19 juin 2013

Les pieds sales - Edem Awumey

C'est Akpedze une amie à moi, pour ne pas dire une sœur, qui m'a offert ce roman d'Edem Awumey. C'est un auteur qui comme elle, est né au Togo et vit aujourd'hui au Québec. Quand j'ai découvert ce qu'il y avait à l'intérieur du paquet , elle a dit " Tu vas pouvoir parler d'un auteur du Togo maintenant" ! C'était un gentil petit coup de pression ! (rires)

Je ne connaissais pas Edem Awumey. Pourtant, dès la parution son premier roman, il s'est tout de suite affirmé comme un écrivain de talent . En effet Port-Mélo, paru en 2006, remportera le Grand Prix Littéraire d'Afrique noir. Son deuxième roman, Les pieds sales, paru en 2009 a été retenu pour la sélection du prix Goncourt de la même année.

Les pieds sales ce sont les personnes qui "avaient les pieds crottés et blanchies par la boue et la poussière de toutes les routes qu'elles avaient courrues depuis là-bas"
Ce sont les migrants, les vagabonds poussés sur les routes , pour diverses raisons ; dans l'espoir de connaître des jours meilleurs. Bien souvent, ils se dirigent vers le Nord, en Occident, objet de tous les fantasmes.

Askia est un pied sale.  Son errance a commencé alors qu'il n'avait que cinq ans. À dos d'âne et accompagné de ses deux parents, ils fuyaient la sécheresse qui sévissait au Sahel.
À 47 ans, il erre toujours mais dans les dans les rues de Paris, cette fois, au volant de son taxi. La ville lumière n'est pour lui qu'un labyrinthe sinueux fait d'ombres fantasmatiques qui ne cessent de lui échapper à l'image de son histoire. En effet, Askia est hanté par un  fantôme, celui de son père qui a mystérieusement disparu quelques années auparavant en France. Askia accepte l'idée que son père les ait abandonnés. Mais il semble que le spectre de ce dernier et de sa disparition, ne veuille pas le lâcher. Tout le ramène à son passé, à ce père : Sidi Ben Sylla Mohamed. L'avenir d'Askia semble obstrué

"Tu lui ressemble, Askia. Si tu portais un turban, toi aussi , ce serait parfait. J'aurais l'impression que c'est lui qui est revenu, tout juste l'impression. Car il ne reviendra pas" lui disait sa mère.

"Embraye, Télémaque ! En route ! Pour toutes les raisons que tu veux!" lui dit son père disparu, lorsqu'il rêve.

Même les clients de son taxi lui parle de ce dernier.

Lorsqu' Olia, une jeune photographe Bulgare, monte dans son taxi, elle est tout de suite frappé par la ressemblance entre Askia et ce monsieur en turban qu'elle a photographié quelques années auparavant dans  Paris.Les deux personnages se lancent alors à la recherche de Sidi Ben Sylla Mohamed. 
Askia nourrit enfin l'espoir de pouvoir trouver des réponses à ses questions...

On assistera  à la naissance d'une amitié entre les deux personnages , autour de la figure de ce père.
Ils se sentent d'autant plus proche qu'Olia est elle-aussi une pieds sales, à l'histoire affligeante.
Alors qu'ils sont sur une piste sérieuse, les deux personnages seront rattrapés par leur histoire respective, par les actes posés sur les routes de leur pérégrination...



Ainsi, au-delà du mystère entourant la figure de son père. Askia est dans une véritable quête identitaire. La question "Qui es tu ?" reviens sans cesse...

Mais comment y répondre lorsque l'on a jamais vu son père auquel tous les commentaires nous ramènent ? Lorsque l'on est parti de chez soi depuis si longtemps que l'on n'ose plus y retourner ? Lorsque l'idée du retour  est plus angoissante que celle de continuer à vivre dans la misère, la pression et les menaces ? Comment y répondre lorsque l'on est sans papiers ?

Edem Awumey nous dépeint à travers la vie de ses différents personnages le calvaire d'un grands nombres de migrants : les compromis, la précarité, le racisme, la solitude mais surtout la question du retour ou au contraire de l'exil sans fin. Qu'ils fuient des régimes totalitaires, la misère économique ou  d'autres problèmes, ces personnes , sont souvent prêtes à tout pour partir de chez elle et atteindre la "terre promise". Pourtant, une fois arrivée sur place, la réalité est loin d'être celle qui avait été imaginée.

Certains se battront pour être accepté, pour pouvoir mener une existence décente et ne plus être considéré comme ces étrangers que l'on ne veut pas voir s'arrêter trop longtemps chez soi.

Pour d'autres, commencera une vie de désillusion de laquelle il sera difficile de se soustraire . Car, en effet, à moins d'avoir les moyens ,le courage d'affronter son passé, la situation que l'on fuyait, les changements dans le pays d'origine, le regard des autres; la question du retour restera inconcevable pour beaucoup. On est alors, malgré soi, obsédé par ce que l'on a laissé là-bas. On s'accroche à tout ce qui pourrait nous rappeler ce là-bas qui nous est à la fois si cher et effrayant.

On s'accroche aux photos par exemple. Elles ont une place importante dans ce roman. Les personnages s'accrochent aux visages qui y sont et les emporte partout avec eux. Elles sont comme un semblant de stabilité dans leur univers agité ou tout peut basculer. Elles leur permettent de retracer leurs pérégrinations, fixer leurs souvenirs, leur redonner le sourire ou leur rappellent tout simplement des événements ou période marquante de leur vie.

La question de la quête et de la migration revient tout au long du roman, à travers l'histoire des différents personnages mais également à travers les différentes références de l'auteur. En effet le roman est émaillé de références littéraire et historique qui le rendent intéressants mais complexe également. Askia est un Télémaque des temps modernes qui cherche , Ulysse son père. L'auteur fait également référence à Don Qui Chott  "Vous autres, chevalier errants, vivez en rêvant et rêvez en vivant". L'auteur mentionne l'histoire de l'empire du Songhaï et de l'un de ses rois "Askia Mohamed", l'exode des Éwe, peuple du Togo....

On ne peut donc se laisser aller pendant la lecture de ce roman et ce d'autant plus que l'histoire n'est pas linéaire. L'auteur alterne entre rêve et réalité, retour brusque dans le passé de ses différents personnages...

Les références à différentes villes, continents et histoires sont nombreuses. L'univers d'Askia semble alors atemporel. On oublie qu'il vit à Paris, qu'il vient du Togo où sévit une dictature... 
C'est tout simplement l'histoire d'un migrant, d'un homme qui veut donner un sens à sa vie...

C'est un roman à portée universelle.

L'histoire qui m'a le plus touchée est une histoire secondaire, celle de Monsieur Ali de Port-Saïd : " Il bougeait pour ne pas poser les fesses dans une gare avec le risque de prendre froid. Il vendait ses marrons de Gonesse à Boulogne, histoire de circuler. Et Port-Saïd s'éloignait de plus en plus, Port-Saïd et Abu Nuwas, alors il se fabriquait des pyramides en papier sur le boulevard Saint-Michel pour ne pas oublier..."


15 juin 2013

Un an déjà !!!

Aujourd'hui c'est le premier anniversaire de ce blog. J'en profite pour faire un petit bilan.

Au niveau statistique

Au moment où j'écris cet article , le blog a exactement  14 791 vues à son actif. Ce qui fait, depuis le 15 Juin 2012, une moyenne d'environ 39 visiteurs par jour.
Ce n'est pas énorme mais je n'en suis pas mécontente.
Au fur et à mesure que le blog s'est enrichi de nouveaux articles, il y a eu de plus en plus de visiteurs...

Ainsi dans le top 5 des articles les plus consultés depuis la création de ce blog; on retrouve
1. Les frasques d'Ébinto ( Côte d'Ivoire)
2. Soundjata ou l'épopée Mandingue ( Mali) 
3. Grand-Bassam : ville historique, Berceau de la Côte d'Ivoire  (Côte d'Ivoire) 
4. Le Musée National des Costumes (Côte-d'Ivoire)
5. Les aventures de Leuk-le-Lièvre ( Sénégal)

Ces visiteurs  viennent de toutes les régions du monde : de la Chine en passant par le Danemark, l'Ukraine, la Turquie ou encore l'Argentine.

Dans le top 10 des pays, on retrouve sans surprise, une majorité de pays francophone :
1. États-Unis
2. France
3. Côte d'Ivoire
4.Canada
5. Burkina
6. Russie
7. Sénégal
8. Allemagne
9. Gabon
10.Belgique


Au niveau personnel

Ce blog m'a permis d'apprendre à lire de manière beaucoup plus active. Il me semble qu'avant, j'étais plutôt "spectatrice" des  histoires, des événements et de la manière dont ils étaient racontés. Je m'intéressais peu aux auteurs et au contexte dans lequel ils avaient écrit leur livre.
Ainsi être une lectrice plus active permet de commenter les romans que l'on lit  mais également de se souvenir assez longtemps de ses aspects et éléments les plus importants.

Ces livres m'ont  apporté des connaissances multidisciplinaires sur le continent africain dont l'histoire et les cultures me passionnent. J'ai donc préféré les romans que l'on peut assimiler à des fresques historiques ...

Mais ce blog m'a surtout permis de faire la connaissance de personnes enrichissantes, des partenariats, des discussions...

Je regrette toutefois de ne pas avoir plus de commentaires/critiques de personnes ayant lu les livres dont je parle...

Je remercie tous les visiteurs de ce blog, toutes les personnes qui ont commenté, celles qui m'encourage, qui partage mes articles sans oublier celles qui m'offre des livres !!!



Un grand merci à tous !




1 juin 2013

Nouvelles du pays - Sefi Atta

Ce recueil de nouvelles , nous emporte au cœur d'un Nigéria vivant, plein de contradictions où les innocents ne tardent pas à devenir des criminels, où la modernité et la tradition s'entrechoquent, où les extrémismes s'enflamment,  où la misère côtoie le luxe , où  d'un moment à l'autre tout peut basculer sans coup férir.

À travers les onze nouvelles du recueil, Sefi Atta se fait chroniqueuse du quotidien des nigérians de Lagos et d'ailleurs. Il y a le carrossier visité par des foules à cause d'une prétendue apparition de la Vierge Marie sur un pare-brise, la femme adultère qui sera lapidée, la petite fille intransigeante au cerveau formaté par le poids de son environnement, la bande d'artiste qui se transforme en "desperados", la jeune étudiante qui travaille au noir à Londres et bien d'autres...

Chacune des histoires nous est racontée avec humour et froideur. Comme "Virée au crépuscule", où un jeune Nigérian remonte vers le Nord avec un groupe de migrants clandestins en direction de l'Europe. En chemin il rencontre Patience, une "va bene" (prostituée) attachante de Bamako,  qui brandit sa Bible, à chaque fois qu'elle en a l'occasion. Il décide de la protéger jusqu'à ce que celle-ci lui fasse un coup aussi surprenant qu'inattendu.
 On se surprend à rire de ces retournements tragiques et déboires des personnages.

Nouvelles du pays est une galerie de portraits de femmes qui refusent de battre en retraite devant leurs craintes. Des femmes pleines de vitalité qui se battent contre elle-même , leur entourage , la société. Elles tentent de se soustraire de leurs difficultés par divers moyens : le sexe, la drogue, la religion, la fuite vers l'occident ou tout simplement en s'accrochant à de modestes rêves. Ainsi c'est tout autant de thème que l'auteure aborde avec réalisme et humour; nous permettant d'encaisser ces histoires  bouleversantes où le désir de s'en sortir à tout prix peut pousser à commettre l'irréparable.
Les problèmes politiques du Nigéria ne sont pas en reste, elle aborde des questions telles que le mépris des multinationales pétrolières pour les populations locales, les conflits inter-religieux qui embrasent le Nigéria, la responsabilité des journalistes, le militantisme...



À travers ces nouvelles, c'est également l'image d'une Afrique partagée entre misère et exploitation économique, entre attachement à ses racines et regard vers l'Occident, entre fanatisme religieux et modernisation des pratiques, entre retard de développement et maîtrise d'internet et des réseaux sociaux où sévissent les yahoo yahoo boys (Arnaqueurs)... que nous dépeint Sefi Atta. 
Comme à  l'image de ce continent aux diverses aspérités, le lecteur oscille entre joie, amertume; rire et peine. 

Les chutes sont surprenantes, imprévisibles et  ambiguës. Le lecteur a une impression d'inachevée qui soulèvent des pistes de réflexion et laisse libre cours à notre imagination.
Les dialogues rythment les récits et permettent de cerner rapidement les personnages. 
La langue de l'auteure est vive et décalée. Il s'agit d'une traduction mais il semble que Charlotte Wolliez ait réussi à faire ressortir toutes les nuances de l'oeuvre originale. On ressent le désarroi des clandestins, l'hypocrisie des collègues de travail, la froideur du bureau américain qui distribue les cartes vertes, la tension et l'indécision avant les attaques... 

Sefi Atta est née à Lagos en 1964. Elle a étudié au Nigéria, en Angleterre et aux États-Unis. Elle  vit dans le Mississipi depuis une quinzaine d'année. C'est une romancière, nouvelliste et dramaturge. Elle a reçu en 2006 le prix Wole Soyinka pour son premier roman Le meilleur reste à venir (Everything good will come) (2005). Avec Nouvelles du pays ( News from home) (2009), elle a été la dernière lauréate du prix Noma, prix reçu par  Mariama Bâ en 1980 pour son  roman: Une Si Longue Lettre

Nouvelles du pays m'a donné envie de connaître les autres œuvres de cette auteure.