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18 août 2015

Tels des astres éteints - Léonora Miano

Tels des astres éteints est le troisième roman de Léonora Miano. Contrairement à ses deux premières œuvres qui se déroulent en Afrique, celle-ci se déroule au « Nord », sur une terre appelée  « intra-muros de la Grande Ville ». On devine aisément qu’il s’agit de Paris bien que la ville ne soit jamais explicitement nommée.

C’est là que vivent les trois personnages principaux :Amok, Shrapnel et Amandla. Pourtant, très vite, le lecteur réalise que ces derniers y sont comme des ombres voire des fantômes. Chacun est hanté, à sa manière, par le « Continent », «le Pays-Premier » ou encore « La Terre Primordiale » et tout ce qui s’y rapporte. Leurs âmes y sont suspendues. Ils ne peuvent vivre dans le présent, se détacher du continent et de l’histoire qui s’y rattache. Ils semblent en porter le poids sur leurs épaules, et ce d’autant plus que leur couleur noire les ramène sans cesse à cet ailleurs.

Amok est africain. Il est issu d’une famille nantie dont le patronyme pourrait lui ouvrir toutes les portes auxquelles il voudrait frapper au pays. Malgré cela, il a décidé de fuir et de s’exiler en Europe. Son pays est synonyme de blessure et de culpabilité car son nom le ramène sans cesse à son histoire familiale, à son grand-père qui a été un « traître » en collaborant avec les colons.  Malgré son exil volontaire, l’Europe n’est pas un refuge pour lui. Il ne se sent pas chez lui et ne souhaite pas s’y enraciner. Il se renferme alors sur lui-même. Il s’efface.

Shrapnel est le meilleur ami d’Amok. Ils se connaissent depuis le pays où ils ont grandi ensemble. Il est arrivé en Europe dans des conditions plus difficiles. Mais pour lui, ce voyage n’était pas une fuite en avant. Marqué par l’abattage de l’arbre centenaire de son village et le déplacement contraint de sa communauté, il souhaitait voir le Nord afin de comprendre sa puissance, ce qui lui a permis de dominer son continent et de faire basculer son équilibre. Contrairement à son meilleur ami, Shrapnel est animé par un rêve qui lui permet d’envisager un enracinement au Nord. Il se (sur)investit.

Amandla quant-à-elle, vient de Guyane. Elle n’a jamais mis les pieds en Afrique. Pourtant, élevée par une mère adepte du rastafarisme, son regard est tourné vers le Continent. L’Afrique est  la terre primordiale, sa terre promise. Le seul endroit où elle sera chez elle. En attendant, elle vivote en Occident et rêve d’une terre dont elle ignore les réalités ou qu’elle choisit de sublimer. Elle s’accroche à une Afrique mythique, « dépassée », dont elle prie les divinités. Elle attend patiemment de se lier à un homme du continent, avec lequel elle pourrait opérer un « retour » chez elle.




À travers ces trois personnages, l’auteure explore les différentes manières d’être noir ou « d’habiter cette carnation » (p190) lorsqu’on vit au Nord. Pour certains, elle définit entièrement l’identité, en devient l’unique composante et oriente toutes les actions. Pour d’autres au contraire, elle a peu d’impact sur la façon de se définir ou d’agir. Malgré leur position différente, chacun des personnages finit par se retrouver dans une impasse.

La position de chacun s’inscrit souvent dans la tradition de pensées d’un mouvement de la conscience noire. À travers l’examen de ces derniers, l’auteure interroge la place de l’Afrique dans l’imaginaire de sa diaspora. Afrocentricité, rastafarisme, panafricanisme, nationalisme noir sont presque étudiés pour relever leurs apports à l’histoire des noirs, ne serait-ce parce qu’ils ont permis de créer des rêves (des utopies aussi ?) et des échappatoires mentales. Toutefois, l’auteure s’attèle surtout à relever leurs contradictions, celles de leurs leaders et leurs limites. À chaque argument est présenté un contre argument. Les personnages y débattent et opposent leurs positions…

…Pourtant il n’y a aucun dialogue dans le roman. C’est une des choses qui m’a particulièrement frappée. Les personnages ne dialoguent pas. Ce sont leurs errements intellectuels, leurs pensées intimes qui sont juxtaposées et qui servent de réponses, arguments et contre-arguments. L’absence de dialogue permet de souligner leur chaos intérieur, leur enfermement dans leur position respective. Les premières pages du roman, notamment  dans le chapitre « Afro Blue » - première partie,  illustrent bien cette sensation d’enfermement, de repli sur soi. Les phrases sont travaillées et courtes. Le rythme est saccadé et donne une sensation de suffocation. Il traduit bien la situation d’Amok. La partie II du même chapitre, offre un rythme différent. On rentre dans la vie de Shrapnel, qui contrairement à Amok est plein de vitalité et d’enthousiasme pour le rêve qu’il poursuit. Le rythme est plus entrainant, moins sombre. C’est d’ailleurs lorsque j’ai abordé l’histoire de Shrapnel que j’ai réalisé que je n’avais pas aimé la première partie, sur Amok. Et j’ai compris pourquoi. Elle était difficile à lire en raison de ce qui y est raconté et du style employé par l’auteur. Dans la partie sur Shrapnel, l’étau semble se desserrer un peu pour finalement se resserrer quand vient la partie sur Amandla.

Malgré le style de l’auteur et la sensation de mal-être qu’il induit, j’ai beaucoup aimé Tels des astres éteints. Pour celles et ceux qui, comme moi, sont passionnés par les questions de la conscience noire, qui ont déjà flirté avec certains de ces mouvements et qui aiment les essais sur ces sujets, c’est un roman passionnant. Un roman qui a des allures d’essai. Mais, pour celles et ceux qui ne s’intéressent pas du tout à ces questions, la lecture peut sembler fastidieuse. En effet, le roman est émaillé d’importantes notes de bas de page, de références historiques, littéraires, ect. Elle fait également de nombreuses allusions à des personnages historiques ou contemporains qui ont fait l’histoire (noire) sans jamais les nommer. Enfin, il n’y a pas vraiment d’intrigue. Disons que l’histoire est un peu plate. Ce sont plutôt les idées qui y sont développées qui sont intéressantes.

C’est un livre soul/jazzy qui se présente comme un album musical, avec une intro, des titres (de chapitre) et une outro. La musique a une place importante tout au long de l’histoire. L’auteure évoque de nombreuses chansons et leurs compositeurs/interprêtes. De plus, certains personnages vivent avec la musique. Elle leur permet de réguler leur période difficile, de s’évader ou de pleurer.

J’ai particulièrement aimé la toute dernière partie intitulée Outro. Dans celle-ci, l’auteure nous éclaire finalement sur le propos articulé tout au long du livre. Elle donne sa position sur toutes ces questions et semble dire que tous ces mouvements ne constituent plus des réponses suffisantes ou adéquates pour appréhender les défis d’aujourd’hui. Il faut « digérer sa peine » et « trouver comment être ce peuple du milieu » (p370). Ces quelques pages m’ont beaucoup fait penser à l’idée de Renaissance historique appliquée à l’Afrique et qui donne le paradigme la Renaissance Africaine. Sauf que cette renaissance, qu’elle appelle « régénérescence » (p 371),  elle la recommande à l’échelle individuelle. Elle invite finalement chaque être à reprendre en main les ressorts de sa propre historicité (Cheikh Anta Diop). À ne plus se définir par rapport à l’extérieur, le regard du Nord et à ne plus se déterminer uniquement par la couleur.


Pocket


Merci à Mathieu pour ce cadeau

1 août 2015

La fille du roi araignée - Chibundu Onuzo

Après quelques mois d'absence en raison de la rédaction de mon mémoire de recherche, me revoilà!

Née en 1991, Chibundu Onuzonée en 1991 est aujourd’hui considérée comme une des auteures nigérianes les plus prometteuses. Elle entame, en effet, l’écriture de ce premier roman à 17 et devient en 2012, à 19 ans, la plus jeune auteure publiée par la maison d’édition Faber & Faber. Actuellement doctorante en histoire au King’s College, elle a récemment été classée parmi les vingt-cinq femmes les plus influentes d’Afrique par The Guardian. Ce roman a été sélectionné pour le prix Dylan Thomas.

La fille du roi araignée c’est l’histoire d’amour improbable entre Abike Johnson, fille d’un riche magnat nigérian et Runner G, un jeune vendeur ambulant qu’elle rencontre dans une rue de Lagos. Les deux jeunes que presque tout oppose, défient les codes et les préjugés de leur entourage pour vivre leur amour. Grâce à Runner G, Abike découvre un Lagos dont elle ignore tout : les quartiers malfamés, la nourriture de rue, ect. Malgré ses doutes quant à l’avenir de leur relation, le colporteur se dépasse afin de pouvoir entretenir la flamme. Un jour pourtant, une découverte bouleversante sur Abike et sa famille fera tout vaciller. Leur histoire d’amour prend soudain une tournure surprenante. Le roman se transforme alors en thriller. Runner G mène l’enquête. Certaines informations le pousseront à prendre une décision implacable.  




La première partie du roman se concentre sur leur histoire d’amour. Chacun des moments partagés est raconté en deux temps, d’abord selon la perspective d’Abike puis selon celle de Runner G. Cette partie m’a donc semblée très longue en raison des scènes redondantes.  La seconde partie est celle du thriller, avec quelques invraisemblances et faits presque prévisibles. Mais il faut se rappeler que l’auteure était très jeune au moment de la rédaction.  La fin de l’histoire, quant-à-elle m’a semblée un peu expédiée, ce que j'ai regretté car les toutes dernières pages étaient les plus intéressantes. Elles ont réussi à me surprendre et à m’arracher un sourire.
Il semble qu’au final Runner G ait lui aussi été pris dans la toile d’araignée.

Je n’ai pas du tout aimé le personnage d’Abike, une enfant gâtée, qui méprise son entourage et aime avoir le contrôle sur tout et sur tout le monde. En anglais on dirait que c’est une « control freak ». Je n’ai pas compris son jeu de la Frustration qui a donné lieu à une scène d’une violence inouïe dès le début du roman. J’ai apprécié Runner G, le seul personnage qui avait de la poigne et qui n’avait pas peur de lui tenir tête. Je me suis d’ailleurs demandé si ce n’était pas cela qui avait suscité autant d’intérêt de la part d’Abiké pour ce colporteur. « Il était différent » comme elle aimait le dire.

C’est un livre dont j’avais beaucoup entendu parler et qui m’a finalement quelque peu déçue. Je pense que la seule chose vraiment fantastique à son sujet est qu’il ait été écrit par une très très jeune femme. Je me rappelle qu’à mes 17 ans, j’avais bien d’autres soucis et ambitions.

Merci à Steve-Léo qui m'a offert ce livre ! 

3 févr. 2015

Debout-payé - Gauz


Une chose dont je suis certaine : après avoir lu ce bouquin, je ne regarderai certainement plus les vigiles de la même façon. Je me demanderai souvent si un Gauz se cache en eux. Ou pire vous me direz, je les ‘verrai’ peut-être un peu plus.

Dans Debout-payé, celui qui s’est rebaptisé Gauz nous parle d’Ossiri, vigile ivoirien vivant en France, plus précisément à Paris. À travers lui, c’est toute l’histoire de la profession, du processus de recrutement en passant par les ‘circuits’ d’embauche, le jargon ou encore son évolution qui nous sera racontée.


 Les vigiles, ce sont ces ‘invisibles’ qui sont pourtant partout. Ici, sous nos tropiques, à Abidjan notamment, ils sont souvent habillés en t-shirt jaune, estampillé du nom de la société de gardiennage qui les emploie. En tout cas, pour les plus visibles d’entre eux. On les aperçoit, le plus  souvent assis à l’entrée des entreprises qui les emploient. Lorsqu’une personne, un client ou un employé arrive, ils se lèvent pour leur ouvrir la porte. On les aperçoit également à travers les guérites des villas cossues de la ville, où  ils sont également assis la plupart du temps, voire couchés en train de somnoler jusqu’à ce qu’une sonnerie retentisse et qu’ils soient obligés de se lever péniblement pour vérifier l’identité de celui qui souhaite entrer.


 En France, à Paris, le métier de vigile est tout autre. On les retrouve principalement dans des magasins, les grands magasins surtout. La façon de se vêtir dépend de l'enseigne où on travaille, selon qu’elle soit huppée ou un peu moins. Et puis en France, bien souvent, les Africains qui se retrouvent à exercer ce type de métier le doivent à leur réseau, l'urgence de trouver rapidement ‘quelque chose’ pour (sur)vivre ou encore au problème d’équivalence que posent leurs diplômes obtenus à l’étranger. Et oui!

Mais une chose est certaine, les vigiles de France, à l’inverse de ceux d’ici, ont une chose en commun : ce sont des Debout-payé autrement dit ceux qui sont payés pour rester debout.

Ainsi, dans Debout-payé la ‘condition de vigile’ en France est dévoilée.




C’est à travers la vie d’Ossiri, jeune ivoirien instruit, avec une situation stable en Côte d’Ivoire qui décidera pourtant d’aller ‘se chercher’ en France que Gauz nous entrainera dans le quotidien de ces invisibles. Ossiri se liera d’amitié avec le jeune Kassoum, lui aussi ivoirien et sans papiers, tout droit sorti du Colosse de Treichville, un ghetto d’Abidjan. Ils se retrouveront à faire le même métier de vigile.


Les chapitres racontant la vie d’Ossiri, ponctués d’incroyables digressions, sont souvent suivis de chapitres d’interludes aux titres savoureux dans lesquelles l’auteur nous raconte des anecdotes, analyses, questionnements, résultats des nombreuses heures que l’auteur a lui-même passé debout, alors qu’il était vigile. Le récit change alors de rythme, de type de narration. J'avais du mal au début avec les premiers chapitres d’interludes, car j'avais hâte de ‘rencontrer’ les personnages, connaître leur histoire. Mais j'ai fini par m'habituer à ces petites interruptions dans la narration pour apprécier la répartie et l’humour de l’auteur. Rien ni personne n’est épargné. On rigole. On s’arrête. On relit pour s’assurer qu’il a vraiment écrit cela. On appelle un proche qui sera réceptif pour lui en lire un passage. Ces chapitres d’interludes s’y prêtaient particulièrement bien.


Grâce à Ossiri, on découvre aussi un autre Paris. Le Paris africain à travers les yeux de ses sans-papiers, ses ‘étudiants’, leurs revendications et l’évolution’ de leur situation depuis les années 1960. L’auteur revisite de ‘grands évènements’ à travers le prisme de ses ‘invisibles’ de France pour nous offrir une histoire selon leur perspective. On voit comment changements politiques, bouleversement des perceptions à la suite d’évènements retentissants sur l’ensemble de la planète peuvent affecter leur quotidien en créant entre autres un sentiment d’insécurité plus important et une grande fébrilité dans les milieux que fréquentent ces personnes.


Au-delà de son style truculent, son humour percutant, sa capacité à revisiter certains adages, je retiens également les nombreuses ‘ivoirisations’ du langage. Je me suis sentie proche de l’auteur, car je comprends ses expressions, ses termes, ce qu'il insinue et surtout saisir de ‘petites choses’ qui parlent vraiment aux ivoiriens. Je dois dire que retrouver de telles références dans ce roman particulièrement intéressant, ont rendu sa lecture encore plus agréable.


Il y a tellement de choses à dire encore sur l'histoire, les personnages notamment la mère d’Ossiri, une véritable afrocentriste et les interrogations importantes que ses propos peuvent induire chez le lecteur ou encore les invitations à l'ouverture d’esprit et à la curiosité … mais je vais m’arrêter là.


 Finalement comme l’a si bien dit Ossiri à Kassoum :



 « Kassoum, juste parce que tu es là, tu es un homme meilleur. Meilleur que les gens du Colosse parce qu'ils ne connaîtront jamais Paris. Meilleur que les gens de Paris parce qu'ils ne connaîtront jamais le Colosse». p154

 J'ai envie de dire que Gauz est meilleur que nous, pas parce qu’il a connu Paris, Abidjan et je ne sais encore quel autre endroit, mais plutôt parce qu'il a su savamment, avec ingéniosité et humour, concilier ses  deux horizons, ses deux mondes et ses deux cultures pour nous offrir ce magnifique roman qui décrypte la société française, la société de consommation, à travers le regard affuté d'un ‘Debout-payé’ ivoirien.


Un roman audacieux, instructif. Un pari qui semble réussi pour l’auteur qui vient de se voir décerner le prix du meilleur premier roman français 2014 et le Prix des libraires Gibert Joseph 2014.

Le nouvel Attila
Meilleur premier roman français 2014
Prix des libraires Gibert Joseph 2014

19 janv. 2015

Loin de mon père - Véronique Tadjo

Je connais Véronique Tadjo depuis toute petite grâce à ses histoires pour enfant. Depuis peu, je découvre une autre facette de cette auteure, à travers ses romans. Le premier d’entre eux que j’ai lu était Champs de bataille et d’amour . Et récemment, un ami m’a prêté celui-ci. Bien que je ne connaisse pas l’ensemble de l’œuvre de l’auteur, je dois dire que j’ai déjà le sentiment de connaître ses sujets de prédilection. Du moins, des sujets qui la passionnent car bien que Champs de Bataille et d’amour (2006) et Loin de père(2010) nous parlent de sujets différents, j’y ai retrouvé des thèmes similaires : la question des couples mixtes et celle de pays en proie à de profondes déchirures.

Dans Loin de mon père, Véronique Tadjo nous raconte le retour de Nina dans son pays natal pour une funèbre occasion : le décès de son père, le célèbre docteur Kouadio Yao. La jeune femme n’était pas retournée en Côte d’Ivoire depuis de nombreuses années en raison des crises sociopolitiques qui avaient secoué le pays. Et puis… elle avait continué sa vie ailleurs, en France, son autre pays car elle est franco-ivoirienne. Bien que semblant déconnectée des réalités de son pays, Nina va devoir participer à l'organisation des funérailles.


Photo prise par Armand Pockpa, auteur du blog : http://monsieurpockpa.blogspot.com/


L’auteure va donc nous entrainer sur les pas de Nina et l’organisation des funérailles dans son pays d’origine.  Entre lenteur et pressions familiales pour que les choses se déroulent selon les habitudes de la Côte-d’Ivoire, la coutume, les croyances et le statut de son père. Nina, elle, bien qu’ayant grandi dans ce pays semble être dépassée par la situation et ne pas comprendre certaines considérations.Toutefois, ce sont les zones d’ombre laissées par son père et dévoilées au cours de son séjour qui la marqueront à jamais. Révélations et secrets de famille éclatent. Mais combien son père en a-t-il emporté dans la tombe avec lui ? Ainsi, au-delà de la perte de son père et de son retour dans un pays encore instable créant un sentiment d’insécurité permanent; ce sont surtout les découvertes qui affecteront la jeune femme. Nina ne sera plus jamais la même. Elle avait gardé une certaine image de son pays, de sa ville natale et de son père qui n’était en fait qu’illusions… Bien qu’étant entouré des siens, elle finira par sentir une pesante solitude, une impression de trahison qui la poussera à se poser des questions sur tous les membres de sa famille : oncles, tantes, mais surtout sur sa mère et la relation qu’elle avait avec son père et sur sa grande sœur Gabrielle qui brille par son absence… Mon personnage préféré, je crois, pour sa franchise, son courage et sa capacité de s’affranchir du poids de certains supposés devoirs et d’éventuels remords. Une femme qui a confiance en elle. C’est un personnage que je ne comprenais pas au départ, mais que j’ai fini par adorer. 

Bien qu’ayant passé pratiquement 243 pages en compagnie de Nina, j’ai l’impression de ne pas la connaître. Le style laconique de l’auteure m’a laissée sur ma faim, car j’ai le sentiment de ne pas avoir pu être entrainée par l’histoire et surtout de ne connaître et comprendre les personnages que très superficiellement. J’ai souvent eu l’impression que Nina était incomprise et qu’elle avait le sentiment qu’une des raisons principales à cela était sa couleur de peau, son métissage.  
« Être métisse, est-ce avoir la bonne ou la mauvaise couleur»? p171
« Toute ma vie, j’ai louvoyé, négocié, feinté. J’ai caressé dans le sens du poil, courtisé l’acceptation, attendu la reconnaissance, espéré l’invitation. Toute ma vie, j’ai tenté de faire preuve de bonne volonté, multiplié les efforts pour être entendue…» P172
Pendant ma lecture, je reprochais à Nina de ne pas connaître certaines réalités du pays alors qu’elle y avait bel et bien grandi. J’étais un peu confuse…Toutefois, au terme de son séjour en tant qu’ADULTE en Côte d’Ivoire, elle aura sûrement, désormais, une réponse à cette question qui lui taraudait l’esprit avant son départ :
 «  Qu'est-ce qui fait un pays? » p19
Une question difficile!



Préface d'Emmanuel Dongala
Édition première en France : Actes Sud (2010)
Coédition solidaire "Le livre équitable"
Collection "Terres solidaires"

13 janv. 2015

L'équation africaine - Yasmina Khadra


Avant de commencer ma chronique, je voudrais souhaiter à tous une bonne et heureuse année 2015.
J’espère que vous avez passé de belles fêtes de fin d’année.
En ce qui me concerne, elles étaient particulièrement intenses…

J’ai été accompagnée dans mes pérégrinations par L’équation africaine de Yasmina Khadra.
Je l’ai commencé dans le dernier avion que j’ai pris en 2014, puis terminé dans le premier que j’ai pris en 2015.
Souvent, les quelques personnes qui apercevaient la couverture de mon bouquin me demandaient « Alors, elle écrit bien? ». Je répondais souvent la même chose :
« C’est un homme qui a pris les prénoms de sa femme comme pseudo. Sinon il s’appelle Mohamed… Mohamed Moulessehoul. C’est un auteur algérien qui a écrit beaucoup de livres à succès, dont Ce que le jour doit à la nuit qui a été adapté au cinéma récemment ».
Mes interlocuteurs me répondaient souvent avec un simple « Ah! Ok! ». Je comprenais que je n’avais pas besoin de continuer, ça ne les intéressait pas trop.
De toutes les façons je n'aurais pas pu en rajouter. Bien que je suive, de loin, l'actualité de cet auteur, c'était la première fois que je découvrais un de ses écrits. Le livre m'a été offert par ma soeur. 
Et je dois dire, après l'avoir terminé, que mon avis est mitigé. Il m’arrive souvent de ne pas commenter les livres que je n’ai pas aimés parce que tout simplement je ne sais pas quoi dire, si ce n’est que je ne l’ai pas apprécié. Je ne me ‘force’ pas à m’étaler sur un bouquin qui ne m’a pas touché.
Toutefois celui-ci, est… particulier dans la mesure où je n’ai pas aimé l’histoire, mais alors pas du tout, mais j’ai tout de même été emportée par l’écriture de l’auteur.




 Kurt Kausmann, médecin généraliste vit paisiblement à Frankfurt avec sa femme ou presque… En effet, depuis quelque temps, une nouvelle routine vient de remplacer la précédente. Sa femme n’est plus la même, mais le docteur n’arrive pas à en déterminer la raison. Et puis soudainement, le coup de massue : sa femme meurt.
Kurt se transforme en zombie, il ne comprend pas ce qui s’est passé, ce qui lui a échappé. Il ne cesse de ressasser les derniers jours, les dernières semaines, le dernier moi, mais rien… C’est l’incompréhension totale. Sa vie vient de prendre un autre tournant.
Face à sa peine et ses tourments; son ami Hans Makkenroth, le force presque à l’accompagner dans une expédition humanitaire. Finalement convaincu que ce voyage pourrait l’aider à reprendre sa vie en main, Kurt décide de le suivre.
Pourtant, rien ne se passera comme prévu. Un matin, des pirates accostent leur voilier et les prennent en otage. Ce sera le début d’un long calvaire plein de rebondissements, de surprenantes rencontres et de déchirement. L’issue sera incertaine…

Je n’ai pas aimé l’histoire. Au début, à plusieurs reprises j’ai eu envie de m’arrêter et à la fin également jusqu’à ce qu’un nouveau retournement me convainque de poursuivre.  Toutefois, pendant une grande partie de l’histoire ce qui m’a permis de ‘tenir’ c’est la plume de l’auteur : riche, fascinante, remarquable. Une écriture des extrêmes et des contrastes en fonction des personnes et des évènements avec des rythmes saccadés, lents et parfois une impression d’éternité. La description de quelques scènes poignantes m’a particulièrement marqué…
Je me suis rendu compte que je n’avais jamais exploré ce genre : des histoires de pirates, de terrorisme, de réfugiés. Je ne me dirige jamais vers ce type d’histoire en général et la lecture de celui-ci m’a conforté dans ma position. Mais ce que je n’ai pas apprécié non plus c’est un l'angélisme à outrance dont l'auteur fait preuve en parlant de l'Afrique: l’Afrique mirifique, l’Afrique de gaieté malgré les calamités. Cet angélisme est illustré par un personnage en particulier. Mais dans le fond il s’agissait peut-être de rendre hommage à la capacité de résilience d’un continent, ses habitants… son âme.
Dans cette histoire, certains personnages sont à la fois inhumains et philosophes, puérils et violents, déprimés, mais plein d’espoir ou encore désœuvrés  mais heureux et bien dans leur peau. J’ai été touché par Black-moon, dégoutée et surprise par Baba-Sy, un personnage « délirant » pour reprendre les mots de Bruno, un personnage dont je me souviendrai : « Bruno l’Africain! ».

« Bruno riait de tout, de ses déveines comme de ses exploits… Étrange personnage! Jamais rancune n’aurai égratigné sa foi indéfectible en les hommes. Il ne voyait dans la bêtise de ces derniers qu’une consternante immaturité qui leur infligeait plus de tort qu’ils n’en faisaient. La nuit, pour meubler mes insomnies, je teste plusieurs clés pour accéder à sa mentalité et comprendre comment elle fonctionne, mais la serrure change de combinaison à chacune de mes tentatives. Quel secret a-t-il percé dans ce continent ? Quelle philosophie a-t-il acquise durant ses décennies de transhumance? La réponse, il l’a emporté avec lui. […] … S’il y avait une morale à l’existence, elle se résumerait ainsi : nous ne sommes que des souvenirs»! p297-298

Ce roman est également une tribune pour saluer le travail de tous les volontaires, ces anonymes qui lâchent tout afin d'aider et se donner à l'autre bout du monde, dans des conditions inimaginables parfois. Des personnes qui espèrent simplement pouvoir assister à de « petits miracles » quotidiens et finissent par avoir la capacité de s'émerveiller de simples choses que l'on ne sait plus apprécier lorsqu'on se laisse submerger par la routine et la pression du quotidien.


27 sept. 2014

Wide Sargasso Sea - Jean Rhys

Il y a des livres qui vous laissent un goût d’inachevé, d’autres dont l’avancée des pages vous brise presque le cœur car vous n’avez pas envie qu’il se termine si vite; enfin, il y a ceux qui vous laissent un goût amer. Wide Sargasso Sea fait partie de ceux-là.
Une histoire amère que j’ai pourtant… appréciée ! Je me demande encore pourquoi d’ailleurs.
Peut-être à cause des contrastes… nous sommes en plein enfer dans ce qui pourrait être un paradis :  des îles aux paysages paradisiaques telles que la Jamaïque ou encore l’île du vent, plus précisément, la Dominique.
Le livre se décline en trois parties. Chacune d'elle, nous livrent le point de vue d’un personnage différent, son expérience. Toutefois, elles concernent toute la vie du personnage principale : Antoinette Cosway qui après le remariage de sa mère s’appellera Antoinette Mason avant de devenir Mme Rochester, un personnage notoire du roman Jayne Eyre de Charlotte Brontë.

 La première partie
L'histoire nous est racontée à travers les yeux d’Antoinette. Elle nous raconte son enfance dans le domaine de ses parents, Coulibri, en Jamaïque. Seulement, si le lecteur sent bien que Coulibri était par le passé un domaine impressionnant de par sa taille et son jardin à la végétation luxuriante, il s’agit au moment où Antoinette nous raconte l’histoire, d’une propriété qui tombe en ruine. La végétation semble avoir pris le dessus sur les hommes, faute d’entretien. Le havre de paix, se transforme en un lieu ou de mauvais présages semblent planer sur la famille Cosway. En effet, la mort de Monsieur Cosway, puis l’’Emancipation Act’ de 1833 qui ruinera de nombreux propriétaires d’esclaves, enfoncera Antoinette, sa mère et son frère dans la pauvreté. Seuls quelques esclaves décideront de rester auprès d’eux. Certains pour des raisons douteuses et se comportant de manière peu rassurante, d’autre, en réalité, une seule, Christophine, restera car elle aime Antoinette dont elle a pris soin depuis la naissance. La vie devient particulièrement difficile à Coulibri en raison de la pauvreté mais surtout de l’hostilité des habitants de l’île, jubilant presque face à leur situation difficile. Antoinette et sa famille deviennent les « Coackroach » ( Cafards) ou « White nigger », qu’il faut faire dégager. Elle se retrouve dans un isolement pesant et dangereux…
L’arrivée de Monsieur Mason, qui épousera sa mère, sera comme une bouffée d’air et d’espoir qui fera oublier ces années difficiles, un moment de répit, pour un temps seulement car le malheur semble ne jamais réellement s’éloigner de Coulibri… Il s’abattra lourdement sur la famille dont le destin basculera indéniablement….

Photo prise sur à l'adresse suivante : http://www.sailblogs.com/member/mandy/?xjMsgID=114923&c=2144

La seconde partie
Dans cette partie nous découvrons la nouvelle vie d’Antoinette à travers les yeux à la fois de Mr Rochester, son mari et d’Antoinette elle-même. C’est Mr Rochester qui commence la narration. Son nom n’est jamais mentionné, ce qui porte un peu à confusion au départ. Mais on comprend très vite que la vie d’Antoinette vient de brusquement changer, dès les premières lignes. Antoinette et Rochester voyagent pour leur lune de Miel, dans un lieu au nom… évocateur : Massacre. Ils sont dans un autre domaine cette fois-ci, Grandbois.  La lecture de cette partie est pénible. Rochester est un homme ambivalent… Le lecteur sent qu’il n’aime pas l’endroit, qu’il n’aime pas Antoinette, il n’aime pas les West Indies de toutes les façons. Même s’il tente de se convaincre du contraire. Il est plein de préjugés sur les Antilles, sur les Créoles telles qu’Antoinette. Il ne comprend pas l’environnement, ni la culture de cette région du monde. On découvre les tristes raisons pour lesquelles il a accepté de se marier avec elle. Le lecteur comprend bien vite que… la lune de miel ne durera pas et ce d’autant plus qu’il ne l’appelle plus par son prénom, il la rebaptise Bertha, comme pour la rendre folle, lui enlever son identité et faire d’elle une poupée à sa merci.

« My name is not Bertha, why do you call me Bertha ? » 

Cette partie du livre est accablante pour le lecteur qui assiste à l’infortune d’Antoine … Comme dans la première partie, le paysage et l’environnement pèsent sur les personnages. Toutefois, un élément nouveau viendra aggraver cette pesanteur. Il s’agit de la rumeur, des rumeurs… On réalise l'impact qu’une simple rumeur peut avoir lorsqu'un proche choisit de la croire et de la nourrir. Antoinette sera meurtrie au terme de cette lune de miel…
Ainsi, le lecteur comprend que dans la seconde partie, le fait de donner à Rochester la parole pour parler d’Antoinette, symbolise un peu la perte de cette dernière. Elle perd son nom et sa liberté.

La dernière partie.
Il s'agit du chapitre le plus court, deux voix différentes se succèdent celle de Grace Poole puis celle d'Antoinette. Cette dernière semble être devenue folle, comme une esclave qui se réveille dans un endroit autre que celui qu’elle a toujours connue, déportée sans qu’on lui ai demandé son avis, enfermée dans ‘une prison’, vivant dans un endroit complètement différent de ce qu’elle avait pu imaginer . Elle est déboussolée, dépaysée, affaiblie, incomprise…

Wide Sargasso ou la prisonnière des Sargasses en français, de Jean Rhys, sera publié en 1966. Il éclaire sur la vie de Bertha Mason, un personnage de Jayne Eyre, écrit pas Charlotte Brontë, publié en  1847. Ainsi ce livre est considéré comme une réécriture de l’histoire de ce personnage, du point de vue d’Antoinette. Jean Rhys, elle-même originaire des Caraïbes, a souhaité à travers cet ouvrage détruire les mythes et les stéréotypes sur les créoles notamment en tentant de réhabiliter Antoinette dont la folie supposée était attribuée à son héritage (créole) plutôt qu’à son histoire personnelle : à savoir son enfance difficile,  son mariage aux clauses abusives mais surtout ce que son mari, Mr Rochester lui a fait subir.


8 déc. 2013

La saison de l'ombre - Léonora Miano

Romancière d'origine camerounaise, Léonora Miano, n'est aujourd'hui plus à présenter sur la scène littéraire francophone. Paru en 2005, son premier roman L'intérieur de la nuit, reçoit à lui tout seul, dès sa parution, plus de six prix. Son second roman: Contours du jour qui vient, reçoit le prix Goncourt des lycéens en 2006. En 2011, elle reçoit le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire pour ses romans Blues pour l'Afrique et Ces âmes Chagrines. Avec au total , neuf romans à son actif, l'auteure vient de se voir décerner le Grand Prix du Roman Métis et le Prix Fémina pour sa dernière œuvre: La saison de l'ombre ( 2013).

Dès les premières lignes, l'auteure nous fait rentrer dans le vif du sujet. Des évènements graves viennent de se produire au sein de la communauté Mulango. Douze initiés se sont volatilisés au cours de la nuit où un incendie a embrasé une partie du village.  Personne ne comprend ce qui s'est passé. Où sont- ils ? Qui a provoqué l'incendie ? Les villageois sont dans la torpeur. Le lecteur est confus.

Après l'attaque, les mères et femmes de ces disparus sont regroupées et isolées, dans une case du village. Telles des pestiférées nul n'a le droit de les approcher. Elles ne peuvent en sortir, de peur que leur chagrin ou cette "malédiction" ne se reproduise et se répande dans le village. Tout le monde les ignore. Elles deviennent les bouc-émissaires parfait face à une situation qui dépasse l'entendement de cette communauté naïve, enclavée.

Toutefois, un matin, un évènement oblige le village à sortir de sa torpeur et à affronter les questions qu'ils ont tenté d'ignorer depuis les évènements, depuis trois semaines que ces femmes sont enfermées : l'apparition du Mwititi, de l'Ombre.

C'est le début du labyrinthe et des chemins étriqués dans lesquels l'auteure va nous emporter, au cœur de cette ombre et du mystère qui l'entoure.


Cette ombre c'est la "vérité" qui va pouvoir la dissiper. Mais comment obtenir la vérité lorsque l'on est replié sur soi-même ? Comment expliquer l'inexplicable ? Comment arriver à comprendre des évènements et des choses qui dépassent notre entendement ? Faut-il faire le deuil de ces disparus ,"ni mort, ni vivant" ?
Qu'est ce qui explique que l'équilibre du clan et celui de toute la région soit ainsi remis en cause ? Que les alliances et rangs ancestraux soient bafoués ? Que les relations jadis pacifiques laissent  place à des chasses à l'homme ? Est-ce ces "hommes aux pieds de poule" avec leurs "cracheuses de foudre" y sont pour quelque chose ?
Est ce que les ancêtres, l'esprit d'Éméné et Nyambe pourront aider les Mulangos à comprendre ce qui s'est passé ?

Pour tenter de la dissiper et éclairer aussi bien les personnages que le lecteur, l'auteure nous fera avancer en même temps que ces derniers. Tandis que pour le lecteur du XXIe siècle il s'agit de comprendre, imaginer l'impact de la traite de l'intérieur,  sur les sociétés africaines (afro-centré); pour les personnages il s'agit de comprendre afin de pour pouvoir aller de l'avant, survivre, tenter de se reconstruire, guérir les plaies béantes que ces disparitions ont créé mais surtout afin de pouvoir témoigner.

Témoigner devient un sacerdoce. La transmission devient une question de survie. Mais il ne peut y avoir transmission sans compréhension de ce qui vient de se passer. Ainsi les "survivants" dans l'espoir de libérer la communauté de cette ombre, vont se dépasser.  Ces derniers ont la survie de leur communauté entre leur mains, la mémoire de ce qui en reste.

Des personnages remarquables...

Tout comme ces derniers, Leonora Miano, tente de faire revivre ces peuples, ces morts, ces fils enlevés, ces villages terrassé à travers l'histoire de cette communauté fictive du Cameroun. C'était son devoir de transmission, de mémoire afin de se rappeler, ne pas oublier et tenter de donner une voie à ceux qui sont restés de l'autre côté de la rive.

La femme a une grande place dans ce roman, certaines sont des bouc-émissaires et victimes, d'autres reines et bourreaux; tandis que d'autres , au destin hors du commun sont habitées par un "esprit mâle", à l'image de la Reine Émené, fondatrice-ancêtre du clan, des Mulongo.

Pourtant au moment de la tragédie, le clan Mulango est dominé par un pouvoir patriarcal qui semble, au regard des évènements, avoir du mal à redonner sa place à la femme, si ce n'est l'accuser lâchement des maux qui se sont abattus sur la communauté. Mais il semblerait que l'esprit d'Émené se soit réincarné dans l'une des femmes du clan comme pour réparer cette injustice.

L'histoire est émaillée de référence et d'expériences mystiques et mystérieuses : rêves, visions, connections avec l'au-delà à travers des voix ou des envoyés : aides, mises en garde... Selon que l'on utilise ces pouvoirs ou qualités pour de bons ou mauvais desseins, selon qu'on les écoute ou pas, les personnages et le lecteurs auront tous de grandes surprises.

Au-delà de l'histoire de la traite, de l'histoire de l'ombre, ce roman est un puissant message d'espoir, incarnée par Bebayedi, ce nouveau monde, fait de syncrétisme, où tout le monde à sa place et peut s'exprimer. Le nouveau monde où l'on tente d'aller de l'avant en refusant de laisser l'ombre nous ronger et nous empêcher de construire ou reconstruire. L'endroit où une vie après la mort et la disparition est possible. Un exemple qui donne à ce roman une vocation universelle et atemporelle. "Ce n'est pas uniquement au-dessus de la case de celles dont les fils n'ont pas été retrouvés, que l'ombre s'est un temps accrochée. L'ombre est sur le monde. L'ombre pousse des communautés à s'affronter, à fuir leur terre natale. Lorsque le temps aura passé, lorsque les lunes se seront ajoutées aux lunes, qui gardera la mémoire de toutes ces déchirures? À Bebayedi, les générations à naître sauront qu'il avait fallu prendre la fuite pour se garder des rapaces. On leur dira pourquoi ces cases érigées sur les flots. On leur dira : La déraison s'était emparée du monde, mais certains ont refusé d'habiter les ténèbres. Vous êtes la descendance de ceux qui dirent non à l'ombre." p 137

19 juin 2013

Les pieds sales - Edem Awumey

C'est Akpedze une amie à moi, pour ne pas dire une sœur, qui m'a offert ce roman d'Edem Awumey. C'est un auteur qui comme elle, est né au Togo et vit aujourd'hui au Québec. Quand j'ai découvert ce qu'il y avait à l'intérieur du paquet , elle a dit " Tu vas pouvoir parler d'un auteur du Togo maintenant" ! C'était un gentil petit coup de pression ! (rires)

Je ne connaissais pas Edem Awumey. Pourtant, dès la parution son premier roman, il s'est tout de suite affirmé comme un écrivain de talent . En effet Port-Mélo, paru en 2006, remportera le Grand Prix Littéraire d'Afrique noir. Son deuxième roman, Les pieds sales, paru en 2009 a été retenu pour la sélection du prix Goncourt de la même année.

Les pieds sales ce sont les personnes qui "avaient les pieds crottés et blanchies par la boue et la poussière de toutes les routes qu'elles avaient courrues depuis là-bas"
Ce sont les migrants, les vagabonds poussés sur les routes , pour diverses raisons ; dans l'espoir de connaître des jours meilleurs. Bien souvent, ils se dirigent vers le Nord, en Occident, objet de tous les fantasmes.

Askia est un pied sale.  Son errance a commencé alors qu'il n'avait que cinq ans. À dos d'âne et accompagné de ses deux parents, ils fuyaient la sécheresse qui sévissait au Sahel.
À 47 ans, il erre toujours mais dans les dans les rues de Paris, cette fois, au volant de son taxi. La ville lumière n'est pour lui qu'un labyrinthe sinueux fait d'ombres fantasmatiques qui ne cessent de lui échapper à l'image de son histoire. En effet, Askia est hanté par un  fantôme, celui de son père qui a mystérieusement disparu quelques années auparavant en France. Askia accepte l'idée que son père les ait abandonnés. Mais il semble que le spectre de ce dernier et de sa disparition, ne veuille pas le lâcher. Tout le ramène à son passé, à ce père : Sidi Ben Sylla Mohamed. L'avenir d'Askia semble obstrué

"Tu lui ressemble, Askia. Si tu portais un turban, toi aussi , ce serait parfait. J'aurais l'impression que c'est lui qui est revenu, tout juste l'impression. Car il ne reviendra pas" lui disait sa mère.

"Embraye, Télémaque ! En route ! Pour toutes les raisons que tu veux!" lui dit son père disparu, lorsqu'il rêve.

Même les clients de son taxi lui parle de ce dernier.

Lorsqu' Olia, une jeune photographe Bulgare, monte dans son taxi, elle est tout de suite frappé par la ressemblance entre Askia et ce monsieur en turban qu'elle a photographié quelques années auparavant dans  Paris.Les deux personnages se lancent alors à la recherche de Sidi Ben Sylla Mohamed. 
Askia nourrit enfin l'espoir de pouvoir trouver des réponses à ses questions...

On assistera  à la naissance d'une amitié entre les deux personnages , autour de la figure de ce père.
Ils se sentent d'autant plus proche qu'Olia est elle-aussi une pieds sales, à l'histoire affligeante.
Alors qu'ils sont sur une piste sérieuse, les deux personnages seront rattrapés par leur histoire respective, par les actes posés sur les routes de leur pérégrination...



Ainsi, au-delà du mystère entourant la figure de son père. Askia est dans une véritable quête identitaire. La question "Qui es tu ?" reviens sans cesse...

Mais comment y répondre lorsque l'on a jamais vu son père auquel tous les commentaires nous ramènent ? Lorsque l'on est parti de chez soi depuis si longtemps que l'on n'ose plus y retourner ? Lorsque l'idée du retour  est plus angoissante que celle de continuer à vivre dans la misère, la pression et les menaces ? Comment y répondre lorsque l'on est sans papiers ?

Edem Awumey nous dépeint à travers la vie de ses différents personnages le calvaire d'un grands nombres de migrants : les compromis, la précarité, le racisme, la solitude mais surtout la question du retour ou au contraire de l'exil sans fin. Qu'ils fuient des régimes totalitaires, la misère économique ou  d'autres problèmes, ces personnes , sont souvent prêtes à tout pour partir de chez elle et atteindre la "terre promise". Pourtant, une fois arrivée sur place, la réalité est loin d'être celle qui avait été imaginée.

Certains se battront pour être accepté, pour pouvoir mener une existence décente et ne plus être considéré comme ces étrangers que l'on ne veut pas voir s'arrêter trop longtemps chez soi.

Pour d'autres, commencera une vie de désillusion de laquelle il sera difficile de se soustraire . Car, en effet, à moins d'avoir les moyens ,le courage d'affronter son passé, la situation que l'on fuyait, les changements dans le pays d'origine, le regard des autres; la question du retour restera inconcevable pour beaucoup. On est alors, malgré soi, obsédé par ce que l'on a laissé là-bas. On s'accroche à tout ce qui pourrait nous rappeler ce là-bas qui nous est à la fois si cher et effrayant.

On s'accroche aux photos par exemple. Elles ont une place importante dans ce roman. Les personnages s'accrochent aux visages qui y sont et les emporte partout avec eux. Elles sont comme un semblant de stabilité dans leur univers agité ou tout peut basculer. Elles leur permettent de retracer leurs pérégrinations, fixer leurs souvenirs, leur redonner le sourire ou leur rappellent tout simplement des événements ou période marquante de leur vie.

La question de la quête et de la migration revient tout au long du roman, à travers l'histoire des différents personnages mais également à travers les différentes références de l'auteur. En effet le roman est émaillé de références littéraire et historique qui le rendent intéressants mais complexe également. Askia est un Télémaque des temps modernes qui cherche , Ulysse son père. L'auteur fait également référence à Don Qui Chott  "Vous autres, chevalier errants, vivez en rêvant et rêvez en vivant". L'auteur mentionne l'histoire de l'empire du Songhaï et de l'un de ses rois "Askia Mohamed", l'exode des Éwe, peuple du Togo....

On ne peut donc se laisser aller pendant la lecture de ce roman et ce d'autant plus que l'histoire n'est pas linéaire. L'auteur alterne entre rêve et réalité, retour brusque dans le passé de ses différents personnages...

Les références à différentes villes, continents et histoires sont nombreuses. L'univers d'Askia semble alors atemporel. On oublie qu'il vit à Paris, qu'il vient du Togo où sévit une dictature... 
C'est tout simplement l'histoire d'un migrant, d'un homme qui veut donner un sens à sa vie...

C'est un roman à portée universelle.

L'histoire qui m'a le plus touchée est une histoire secondaire, celle de Monsieur Ali de Port-Saïd : " Il bougeait pour ne pas poser les fesses dans une gare avec le risque de prendre froid. Il vendait ses marrons de Gonesse à Boulogne, histoire de circuler. Et Port-Saïd s'éloignait de plus en plus, Port-Saïd et Abu Nuwas, alors il se fabriquait des pyramides en papier sur le boulevard Saint-Michel pour ne pas oublier..."