de la nuit où un incendie a embrasé une partie du village.  Personne ne comprend ce qui s'est passé. Où sont- ils ? Qui a provoqué l'incendie ? Les villageois sont dans la torpeur. Le lecteur est confus.

Après l'attaque, les mères et femmes de ces disparus sont regroupées et isolées, dans une case du village. Telles des pestiférées nul n'a le droit de les approcher. Elles ne peuvent en sortir, de peur que leur chagrin ou cette "malédiction" ne se reproduise et se répande dans le village. Tout le monde les ignore. Elles deviennent les bouc-émissaires parfait face à une situation qui dépasse l'entendement de cette communauté naïve, enclavée.

Toutefois, un matin, un évènement oblige le village à sortir de sa torpeur et à affronter les questions qu'ils ont tenté d'ignorer depuis les évènements, depuis trois semaines que ces femmes sont enfermées : l'apparition du Mwititi, de l'Ombre.

C'est le début du labyrinthe et des chemins étriqués dans lesquels l'auteure va nous emporter, au cœur de cette ombre et du mystère qui l'entoure.


Cette ombre c'est la "vérité" qui va pouvoir la dissiper. Mais comment obtenir la vérité lorsque l'on est replié sur soi-même ? Comment expliquer l'inexplicable ? Comment arriver à comprendre des évènements et des choses qui dépassent notre entendement ? Faut-il faire le deuil de ces disparus ,"ni mort, ni vivant" ?
Qu'est ce qui explique que l'équilibre du clan et celui de toute la région soit ainsi remis en cause ? Que les alliances et rangs ancestraux soient bafoués ? Que les relations jadis pacifiques laissent  place à des chasses à l'homme ? Est-ce ces "hommes aux pieds de poule" avec leurs "cracheuses de foudre" y sont pour quelque chose ?
Est ce que les ancêtres, l'esprit d'Éméné et Nyambe pourront aider les Mulangos à comprendre ce qui s'est passé ?

Pour tenter de la dissiper et éclairer aussi bien les personnages que le lecteur, l'auteure nous fera avancer en même temps que ces derniers. Tandis que pour le lecteur du XXIe siècle il s'agit de comprendre, imaginer l'impact de la traite de l'intérieur,  sur les sociétés africaines (afro-centré); pour les personnages il s'agit de comprendre afin de pour pouvoir aller de l'avant, survivre, tenter de se reconstruire, guérir les plaies béantes que ces disparitions ont créé mais surtout afin de pouvoir témoigner.

Témoigner devient un sacerdoce. La transmission devient une question de survie. Mais il ne peut y avoir transmission sans compréhension de ce qui vient de se passer. Ainsi les "survivants" dans l'espoir de libérer la communauté de cette ombre, vont se dépasser.  Ces derniers ont la survie de leur communauté entre leur mains, la mémoire de ce qui en reste.

Des personnages remarquables...

Tout comme ces derniers, Leonora Miano, tente de faire revivre ces peuples, ces morts, ces fils enlevés, ces villages terrassé à travers l'histoire de cette communauté fictive du Cameroun. C'était son devoir de transmission, de mémoire afin de se rappeler, ne pas oublier et tenter de donner une voie à ceux qui sont restés de l'autre côté de la rive.

La femme a une grande place dans ce roman, certaines sont des bouc-émissaires et victimes, d'autres reines et bourreaux; tandis que d'autres , au destin hors du commun sont habitées par un "esprit mâle", à l'image de la Reine Émené, fondatrice-ancêtre du clan, des Mulongo.

Pourtant au moment de la tragédie, le clan Mulango est dominé par un pouvoir patriarcal qui semble, au regard des évènements, avoir du mal à redonner sa place à la femme, si ce n'est l'accuser lâchement des maux qui se sont abattus sur la communauté. Mais il semblerait que l'esprit d'Émené se soit réincarné dans l'une des femmes du clan comme pour réparer cette injustice.

L'histoire est émaillée de référence et d'expériences mystiques et mystérieuses : rêves, visions, connections avec l'au-delà à travers des voix ou des envoyés : aides, mises en garde... Selon que l'on utilise ces pouvoirs ou qualités pour de bons ou mauvais desseins, selon qu'on les écoute ou pas, les personnages et le lecteurs auront tous de grandes surprises.

Au-delà de l'histoire de la traite, de l'histoire de l'ombre, ce roman est un puissant message d'espoir, incarnée par Bebayedi, ce nouveau monde, fait de syncrétisme, où tout le monde à sa place et peut s'exprimer. Le nouveau monde où l'on tente d'aller de l'avant en refusant de laisser l'ombre nous ronger et nous empêcher de construire ou reconstruire. L'endroit où une vie après la mort et la disparition est possible. Un exemple qui donne à ce roman une vocation universelle et atemporelle. "Ce n'est pas uniquement au-dessus de la case de celles dont les fils n'ont pas été retrouvés, que l'ombre s'est un temps accrochée. L'ombre est sur le monde. L'ombre pousse des communautés à s'affronter, à fuir leur terre natale. Lorsque le temps aura passé, lorsque les lunes se seront ajoutées aux lunes, qui gardera la mémoire de toutes ces déchirures? À Bebayedi, les générations à naître sauront qu'il avait fallu prendre la fuite pour se garder des rapaces. On leur dira pourquoi ces cases érigées sur les flots. On leur dira : La déraison s'était emparée du monde, mais certains ont refusé d'habiter les ténèbres. Vous êtes la descendance de ceux qui dirent non à l'ombre." p 137