8 déc. 2013

La saison de l'ombre - Léonora Miano

Romancière d'origine camerounaise, Léonora Miano, n'est aujourd'hui plus à présenter sur la scène littéraire francophone. Paru en 2005, son premier roman L'intérieur de la nuit, reçoit à lui tout seul, dès sa parution, plus de six prix. Son second roman: Contours du jour qui vient, reçoit le prix Goncourt des lycéens en 2006. En 2011, elle reçoit le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire pour ses romans Blues pour l'Afrique et Ces âmes Chagrines. Avec au total , neuf romans à son actif, l'auteure vient de se voir décerner le Grand Prix du Roman Métis et le Prix Fémina pour sa dernière œuvre: La saison de l'ombre ( 2013).

Dès les premières lignes, l'auteure nous fait rentrer dans le vif du sujet. Des évènements graves viennent de se produire au sein de la communauté Mulango. Douze initiés se sont volatilisés au cours de la nuit où un incendie a embrasé une partie du village.  Personne ne comprend ce qui s'est passé. Où sont- ils ? Qui a provoqué l'incendie ? Les villageois sont dans la torpeur. Le lecteur est confus.

Après l'attaque, les mères et femmes de ces disparus sont regroupées et isolées, dans une case du village. Telles des pestiférées nul n'a le droit de les approcher. Elles ne peuvent en sortir, de peur que leur chagrin ou cette "malédiction" ne se reproduise et se répande dans le village. Tout le monde les ignore. Elles deviennent les bouc-émissaires parfait face à une situation qui dépasse l'entendement de cette communauté naïve, enclavée.

Toutefois, un matin, un évènement oblige le village à sortir de sa torpeur et à affronter les questions qu'ils ont tenté d'ignorer depuis les évènements, depuis trois semaines que ces femmes sont enfermées : l'apparition du Mwititi, de l'Ombre.

C'est le début du labyrinthe et des chemins étriqués dans lesquels l'auteure va nous emporter, au cœur de cette ombre et du mystère qui l'entoure.


Cette ombre c'est la "vérité" qui va pouvoir la dissiper. Mais comment obtenir la vérité lorsque l'on est replié sur soi-même ? Comment expliquer l'inexplicable ? Comment arriver à comprendre des évènements et des choses qui dépassent notre entendement ? Faut-il faire le deuil de ces disparus ,"ni mort, ni vivant" ?
Qu'est ce qui explique que l'équilibre du clan et celui de toute la région soit ainsi remis en cause ? Que les alliances et rangs ancestraux soient bafoués ? Que les relations jadis pacifiques laissent  place à des chasses à l'homme ? Est-ce ces "hommes aux pieds de poule" avec leurs "cracheuses de foudre" y sont pour quelque chose ?
Est ce que les ancêtres, l'esprit d'Éméné et Nyambe pourront aider les Mulangos à comprendre ce qui s'est passé ?

Pour tenter de la dissiper et éclairer aussi bien les personnages que le lecteur, l'auteure nous fera avancer en même temps que ces derniers. Tandis que pour le lecteur du XXIe siècle il s'agit de comprendre, imaginer l'impact de la traite de l'intérieur,  sur les sociétés africaines (afro-centré); pour les personnages il s'agit de comprendre afin de pour pouvoir aller de l'avant, survivre, tenter de se reconstruire, guérir les plaies béantes que ces disparitions ont créé mais surtout afin de pouvoir témoigner.

Témoigner devient un sacerdoce. La transmission devient une question de survie. Mais il ne peut y avoir transmission sans compréhension de ce qui vient de se passer. Ainsi les "survivants" dans l'espoir de libérer la communauté de cette ombre, vont se dépasser.  Ces derniers ont la survie de leur communauté entre leur mains, la mémoire de ce qui en reste.

Des personnages remarquables...

Tout comme ces derniers, Leonora Miano, tente de faire revivre ces peuples, ces morts, ces fils enlevés, ces villages terrassé à travers l'histoire de cette communauté fictive du Cameroun. C'était son devoir de transmission, de mémoire afin de se rappeler, ne pas oublier et tenter de donner une voie à ceux qui sont restés de l'autre côté de la rive.

La femme a une grande place dans ce roman, certaines sont des bouc-émissaires et victimes, d'autres reines et bourreaux; tandis que d'autres , au destin hors du commun sont habitées par un "esprit mâle", à l'image de la Reine Émené, fondatrice-ancêtre du clan, des Mulongo.

Pourtant au moment de la tragédie, le clan Mulango est dominé par un pouvoir patriarcal qui semble, au regard des évènements, avoir du mal à redonner sa place à la femme, si ce n'est l'accuser lâchement des maux qui se sont abattus sur la communauté. Mais il semblerait que l'esprit d'Émené se soit réincarné dans l'une des femmes du clan comme pour réparer cette injustice.

L'histoire est émaillée de référence et d'expériences mystiques et mystérieuses : rêves, visions, connections avec l'au-delà à travers des voix ou des envoyés : aides, mises en garde... Selon que l'on utilise ces pouvoirs ou qualités pour de bons ou mauvais desseins, selon qu'on les écoute ou pas, les personnages et le lecteurs auront tous de grandes surprises.

Au-delà de l'histoire de la traite, de l'histoire de l'ombre, ce roman est un puissant message d'espoir, incarnée par Bebayedi, ce nouveau monde, fait de syncrétisme, où tout le monde à sa place et peut s'exprimer. Le nouveau monde où l'on tente d'aller de l'avant en refusant de laisser l'ombre nous ronger et nous empêcher de construire ou reconstruire. L'endroit où une vie après la mort et la disparition est possible. Un exemple qui donne à ce roman une vocation universelle et atemporelle. "Ce n'est pas uniquement au-dessus de la case de celles dont les fils n'ont pas été retrouvés, que l'ombre s'est un temps accrochée. L'ombre est sur le monde. L'ombre pousse des communautés à s'affronter, à fuir leur terre natale. Lorsque le temps aura passé, lorsque les lunes se seront ajoutées aux lunes, qui gardera la mémoire de toutes ces déchirures? À Bebayedi, les générations à naître sauront qu'il avait fallu prendre la fuite pour se garder des rapaces. On leur dira pourquoi ces cases érigées sur les flots. On leur dira : La déraison s'était emparée du monde, mais certains ont refusé d'habiter les ténèbres. Vous êtes la descendance de ceux qui dirent non à l'ombre." p 137

30 oct. 2013

Les Manuscrits de Tombouctou : secrets, mythes et réalités - Jean Michel Djian

Lorsque le 25 Janvier dernier , les djihadistes qui se sont emparés du Nord Mali, ont perpétré un autodafé à la grande bibliothèque Ahmed Baba de Tombouctou, tout le monde a craint le pire. Cet événement à été l'occasion pour certains, d'entendre parler pour la première fois des Manuscrits de Tombouctou et des mythes qui entourent leur existence. Pour d'autres, il a constitué l'occasion d' impulser une prise de conscience sur l'importance de cette richesse culturelle, écrite, qu'il faut impérativement préserver et déchiffrer.

C'est à cette période que j'ai entendu parler du livre de Jean-Michel Djian, : les Manuscrits de Tombouctou, paru aux éditions JC Lattès en octobre 2012.
 Jean-Michel Djian est journaliste et auteur, entre autre de: Politique culturelle, la fin d'un mythe (Gallimard, 2005), d' Aux arts citoyens, De l'éducation artistique en particulier(Homnisphères, 2009) et d'une biographie, Ahmadou Kourouma (Seuil, 2010).
Les Manuscrits de Tombouctou contient principalement des contributions d'experts : historiens, écrivains,  philosophes tels que Doulaye Konaté, Mahmoud Abdou Zouber, Cheikh, Cheikh Hamidou Kane, Souleymane Bachir Ndiaye et de sublimes photos du photographe malien Seydou Camara.
Il s'agit d'un véritable voyage  dans cette région de l'Afrique, à travers l'histoire de ces ouvrages. Les auteurs nous parlent aussi bien de la manière dont ils ont été réalisés que de leur contenu, en passant par des informations sur les érudits, auteurs ces manuscrits.



Estimés à plus de 900 000, ils ont, pour la plupart, été réalisé entre le XIIIe, pour les plus vieux d'entre eux et le XIXe siècle. Les sujets qui y sont abordés sont vastes. On y trouve des traités politiques, de climatologie, de médecine... Des informations sur le cours du sel et des épices, les ventes, des actes de justice, des précis de grammaire. On y retrouve également des conseils sur les relations sexuelles, des mises en garde sur les méfaits du tabac, des explications sur les bienfaits de la prière en commun ou encore de la littérature notamment de la poésie et de la fiction. Des extraits, de manuscrits traduits sont présents dans le livre. Nous avons  par exemple le traité de Abdul Karim al-Maguly, conseiller de l'empereur Aski Mohamed, intitulé : "A propos des bon principes de gouvernement" datant XVe siècle. Il semble que la "genèse de cet écrit (soit) très similaire à celle du Prince de Machiavel" p76, essai écrit, beaucoup plus tard, au XVIIe siècle.

On retrouve ces manuscrits à Tombouctou, à Djenné au Mali, Chinguetti en Mauritanie ou encore Agadez au Niger. "Cette diversité des endroits où vous pouvez les trouver est l'expression de la connaissance nomade dans le XIVe siècle". Toutefois, il serait plus de 100 000 dans la seule ville de Tombouctou et sa région. On les retrouve dans des bibliothèques familiales, entassés par dizaine dans des coffres poussiéreux. Ils sont également nombreux à la bibliothèque Ahmed Baba, du nom du célèbre érudit de l'époque qui dès 1615, dans Échelle pour s'élever à la condition juridique des Soudanais réduits en esclavage, rejette le mythe de la malédiction de Cham en s'opposant à l'esclavage et à la déshumanisation de l'esclave.
Les auteurs nous parlent également de quelques uns des ces érudits, prolifiques, parfois issus d'une seule et même famille; comme la famille Kounta, à qui l'on doit à elle seule, plus de 500 manuscrits... Ce explique que certaines bibliothèques familiales soient si riches.

Ces manuscrits sont pour la plupart, rédigés en Ajami. Il s'agit de la transcription en alphabet arabe des langues vernaculaires de la région tels que le peul, le bambara, le Swahili, le  wolof ou  l'haoussa. Cependant, peu de personnes parlent ou comprennent l'Ajami aujourd'hui; ce qui rend leur déchiffrage difficile.

Au-delà de l'histoire de ces Manuscrits, les auteurs nous font replonger dans l'histoire même de cette région du continent, notamment de Tombouctou, cité florissante, qui au XVe siècle, à l'époque de l'Empire Songhaï , constitue le carrefour du sel et de l'or. Le commerce fervent connu par la région pendant deux siècles permettra l'éclosion d'un foyer intellectuel où se créeront, autour d'endroits emblématiques de la ville, telle que la mosquée de Sankoré ou encore la mosquée de Djingareyber, de nombreuses écoles, rassemblant dans leur ensemble près de 25 000 étudiants, venant de toute l'Afrique : de Fès, du Caire, de l'empire du Ghana... Ces élèves sont réunis devant des Ulémas, accompagnés de copistes, qui reproduisent fidèlement tout ce qui est dit.  D'après Jean Michel Djian "cette économie fondée sur la connaissance, organisé depuis des siècles, n'a pas d'autre équivalent dans d'autres régions de l'Afrique."

Mosquée de Sankoré à Tombouctou

Les auteurs nous parlent également des Empires qui se sont succédés, de Kankan Musa du Mali en passant par la dynastie des Askias de l'Empire Songhaï. Des échanges commerciaux, en passant par l'islamisation qui a joué un rôle important dans le rayonnement culturel de la région et sa production intellectuelle. L'auteur nous parle également de la vie politique et culturel. Des échanges entre la région et le Maghreb, l'Andalousie,  l'empire du Ghana et bien d'autres. Ils nous parlent également des premiers explorateurs occidentaux de la région : R. Caillé (1828), H. Barth (1853) et F Dubois (1896) et de leurs chroniques sur la ville mais également des premières chroniques africaines qui constituent les premières sources écrites sur l'histoire de l'empire du Songhaï : Le Tarikh-es-Soudan  et le Tarikh-el-fattach (XVème)... De personnages illustres issus de l'Université de Sankoré de Tombouctou comme Aben Ali, "un médecin formé à l'université de Sankoré de Tombouctou, qui suivra son maître Ysalguier, installé à Gao mais originaire de Toulouse, cité qu'il retrouvera à la fin de sa vie. Il ira s'installer en 1419 et restera dans l'histoire pour avoir, en cinq jours à peine, sauvé de la fièvre jaune le futur Charles VII alors que les médecins du rois l'avaient condamné..." p91
Ils nous parlent également des anciens alphabets africains : les hiéroglyphes égyptiens, le guèze éthiopien, le méroïtique soudanais, l'écriture Bamoun du Cameroun... ( voir vidéo à la fin de l'article)

Carte réaliseé en 1375 par le Catalan Abraham Cresques pour Charles V. Ces derniers tentaient de localiser le royaume du "Rex Melli"ou "roi de l'or" Kankan Musa.


Enfin, l'auteur aborde la question des forces internes et externes qui sont venues déstabiliser l'Empire et ont crée des dégâts irréversibles sur ce foyer intellectuel et sur le continent. Mais également de la question de la méconnaissance de cette richesse. Il nous donne des explications très intéressantes sur les raisons pour lesquelles, les africains eux-même puis l'idéologie africaniste occidentale fondée sur le mythe de la prévalence de l'oralité sur le continent africain, idée perpétuée et soutenue par des auteurs et penseurs africains, ont contribué à occulter l'existence de ces manuscrits et au manque d'intérêt pour leur contenu.

Cette méconnaissance maintien l'ignorance d'une partie de l'histoire de cette région pour les Maliens, les ouest-africains , les africains et le reste du monde. Aujourd'hui, il est important que des actions soient entreprises pour leur collecte, leur conservation, leur catalogage, numérisation , traduction et exploitation. Le docteur Mahmoud Abou Zouber, préconise  "la création urgente de groupe de recherche composé de spécialiste ouest-africains, maghrébins et d'autres horizons pour une exploitation scientifique de ces documents, qui renferment des faits nouveaux et inédits de la plus haute importance, et qui établissent ainsi la preuve que les Soudanais (les noirs) ont acquis une grande maturité culturelle qui leur permet d'écrire eux-même leur histoire et de spéculer sur le droit, la logique, la médecine, la théologie, l'astronomie et la grammaire." p145
 La mise en valeur et l'exploitation de ces manuscrits, remettraient définitivement en cause l'idéologie africaniste occidentale fondée sur le mythe dominant de l'oralité, le "propre" du continent africain, qui ferait de ce dernier un continent "a-historique". Ces manuscrits prouvent que l'oralité et l'écrit se sont longtemps cotoyés sur le continent.
Le déchiffrage de ces manuscrits est d'autant plus important dans un contexte où les africains tentent de se réapproprier les ressorts de leur historicité en tentant d'appréhender le passé , le présent et le futur, d'un point de vue "africanisé". À l'heure où à  Accra ou en Afrique du Sud, sont organisés des congrès sur la réappropriation de l'histoire du continent et notamment la question de "trouver un discours africain pour parler du passé", ces manuscrits pourraient certainement nous offrir des réponses et  pistes de réflexions...  
(Article de Jeune Afrique : Enseignement supérieur, se réapproprier l'histoire du continent: 


 La longue tradition orale, ne doit plus occulter la longue tradition écrite et méconnue du continent africain.



Vidéo intéressante : "Safi Mafundikwa:  Ingéniosité et élégance des ancients alphabets africains":


7 juil. 2013

Les aventures de Tôpé-l'Araignée - Touré Théophile Minan

Un soir, alors que je demandai à ma petite soeur Kadjéli (9ans) si elle connaissait les histoires de Kakou Ananzè l'araignée, elle me demanda à son tour si je connaissais les aventures de Tôpè-l'araignée. Je lui répondis "non". Elle est allée chercher le livre dans sa bibliothèque en me disant " Il faut que tu le lises, il est très très bien"...

Je l'ai dévoré en quelques heures.


On se surprend à sourire dès les premières lignes car l'auteur, sur un ton menaçant, nous explique les raisons pour lesquelles nous devrions nous estimer heureux de ne pas avoir vécu à l'époque du père de Tôpé, ce voleur... d'intelligence car "en fait l'intelligence est une richesse". Ainsi si vous étiez intelligent, vous risquiez de vous faire attaquer par ce dernier, qui vous aurait tout arracher, sans aucune pitié.  En effet, le père de Tôpè parcourrait le monde à la recherche des moindres parcelles d'intelligence qu'il gardait dans une gourde précieuse. Puis un jour à la suite d'un évènement fâcheux durant lequel "celui qui possède toute l'intelligence du monde" sera humilié; on réalisera que les efforts du père de Tôpè auront été vain car  l'homme le plus intelligent du monde est en réalité son fils: Tôpè-l'Araignée.






Ce constat sera confirmé tout au long des aventures de Tôpé . En effet, il utilisera son intelligence pour  sortir des situations cocasses ou dramatique auxquelles sa famille, son village, ou lui-même seront confrontés. Ces situations diverses, imposées par les génies, les conditions météorologiques ou encore des animaux mal intentionnés, sont l'occasion pour Tôpé de démontrer également sa malice, son humilité, son sens de la loyauté ou encore la compassion dont il fait preuve face aux problèmes des autres. Ses qualités sont d'autant plus remarquables qu'il est constamment confronté à Dissia-l'Hyène à l'égoïsme légendaire ; qui n'hésite pas à mettre sa famille, son village en danger pour satisfaire ses désirs. Ne respectant pas les traditions, bafouant les règles qui régissent la vie entre les animaux , il affecte dangereusement  la cohésion et l'équilibre entre les différentes espèces.

Dissia, en raison des conséquences désastreuses de ses actions nous rappelle qu'il faut développer les qualités de Tôpé pour favoriser l'accomplissement de soi et contribuer au bonheur de son entourage.

On trouve dans ce conte des enseignements d'ordres moraux sociaux, pratiques... L'auteur insiste notamment sur le rôle crucial des femmes dans le bon fonctionnement des familles et des villages dans leur ensemble.

Simple, plein d'humour et de malice tout en étant riche d'enseignements en tout genre, ce conte initiatique amènera aussi bien les enfants que les adultes, des villages ou des villes, à s'interroger sur les attitudes à imiter ou à rejeter, sur la façon d'appréhender l'adversité...

L'auteur nous livrera toutes les clés pour " être un "Tôpé""; expression que l'on utilise pour qualifier une personne rusée en pays Tagouana, au centre de la Côte d'Ivoire. 

19 juin 2013

Les pieds sales - Edem Awumey

C'est Akpedze une amie à moi, pour ne pas dire une sœur, qui m'a offert ce roman d'Edem Awumey. C'est un auteur qui comme elle, est né au Togo et vit aujourd'hui au Québec. Quand j'ai découvert ce qu'il y avait à l'intérieur du paquet , elle a dit " Tu vas pouvoir parler d'un auteur du Togo maintenant" ! C'était un gentil petit coup de pression ! (rires)

Je ne connaissais pas Edem Awumey. Pourtant, dès la parution son premier roman, il s'est tout de suite affirmé comme un écrivain de talent . En effet Port-Mélo, paru en 2006, remportera le Grand Prix Littéraire d'Afrique noir. Son deuxième roman, Les pieds sales, paru en 2009 a été retenu pour la sélection du prix Goncourt de la même année.

Les pieds sales ce sont les personnes qui "avaient les pieds crottés et blanchies par la boue et la poussière de toutes les routes qu'elles avaient courrues depuis là-bas"
Ce sont les migrants, les vagabonds poussés sur les routes , pour diverses raisons ; dans l'espoir de connaître des jours meilleurs. Bien souvent, ils se dirigent vers le Nord, en Occident, objet de tous les fantasmes.

Askia est un pied sale.  Son errance a commencé alors qu'il n'avait que cinq ans. À dos d'âne et accompagné de ses deux parents, ils fuyaient la sécheresse qui sévissait au Sahel.
À 47 ans, il erre toujours mais dans les dans les rues de Paris, cette fois, au volant de son taxi. La ville lumière n'est pour lui qu'un labyrinthe sinueux fait d'ombres fantasmatiques qui ne cessent de lui échapper à l'image de son histoire. En effet, Askia est hanté par un  fantôme, celui de son père qui a mystérieusement disparu quelques années auparavant en France. Askia accepte l'idée que son père les ait abandonnés. Mais il semble que le spectre de ce dernier et de sa disparition, ne veuille pas le lâcher. Tout le ramène à son passé, à ce père : Sidi Ben Sylla Mohamed. L'avenir d'Askia semble obstrué

"Tu lui ressemble, Askia. Si tu portais un turban, toi aussi , ce serait parfait. J'aurais l'impression que c'est lui qui est revenu, tout juste l'impression. Car il ne reviendra pas" lui disait sa mère.

"Embraye, Télémaque ! En route ! Pour toutes les raisons que tu veux!" lui dit son père disparu, lorsqu'il rêve.

Même les clients de son taxi lui parle de ce dernier.

Lorsqu' Olia, une jeune photographe Bulgare, monte dans son taxi, elle est tout de suite frappé par la ressemblance entre Askia et ce monsieur en turban qu'elle a photographié quelques années auparavant dans  Paris.Les deux personnages se lancent alors à la recherche de Sidi Ben Sylla Mohamed. 
Askia nourrit enfin l'espoir de pouvoir trouver des réponses à ses questions...

On assistera  à la naissance d'une amitié entre les deux personnages , autour de la figure de ce père.
Ils se sentent d'autant plus proche qu'Olia est elle-aussi une pieds sales, à l'histoire affligeante.
Alors qu'ils sont sur une piste sérieuse, les deux personnages seront rattrapés par leur histoire respective, par les actes posés sur les routes de leur pérégrination...



Ainsi, au-delà du mystère entourant la figure de son père. Askia est dans une véritable quête identitaire. La question "Qui es tu ?" reviens sans cesse...

Mais comment y répondre lorsque l'on a jamais vu son père auquel tous les commentaires nous ramènent ? Lorsque l'on est parti de chez soi depuis si longtemps que l'on n'ose plus y retourner ? Lorsque l'idée du retour  est plus angoissante que celle de continuer à vivre dans la misère, la pression et les menaces ? Comment y répondre lorsque l'on est sans papiers ?

Edem Awumey nous dépeint à travers la vie de ses différents personnages le calvaire d'un grands nombres de migrants : les compromis, la précarité, le racisme, la solitude mais surtout la question du retour ou au contraire de l'exil sans fin. Qu'ils fuient des régimes totalitaires, la misère économique ou  d'autres problèmes, ces personnes , sont souvent prêtes à tout pour partir de chez elle et atteindre la "terre promise". Pourtant, une fois arrivée sur place, la réalité est loin d'être celle qui avait été imaginée.

Certains se battront pour être accepté, pour pouvoir mener une existence décente et ne plus être considéré comme ces étrangers que l'on ne veut pas voir s'arrêter trop longtemps chez soi.

Pour d'autres, commencera une vie de désillusion de laquelle il sera difficile de se soustraire . Car, en effet, à moins d'avoir les moyens ,le courage d'affronter son passé, la situation que l'on fuyait, les changements dans le pays d'origine, le regard des autres; la question du retour restera inconcevable pour beaucoup. On est alors, malgré soi, obsédé par ce que l'on a laissé là-bas. On s'accroche à tout ce qui pourrait nous rappeler ce là-bas qui nous est à la fois si cher et effrayant.

On s'accroche aux photos par exemple. Elles ont une place importante dans ce roman. Les personnages s'accrochent aux visages qui y sont et les emporte partout avec eux. Elles sont comme un semblant de stabilité dans leur univers agité ou tout peut basculer. Elles leur permettent de retracer leurs pérégrinations, fixer leurs souvenirs, leur redonner le sourire ou leur rappellent tout simplement des événements ou période marquante de leur vie.

La question de la quête et de la migration revient tout au long du roman, à travers l'histoire des différents personnages mais également à travers les différentes références de l'auteur. En effet le roman est émaillé de références littéraire et historique qui le rendent intéressants mais complexe également. Askia est un Télémaque des temps modernes qui cherche , Ulysse son père. L'auteur fait également référence à Don Qui Chott  "Vous autres, chevalier errants, vivez en rêvant et rêvez en vivant". L'auteur mentionne l'histoire de l'empire du Songhaï et de l'un de ses rois "Askia Mohamed", l'exode des Éwe, peuple du Togo....

On ne peut donc se laisser aller pendant la lecture de ce roman et ce d'autant plus que l'histoire n'est pas linéaire. L'auteur alterne entre rêve et réalité, retour brusque dans le passé de ses différents personnages...

Les références à différentes villes, continents et histoires sont nombreuses. L'univers d'Askia semble alors atemporel. On oublie qu'il vit à Paris, qu'il vient du Togo où sévit une dictature... 
C'est tout simplement l'histoire d'un migrant, d'un homme qui veut donner un sens à sa vie...

C'est un roman à portée universelle.

L'histoire qui m'a le plus touchée est une histoire secondaire, celle de Monsieur Ali de Port-Saïd : " Il bougeait pour ne pas poser les fesses dans une gare avec le risque de prendre froid. Il vendait ses marrons de Gonesse à Boulogne, histoire de circuler. Et Port-Saïd s'éloignait de plus en plus, Port-Saïd et Abu Nuwas, alors il se fabriquait des pyramides en papier sur le boulevard Saint-Michel pour ne pas oublier..."


15 juin 2013

Un an déjà !!!

Aujourd'hui c'est le premier anniversaire de ce blog. J'en profite pour faire un petit bilan.

Au niveau statistique

Au moment où j'écris cet article , le blog a exactement  14 791 vues à son actif. Ce qui fait, depuis le 15 Juin 2012, une moyenne d'environ 39 visiteurs par jour.
Ce n'est pas énorme mais je n'en suis pas mécontente.
Au fur et à mesure que le blog s'est enrichi de nouveaux articles, il y a eu de plus en plus de visiteurs...

Ainsi dans le top 5 des articles les plus consultés depuis la création de ce blog; on retrouve
1. Les frasques d'Ébinto ( Côte d'Ivoire)
2. Soundjata ou l'épopée Mandingue ( Mali) 
3. Grand-Bassam : ville historique, Berceau de la Côte d'Ivoire  (Côte d'Ivoire) 
4. Le Musée National des Costumes (Côte-d'Ivoire)
5. Les aventures de Leuk-le-Lièvre ( Sénégal)

Ces visiteurs  viennent de toutes les régions du monde : de la Chine en passant par le Danemark, l'Ukraine, la Turquie ou encore l'Argentine.

Dans le top 10 des pays, on retrouve sans surprise, une majorité de pays francophone :
1. États-Unis
2. France
3. Côte d'Ivoire
4.Canada
5. Burkina
6. Russie
7. Sénégal
8. Allemagne
9. Gabon
10.Belgique


Au niveau personnel

Ce blog m'a permis d'apprendre à lire de manière beaucoup plus active. Il me semble qu'avant, j'étais plutôt "spectatrice" des  histoires, des événements et de la manière dont ils étaient racontés. Je m'intéressais peu aux auteurs et au contexte dans lequel ils avaient écrit leur livre.
Ainsi être une lectrice plus active permet de commenter les romans que l'on lit  mais également de se souvenir assez longtemps de ses aspects et éléments les plus importants.

Ces livres m'ont  apporté des connaissances multidisciplinaires sur le continent africain dont l'histoire et les cultures me passionnent. J'ai donc préféré les romans que l'on peut assimiler à des fresques historiques ...

Mais ce blog m'a surtout permis de faire la connaissance de personnes enrichissantes, des partenariats, des discussions...

Je regrette toutefois de ne pas avoir plus de commentaires/critiques de personnes ayant lu les livres dont je parle...

Je remercie tous les visiteurs de ce blog, toutes les personnes qui ont commenté, celles qui m'encourage, qui partage mes articles sans oublier celles qui m'offre des livres !!!



Un grand merci à tous !




1 juin 2013

Nouvelles du pays - Sefi Atta

Ce recueil de nouvelles , nous emporte au cœur d'un Nigéria vivant, plein de contradictions où les innocents ne tardent pas à devenir des criminels, où la modernité et la tradition s'entrechoquent, où les extrémismes s'enflamment,  où la misère côtoie le luxe , où  d'un moment à l'autre tout peut basculer sans coup férir.

À travers les onze nouvelles du recueil, Sefi Atta se fait chroniqueuse du quotidien des nigérians de Lagos et d'ailleurs. Il y a le carrossier visité par des foules à cause d'une prétendue apparition de la Vierge Marie sur un pare-brise, la femme adultère qui sera lapidée, la petite fille intransigeante au cerveau formaté par le poids de son environnement, la bande d'artiste qui se transforme en "desperados", la jeune étudiante qui travaille au noir à Londres et bien d'autres...

Chacune des histoires nous est racontée avec humour et froideur. Comme "Virée au crépuscule", où un jeune Nigérian remonte vers le Nord avec un groupe de migrants clandestins en direction de l'Europe. En chemin il rencontre Patience, une "va bene" (prostituée) attachante de Bamako,  qui brandit sa Bible, à chaque fois qu'elle en a l'occasion. Il décide de la protéger jusqu'à ce que celle-ci lui fasse un coup aussi surprenant qu'inattendu.
 On se surprend à rire de ces retournements tragiques et déboires des personnages.

Nouvelles du pays est une galerie de portraits de femmes qui refusent de battre en retraite devant leurs craintes. Des femmes pleines de vitalité qui se battent contre elle-même , leur entourage , la société. Elles tentent de se soustraire de leurs difficultés par divers moyens : le sexe, la drogue, la religion, la fuite vers l'occident ou tout simplement en s'accrochant à de modestes rêves. Ainsi c'est tout autant de thème que l'auteure aborde avec réalisme et humour; nous permettant d'encaisser ces histoires  bouleversantes où le désir de s'en sortir à tout prix peut pousser à commettre l'irréparable.
Les problèmes politiques du Nigéria ne sont pas en reste, elle aborde des questions telles que le mépris des multinationales pétrolières pour les populations locales, les conflits inter-religieux qui embrasent le Nigéria, la responsabilité des journalistes, le militantisme...



À travers ces nouvelles, c'est également l'image d'une Afrique partagée entre misère et exploitation économique, entre attachement à ses racines et regard vers l'Occident, entre fanatisme religieux et modernisation des pratiques, entre retard de développement et maîtrise d'internet et des réseaux sociaux où sévissent les yahoo yahoo boys (Arnaqueurs)... que nous dépeint Sefi Atta. 
Comme à  l'image de ce continent aux diverses aspérités, le lecteur oscille entre joie, amertume; rire et peine. 

Les chutes sont surprenantes, imprévisibles et  ambiguës. Le lecteur a une impression d'inachevée qui soulèvent des pistes de réflexion et laisse libre cours à notre imagination.
Les dialogues rythment les récits et permettent de cerner rapidement les personnages. 
La langue de l'auteure est vive et décalée. Il s'agit d'une traduction mais il semble que Charlotte Wolliez ait réussi à faire ressortir toutes les nuances de l'oeuvre originale. On ressent le désarroi des clandestins, l'hypocrisie des collègues de travail, la froideur du bureau américain qui distribue les cartes vertes, la tension et l'indécision avant les attaques... 

Sefi Atta est née à Lagos en 1964. Elle a étudié au Nigéria, en Angleterre et aux États-Unis. Elle  vit dans le Mississipi depuis une quinzaine d'année. C'est une romancière, nouvelliste et dramaturge. Elle a reçu en 2006 le prix Wole Soyinka pour son premier roman Le meilleur reste à venir (Everything good will come) (2005). Avec Nouvelles du pays ( News from home) (2009), elle a été la dernière lauréate du prix Noma, prix reçu par  Mariama Bâ en 1980 pour son  roman: Une Si Longue Lettre

Nouvelles du pays m'a donné envie de connaître les autres œuvres de cette auteure.

14 mai 2013

Reines d'Afrique et héroïnes de la diaspora noire - Sylvia Serbin

J'ai découvert Sylvia Serbin et son ouvrage , il y a quelques années déjà lorsque je regardais assidument l'émission B.World connection . C'est une émission qui souligne l'apport des peuples noirs à l'héritage universel. Elle tente d'éduquer les jeunes issus du peuple noir en leur apportant des éclairages, mais surtout en leur donnant des exemples de réussite auxquels ils peuvent se référer.

L'auteure était donc incontournable pour l'émission en raison de la teneur inédite de son ouvrage, mais également pour sa perspicacité et la persévérance dont elle a fait preuve pour mener à bien cette entreprise.

Elles s'appelaient Abla Pokou, Anne Zingha, Ndete Yalla, Yennega, Ravalona III.... Elles étaient adulées et craintes par leur peuple. Elles haranguaient les foules, conduisaient des armées, faisaient preuve de bonté, d'abnégation ou d'extrême cruauté; étaient de fins stratèges ou d'implacables intrigantes...
Elles étaient mère ou sans enfants, avaient des défauts , des faiblesses, ont été victime ou  martyr...

Ce sont les Reines, femmes d'influence, résistantes, prophétesses, mère de héros/fondateur d'empire, guerrières du peuple noire dont Sylvia Serbin dresse le portrait. Vingt-deux femmes remarquables ayant marqué l'histoire de l'Afrique et de sa diaspora, de l'Antiquité au début du XXème siècle, méconnues ou risquant de tomber dans l'oubli.

L'auteure nous fait découvrir ou redécouvrir ces femmes sans les sublimer. Elle nous les présente avec leur bon et mauvais côté suscitant successivement respect, admiration, choc ou répulsion chez le lecteur.

On peut donc s'identifier à elle, à leur qualité ou leur défaut. Sylvia Serbin n'a idéalisé personne afin de rester objective, mais surtout crédible.

Ainsi les femmes que nous découvrons, viennent de différentes régions du continent et reflètent la diversité des modes de vie et de culture de l'Afrique précoloniale. En effet, au-delà de chacun des portraits l'auteure s'attache à nous expliquer le fonctionnement de leur société respective ; organisées, structurées, politisées, qui commercent avec leurs voisins et sont porteuses de valeurs universelles contrastant avec les idées véhiculées selon lesquelles avant leurs "découvertes", les sociétés africaines étaient figées ou peuplé uniquement de tribus guerrières, de cannibales ou d'arriérés...

Chacun des portraits s'inscrit dans un contexte particulier qui permet à l'auteur de nous éclairer sur certains faits historiques ou personnages contemporains de l'héroïne concernée. Elle nous parlera entre autres de la traite des Arabes, des échanges commerciaux entre les deux rives du Sahara ou encore de l'islamisation de l'Afrique... Elle nous parlera également du général Faidherbe, du mansa Kankan Moussa, l'homme qui a suscité les convoites et l'obsession des Européens pour l'Afrique, de Soundjata Keita ou encore Shaka Zulu...

L'auteure restitue Néfertiti à l'Afrique comme pour nous rappeler que l'Égypte fait partie du continent et qu'il ne s'agit pas d'une entité à part. Les chercheurs occidentaux font souvent référence à cette dernière pour souligner sa beauté exceptionnelle. Dans le livre, elle fait partie des femmes de pouvoir et d'influence. On apprend qu'en plus d'être belle, elle a joué un rôle considérable en Égypte en influençant la plupart des décisions de son époux.

Elle nous parle d'Harriet Tubman des États-Unis qui mériterait de "figurer dans quelque panthéon de héros universels pour avoir, au péril de sa vie, aidé des centaines de Noirs à fuir la férocité des plantations du Sud" ou encore de la mulâtresse Solitude; chapitre où elle brosse le portrait de la société guadeloupéenne où règne la pigmentocracie. Malheureusement, ces femmes sont uniquement célébrées dans leur communauté respective. 

En présentant ainsi des femmes d'Afrique , des Antilles et des États-Unis dans le même ouvrage, Sylvia Serbin fait de son livre un pont pour rapprocher ces communautés qui bien souvent refusent de s'identifier les unes aux autres pour diverses raisons, ralentissant ainsi la création d'une mémoire collective.



Sylvia Serbin, semble, elle, ne pas avoir eu de mal à s'identifier à l'une ou l'autre de ces communautés pour produire ce travail . D'origine Afro-antillaise (Martinique), elle est née et a grandi en Afrique où elle a vécu une trentaine d'années. Son métier de journaliste lui a permis de beaucoup voyager et d'interroger les traditions orales des pays dans lesquels elles se rendaient. Ces informations, couplées à celles qu'elle trouvaient dans les archives d'explorateurs occidentaux, arabes et autres ; lui ont donné des dates et faits précis, des informations objectives incontestables que l'on retrouve dans l'ouvrage.

Le véritable déclic pour l'écrire lui est venu de sa fille, qui à l'âge de 8 ans, après avoir regardé Pocahontas, lui demande "comment se fait-il que tous les autres pays aient des femmes célèbres et pas les gens comme nous ?... On n'existait pas avant ?".

Dès les premières lignes , l'auteure nous dit donc ceci :
" À qui ferait-on croire, en effet, qu'une moitié du genre humain serait restée muette, inactive, silencieuse, absente, transparente même, tandis que l'autre partie s'affairait à
combattre, à diriger, à construire, à protéger ? Pas même à la plus candide des intelligences. Car depuis que le monde est monde, les femmes aussi ont fait bouger les choses et il serait vain de faire croire que l'animation des scènes historiques ne relève que des hommes. Ailleurs, sous bien des latitudes, un nombre croissant d'auteurs d'attellent à une relecture du passé pour y trouver des tempéraments féminins à valoriser, fussent-elles épouses ou favorites de rois. Mais jamais aucune femme noire n'a été consacrée comme héroïne dite universelle".

Ainsi à travers cet ouvrage l'auteure souhaite donc célébrer les reines et héroïnes noires, leur rendre hommage, mais surtout faire en sorte que leur souvenir ne disparaisse pas de nos mémoires. Elle souhaite également que les enfants issus des peuples noirs aient un autre patrimoine que celui de l'esclavage et de la colonisation pour se construire une identité forte. Enfin elle souhaite que les femmes noires, bien souvent absentes de la mémoire collective, se rappellent (ou sachent) qu'elles ont joué des rôles primordiaux dans les combats de l'humanité.

18 avr. 2013

Odwira ou les écueils d'une vie de bonne ( Tome 1) - Essie Kelly

Bien souvent nous ne prenons pas la peine de lire de nouveaux talents jusqu'à ce que ces derniers fassent définitivement leur preuve en devenant des auteurs qui bénéficient d'une plus grande visibilité, et ce, notamment après avoir publié plusieurs œuvres.

Essie Kelly , elle, semble avoir pris les choses en main, en mettant à profit les moyens de communication modernes que sont les réseaux sociaux. C'est grâce à facebook que j'ai entendu parler de son ouvrage pour la première fois . Puis j'ai découvert sa page de fans. Ce sont les extraits de son roman qu'elle a publié puis ses petites phrases très poétiques et imagées qui m'ont donné envie de lire Odwira.

J'ai donc commandé son roman. Je l'ai récupéré dans ma boîte aux lettres hier soir en rentrant. J'avais décidé de ne lire que quelques pages avant de dormir et finalement , n'ayant pu m'arrêter, je l'ai terminé le soir même.

Le livre nous captive dès la première page en raison de la qualité de l'écriture et des descriptions qui nous permettent dès le début de sentir de l'attachement ou de la répulsion pour les personnages. Comme un sinistre présage, les premières pages nous font réaliser qu'Odwira a eu une vie difficile et que la suite ne sera pas de tout repos. En effet, contrainte à arrêter ses études afin de travailler pour aider financièrement sa famille, la jeune fille sera projetée dans un monde où tout lui échappera. Livrée à elle-même; elle devra trouver la force de sortir de cet enfer, ne serait-ce qu'avec de simples échappatoires mentales.


À travers l'histoire d'Odwira, Essie Kelly souhaite nous faire plonger dans la réalité difficile des jeunes bonnes. Elle souhaite attirer notre attention sur la vie de ces filles, qui ne sont , parfois , que des enfants lorsqu'elles commencent ce travail , qu'elles l'aient décidé de leur plein gré ou non. Ces dernières, bien souvent livrées à elle-même subissent des abus en tout genre inhérents à leur méconnaissance de leurs droits non pas en tant que travailleuses, mais en tant qu'enfants. 

L'auteur se sert de son roman pour attirer l'attention et sensibiliser son lecteur à d'autres problèmes et questions de société tels que la condition de la femme , la question du sida, de l'insalubrité et bien d'autres encore.



Au-delà de l'histoire difficile d'Odwira et des sujets graves qu'elle aborde, il m'était impossible de décrocher et ce d'autant plus qu'elle parle de lieux que je connais , d'habitudes que j'ai, car l'histoire se déroule dans la capitale ivoirienne. Ma partie préférée est sans aucun doute celle du marché. Je pense que toutes les Africaines qui liront cette partie, ne pourront s'empêcher de rire ou de sourire. Elle nous permet de "souffler un peu" , car l'histoire d'Odwira nous prend aux tripes.



J'ai hâte de lire la suite...

8 avr. 2013

Climbié - Bernard Blinlin Dadié


Premier roman ivoirien, paru en 1956, Climbié, signifie en N'zima ( ethnie du grand groupe des Akans) : plus tard. Il s'agit d'un roman autobiographique qui raconte le parcours du jeune Bernard Dadié depuis son village natal, jusqu'à Grand-Bassam, première capitale de la Côte d'Ivoire,  Bingerville seconde capitale du pays ; Gorée, capitale de l'AOF, où se trouve l'école Normale Supérieure William Ponty et enfin Abidjan.

Le roman se divise en deux parties et se déroule en pleine période coloniale. Dans la première partie, nous suivons le parcours scolaire du jeune garçon en Côte-d'Ivoire, jusqu'à son admission à William Ponty. Dans la seconde nous le suivons à Dakar, où il vivra de nombreuses années avant son retour en Côte-d'Ivoire, où il commence à militer au sein du RDA (Rassemblement Démocratique Africain).



Dans la première partie, le lecteur constate très vite le contraste entre la  vie de Climbié au village puis celle qu'il mènera dans les deux grandes villes du pays. En effet, au village, il vit avec son oncle N'Dabian, , un planteur qu'il considère comme son père. Il y reçoit une éducation traditionnelle faite de soirées à écouter des contes et de journées passées au champ. C'est une période d'insouciance que son oncle tentera de faire durer le plus longtemps possible jusqu'à ce que Climbié soit obliger de le quitter pour aller à Grand-Bassam pour "l'école des blancs".

 En ville, rien ne sera plus pareil.  Le jeune Climbié constate que les  habitants de Grand-Bassam,  croulent sous le poids des différentes règles et mesures caractérisant cette époque, qui tentent de les soustraire à leur "sauvagerie". Ainsi, de nombreuses mesures sont prises par les autorités, selon les circonstances. Celles qui marqueront Climbié seront l'interdiction des tams-tams parleurs, "compagnon de joie" qui résonnent tous les soirs,  en cas de décès d'un blanc ou encore l'interdiction des dialectes à l'école...
 Tous les enfants sont obligés de fréquenter l'école de la République qui semble être est une machine à commis, au service de l'administration française.  Tout le monde rêve de devenir commis pour travailler pour les Européens, gage de réussite. "Et chacun tenait à ce que son enfant sortît commis. De là la désaffection pour les travaux de la terre. Planter , s'aggriper au sol, refuser de se laisser déraciner et emporter par la vague torrentielle des modes , refuser de se laisser ballotter par les tourbillons de conceptions plus ou moins contradictoires, c'était hélas vouloir rester "sauvage", tant les villes attiraient, fascinaient" p70. Ainsi s'amorça l'exode rural, aggravé par les tributs trop lourd qui pesait sur les villages et auxquels la population essaye de se soustraire en s'installant en ville.

Dans la seconde partie du roman, à Gorée, Climbié sera confronté à une autre réalité, plus difficile et déroutante encore. Mais celle-ci sera déterminante pour la suite ,notamment pour son brillant parcours politique mais également pour son parcours littéraire ...

Ainsi dans Climbié, nous découvrons le parcours de Bernard Dadié, figure de proue de la littérature ivoirienne; auteur de nouvelles, romans, poésies militantes, de théâtre, d'essai et lauréat à deux reprises du Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire pour Patron de New York (1965) et La ville où nul ne meurt (1968).

Il aborde les nombreuses questions qui ont alimenté son parcours et ses réflexions ; notamment le rôle des divers types d'instruction, la  lutte contre le colonialisme et les injustices, la lutte pour l'indépendance et la démocratie, la lutte pour la valorisation  et la conservation de la culture et des identités africaines et bien d'autres encore...

C'est un roman intéressant, qui nous replonge dans la vie de cette époque, notamment à Grand-Bassam ou encore à Gorée  où les fortes présences européennes affectent directement  le quotidien de leurs habitants. Bien que l'auteur soit très critique ,envers la figure du colon, son roman est émaillé de nombreux messages de tolérance : " Tes études t'apprendront à secourir tout homme qui souffre parce qu'il est ton frère. Ne regarde pas jamais sa couleur, elle ne compte pas. Mais en revanche ne laisse jamais piétiner tes droits d'homme , car même dans le plus dur esclavage, ces droits-là sont attachés à ta nature même." p51
On y retrouve également de nombreuses préconisations : " Dans le monde actuel, les ignorants n'auront pas de place. L'homme instruit est un lion. Instruisez-vous, sans cependant abandonner vos coutumes". p.55 qui témoignent de son attachement à l'instruction et à la culture de son continent, auquel il  a rendu hommage à travers ses nombreuses œuvres.