Amadou Koné commence à écrire Les frasques d'Ebinto , alors qu'il n'est encore qu'au collège. Il l'achève durant sa dernière année de lycée, à l`âge de 18ans. Publié en 1979, ce roman a révélé au grand public le talent du jeune homme et annoncé son parcours prometteur. Il est aujourd'hui professeur de littérature francophone et de culture africaine à l'Université de Georgetown.
Les frasques d'Ebinto c'est l'histoire d'un jeune intellectuel/rêveur, ambitieux/réaliste, issu d'un milieu modeste et promis à un grand avenir. C'est un garçon doté d'une grande sensibilité à force de lectures et de rêveries.
Durant tout son parcours scolaire, Ébinto s'illustre par son intelligence et sa passion pour le travail qu'il ne considère pas comme une corvée mais plutôt comme un passe-temps agréable. Il aime donc à réviser chez lui, lire de nombreux romans, philosopher sur la condition des africains et ce malgré son jeune âge.
Mais comme tous les jeunes garçons, il est un jour rattrapé par la vie qui le sort de ses rêveries : il rencontre l'amour. Enfin il croit l'avoir rencontré et sa passion pour le travail est alors remplacée par celle pour cette fille qui va affecter son existence toute entière . Elle va le posséder, le hanter...
Ebinto le rêveur est alors confronté à une triste double réalité : celle de l'amour qui n'est pas réciproque, celle de la différence de milieu qui est un obstacle supplémentaire à cet amour à sens unique. Ce n'est alors que le début de ses malheurs....
En effet, à la suite d'un évènement inattendu, qui tombe comme une sentence pendant ses "grandes vacances", sa vie de jeune garçon en pleine adolescence va prématurément basculer vers celle d'un homme adulte. S'envolent alors ses rêves, ses ambitions, ses vœux les plus chers et commence une vie de désillusion qui va le faire basculer dans le MAL. Il choisira volontairement le "côté obscur .." et fera payer cette nouvelle vie à tout son entourage, à la femme qui l'aime...
Avec ce basculement , une série d'évènements tragiques se succèderont dans la vie d'Ebinto. L' adolescent rêveur et ambitieux, se transforme en "adulte" froid et amer...
Le roman prend alors une autre tournure. La première partie où l'on connait un Ebinto, plein de joie de vivre, qui a confiance en l'avenir laisse place à une partie sombre car l'on voit un Ebinto plein d'amertume se transformer, se révolter contre la vie ou plutôt contre la personne qu'il accuse de lui avoir volé sa jeunesse, ses rêves: "La colère d'un jeune homme sérieux est calme et terrible. Elle n'est pas furieuse, elle est froidement cruelle ..." p78
Ce roman est écrit de manière remarquable. On y trouve de belles descriptions, notamment de la ville de Grand-Bassam où se déroule une grande partie de l'histoire. On y trouve également de nombreuses phrases proverbiales. De plus Amadou Koné semble maîtriser l'art du suspense et des retournements de situation. Il y a des livres que l'ont lit et qui nous semblent prévisibles mais celui-ci aura réussi, à me surprendre, à chaque chapitre, chaque paragraphe . Je l'ai tout simplement adoré et regretté de l'avoir terminé aussi vite car je me suis attachée à ce jeune Ébinto qui est ,à mon humble avis, devenu méchant malgré lui.
Mes deux personnages préférés sont Ébinto et Monique.
Ébinto : le héros qui devient un anti/héros.
C'est un adolescent plein de contradictions, qui se considèrent comme un "rêveur-conscient" car il a conscience de sa réalité difficile mais s'en évade à travers ses rêves, ses idéaux, dont celui de croire "qu'un jour tous les hommes seraient bons et que tout le monde serait bien" p36 ! Il a perdu son père très tôt et c'est sa mère qui s'occupe seule de ses frères et soeurs et finance difficilement ses études...
Ébinto est passionné d'"école" mais plus particulièrement de littérature. Sa plus grande richesse dans la maison au mobilier "pauvre et rustique" de sa mère est sa bibliothèque pleine de livres. Sa vie est rythmée par ses lectures, les nouvelles connaissances qu'il acquiert, les nouvelles évasions qu'elles permettent. Ainsi, il fait référence à de nombreuses œuvres littéraires dans ses conversations, dans son quotidien. Il fait, par exemple ,référence à la fille qu'il aime comme à une "Sylphide". Lorsque la vie lui ôte ses rêves avec violence et qu'il choisit de lui répondre également par la violence, il se compare à Maldoror, l'homme bon qui "s'aperçut ensuite qu'il était né méchant".p78
Les livres sont ses amis car Ébinto est un solitaire qui n'est proche que de Koula , Bazié et Monique. Il est d'autant plus seul que sa mère ne comprend pas son souhait de vouloir continuer ses études . Elle le poussera d'ailleurs à les arrêter quand sa vie basculera.
La lecture a une grande place dans ce roman et Ébinto semble être le miroir du Amadou Koné de l'époque qui du haut des ses 18ans avait déjà une grande culture littéraire. Tout comme l'auteur, Ébinto va également au collège dans la ville historique de Grand-Bassam.
Monique c'est la femme qui aime Ébinto.
Elle m'a marqué car la passion qu'elle éprouve pour Ébinto et la patience dont elle a fait preuve envers lui, quand il est devenu méchant, m'a semblé SURHUMAINE. J'irais même jusqu'à dire qu'elle est l' illustration possible de ce passage de la Bible : " L'amour est patient, il est plein de bonté. L'amour n'est pas envieux, il ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais au contraire l'amour se réjouit de la fidélité. Il excuse tout, il espère tout, il supporte tout. L'amour ne meurt jamais" (1 Corinthiens 13)
C'est la femme qui mènera Ébinto à cette belle conclusion "Que de peines nous éviterions si nous prenions chaque être pour ce qu'il est et non pour ce que nous aurions préféré qu'il fût" ( p108, Éditions Hatier International)
C'est un roman bouleversant qui ne laissera pas le lecteur indifférent.