Le premier Rasta c'est l'histoire
d'un homme : Leonard Percival Howell (1898 -1981), qui a voulu libérer les afro-jamaicains
de Babylon ou l'Establishment. C'est l'histoire d'un homme oublié, longtemps
considéré comme un fou, qui pourtant , a su judicieusement allier différentes influences, idées et croyances pour tenter de libérer son peuple.
Son histoire nous est racontée
par Hélène Lee, journaliste française, spécialiste des musiques jamaïcaine et
ouest-africaine. Passionnée et intriguée
par Leonard Howell, le lecteur la suivra dans ses pérégrinations en Jamaïque
entre les quartiers pauvres de Kingston (Trenchtown) et la campagne; à la rencontre des souvenirs et témoignages
de personnes qui ont connu Howell, l'ont cotoyé ou encore vénéré. Ces
précieuses informations, souvent racontées comme des légendes, car Howell était
vu comme tel, peuvent être considérées comme issue de la tradition orale Rasta.
Hélène Lee fournira alors un travail remarquable basé sur des conjectures, la
mémoire des personnes qu'elle rencontre, les articles et archives jamaïcaines,
américaines et anglaises disponibles sur Howell.
Si Howell a laissé des traces ,
certes floues, un peu partout dans le monde c'est parce qu'il est très tôt , obligé de quitter la Jamaïque; après avoir assisté à un meurtre, alors qu'il
était assis du haut d'un arbre. Cet "incident" constituera, le premier
d'une série de long mythe sur le personnage. Il partira ainsi vers les chantiers du Canal de Panama , à Colòn, la
"Capitale du monde", dans le New York bouillonnant du Harlem Renaissance où il rencontre Marcus Garvey et d'autres
militants du nationalisme noir. Il fera , pendant 12 ans, le tour du monde, sur
des bateaux de transport de troupes de l'armée américaine en tant que
cuisinier. Lorsqu'il rentre en 1932 en
Jamaïque, il n'est plus le même et se donne une mission ...
Pendant ce temps-là ,la "prophétie"
des Psaumes , rendue célèbre par Marcus Garvey, se réalise en 1930, avec le
couronnement du negus: TAFARI Makonnen , fils du RAS Makonnen; qui revendique son
ascendance biblique et règnera sous le nom d'Haile Selassié I (Puissance de la
Trinité) avec pour titres : Negus des
Negus d'Éthiopie, Seigneur des Seigneurs, Lion conquérant de la Tribu de Judah,
Lumière du monde, Élu de Dieu.
Leonard Percival Howell, sait désormais comment
libérer son peuple.
De retour en Jamaïque, il
commence à distribuer des portraits de Selassié, empereur africain, libre et
RESPECTÉ , par tous , même par la Couronne . Il ne parle pas de Selassié comme
un Dieu mais plutôt comme le seul noir, empereur, avec des titres comme ceux
que l'on retrouve dans la Bible. À l'époque , il n'y avait aucun modèle noir auxquels les afros-jamaïcains, écrasés par la
couronne, auraient pu se référer, en qui ils auraient pu espérer. Il leur dit
alors que seul Haile Selassié serait en mesure de les comprendre et les aider et que c'était donc vers lui qu'il
fallait se retourner.
La population, illettrée, se référant
très souvent à la Bible , transposera littéralement les paroles d'Howell et
fera de Haile Selassie I son Dieu vivant. Cela a sûrement été aggravé par le
reggae et notamment le fait qu'une icône comme Bob Marley chante la magnifique (mais
scandaleuse ? ): "Selassie is the chapel" : http://www.youtube.com/watch?v=0LRlmCko58o )
Howell ira plus loin en
soulignant qu'il y avait enfin un gouvernement noir souverain, une nation noire
souveraine et c'est à cette dernière qu'il fallait faire allégeance, en ignorant la
couronne anglaise. C'est alors que commenceront les persécutions,
incarcérations, séjours forcés à l'asile de celui qu'on appellera le GONG.
Howell reste inébranlable malgré
les épreuves et continue à prêcher le mouvement rasta. Il créera le Zion, ou
Paradis sur terre : ce sera le Pinnacle, la première communauté Rasta, qui
comptera à son apogée près de 4500 membres et deviendra la première entreprise industrielle
de production de marijuana; s'attirant les foudres et convoitises des barons de
la drogue, des politiciens...
Dans les années 1950, la
communauté du Pinnacle, est contrainte de s'éparpiller, diffusant sa
philosophie dans tous les ghettos de l'île. Le Gong, Howell tombe dans l'oubli
mais son message trouve des adhérents. C'est "in the governement yard in
trenchtown" , que Bob Marley reprend le flambeau et décidera , contrairement
au Gong , d'être plus "tuff" en ne tombant jamais dans l'oubli et adoptera le sobriquet :"Tuff Gong".
Hélène Lee, en abordant le
mouvement sous toutes ses coutures : influences, évolutions, origines des pratiques, déconstruit les clichés. Elle explique ainsi, la nécessité
éprouvée par Howell et les autres prêcheurs, de créer un tel mouvement pour l'émancipation
politique, économique et culturelle des afros-jamaïcains de l'époque. Cette
démarche (de l'auteure) était nécessaire car la radicalisation de certains ordres, les dérives
et l'image bien souvent répandue du
rasta high en train de fumer un joint, imitée par les jeunes "rebels"
du monde entier ( qui ne savent pas grand chose sur le courant), pousse les
gens à associer les rastas à des voyous, indignes de considération ; les
empêchant ainsi d'aller au-delà des clichés et d'interroger la philosophie.
Enfin, au-delà du mouvement
rasta, l'auteure, à travers l'histoire du "mystic man", brosse le
portrait historique, politique, économique et culturel complexe de la Jamaïque
de ces 150 dernières années. Elle nous montre comment, un petit groupe d'anciens
esclaves, illettrés, méprisés et persécutés, mené par le Gong réussit à
imposer sa philosophie, forger l'identité culturelle de la Jamaïque et à exporter cette dernière qui constituera l'un des mouvements les plus populaires
du XXe siècle.
Étant une grande fan de reggae et
m'intéressant à la culture Jamaïcaine, inutile de vous dire que j'ai adoré ce
livre qui m'a permis d'en apprendre davantage sur l'histoire de cette musique, sur la place de l'Afrique dans l'imaginaire des rastas
et bien évidemment sur la vie étonnante du Gong.
En plus de la vie de ce dernier, l'auteure mentionnera brièvement le parcours de
nombreux "culture changer" et personnages complexes qui ont influencé
les communautés noires des États-Unis, des Caraïbes et l'Afrique. Je le recommande à tous les amoureux de reggae et tous les curieux!
Pour ceux qui lisent moins :-),
voici le lien du documentaire, du même titre, produit par Hélène qui est très intéressant mais, en raison de contraintes évidentes, moins complet que le roman :
"Une histoire que l'on vous a cachée est sûrement vraie "
"Une histoire que l'on vous a cachée est sûrement vraie "
Je terminerai avec cette chanson
de Burning Spear, "Man in the hills" que j'aime beaucoup et qui parle peut-être du Pinnacle ou des Marrons qui se réfugiaient généralement dans des endroits inaccessibles lorsqu'ils s'enfuyaient :