Dans ce premier roman, considéré comme l'un des 100
meilleurs livres africains du 20ème siècle, Mariama Bâ se sert de sa plume
comme une arme pacifique. Une arme pour apaiser sa peine, témoigner des
changements que connait la société sénégalaise , enfin et surtout pour dénoncer la condition de la femme dans cette
dernière.
Elle nous raconte
l'histoire de Ramatoulaye qui vient de
perdre Modou Fall, son mari . Après le décès de ce dernier, elle décide
d'écrire à, Aissatou sa meilleure amie afin de
lui raconter les funérailles. Mais très vite, après avoir rapporter le
déroulement des différentes cérémonies et pratiques d'usage; Ramatoulaye est replongée dans ses souvenirs : " le passé
renaît avec son cortège d'émotions. Je ferme les yeux. Flux et reflux de sensations..."
Elle se remémorera les histoires de leurs deux couples : leur formation, les
années de bonheur puis les évènements inattendus qui les feront basculer et
affecteront les deux femmes pour toujours.
Le lecteur plonge
alors dans une atmosphère douce-amère qui alterne entre les souvenirs d'un
passé joyeux et plein de promesse, la réalité d'un présent difficile, abordée
avec lucidité et enfin les questionnements d'un futur incertain, laissant peu de
place à l'espoir, même si l'auteure refuse de se résigner.
À travers leurs
histoires, Mariama Ba abordera la question de la polygamie et de son impact émotionnelle
considérable sur les femmes; que les hommes ignorent lorsqu'ils décident de
bafouer leur couple. L'auteure dénonce ainsi la condition difficile des femmes
écrasées par le poids du patriarcat , de l'égoïsme des hommes, des traditions ,
des religions mais également par celui du modernisme qui se traduit dans une de
ses formes les plus perverses : la quête
sans scrupule du matériel.
À travers ses
correspondances, Ramatoulaye rappellera à Aissatou l'histoire de nombreuses
autres femmes, telle que Nabou, la cruelle Belle-mère, garante de la tradition
et du sang pur de sa descendance. Celle de la griotte cupide, qui survit tout
de même dans un Sénégal qui se modernise, celle de Jacqueline, l'Ivoirienne, la
"gnac" ou encore l'histoire des secondes épouses comme Daba :
"l'agneau immolé sur l'autel du matériel"... Chacune d'elle représente
non seulement un trait de la société sénégalaise mais également les changements
de cette dernière car il s'agit de générations différentes. Ainsi en fonction
de leur âge, influence, parcours, entourage, elles apporteront toutes des
réponses différentes aux problèmes que leurs proches et elles-mêmes
rencontreront. Certaines entraineront le malheur des unes, d'autres seront le
soutien des autres mais, elles seront toutes, d'une manière ou d'une autre
victime des diktats de la société , tiraillée entre tradition et modernité.
En effet, nous sommes
en 1979 et le Sénégal , comme tous les pays nouvellement émancipés, amorce un
tournant."L'Histoire marchait, inexorable.
Le débat à la recherche de la voie juste secouait l'Afrique
occidentale...." p52. Le pays est alors tiraillé entre tradition et
modernité p 142 : " Notre société actuelle est
ébranlée dans ses assises les plus profondes, tiraillée entre l'attrait des
vices importés, et la résistance farouche des vertus anciennes"p142. L'auteur s'interroge alors sur les conséquence de ce déchirement. Elle constate
notamment le mépris de celui "qui a un mince savoir livresque" p39 à l'égard de ceux qui exercent des
métiers traditionnels et les conséquences sur l'intérêt pour ses métiers. Ainsi
selon elle, la modernité s'accompagnait de pertes irréversibles.
Elle aborde également la question du progrès à
travers celle du changement des moeurs " Le
modernisme ne peut donc être, sans s'accompagner de la dégradation des
moeurs?" p152.
Elle l'aborde également à travers la question de la place de la femme et
du rôle primordial qu'elles jouent dans la société qu'elles soient femmes au
foyer, institutrice ou encore à travers la question de leurs différents droits;
notamment celui de leur accession à des postes politiques "chasse gardée,
avec rogne et grogne" p.118 des hommes. L'auteure souhaite une émancipation
de la femme sénégalaise et ce d'autant plus que le contexte s'y prête. Elle
l'exprime à travers un discours lucide et modéré. Mais y-a-t-il des hommes de
bonne volonté ?! "Quand la société éduquée arrivera-t-elle à se déterminer
non en fonction du sexe , mais des critères de valeur?" p119.
Enfin, au-delà des questions de la condition de la femme, des
changements que connait le Sénégal; l'auteure aborde des sujets tels que celui de l'éducation sous toute ses formes : orale à travers
les contes, scolaire à l'école des "blancs" notamment et celle que
l'on inculque à la maison. L'éducation a une place importante dans la vie de
Ramatoulaye, qui est institutrice et a élevé 12 enfants. On ne peut s'empêcher
de faire un parallèle avec l'auteure qui était elle-même institutrice et mère
de 9 enfants. L'association ou non de ces différentes formes d'éducation, couplées
aux réalités culturelles et aux caractères des individus expliquera les
conduites et attitudes de chacun.
Mariama Bâ remporte le prix Noma en 1980 (prix qui n'est plus décerné depuis 2009) avec ce premier roman et décède l'année suivante, peu de temps
avant la parution de son second ouvrage.
Elle était dotée d'une grande sensibilité et d'une capacité remarquable à
la retranscrire à l'écrit. Malgré la
douleur, l'état mélancolique et les sujets graves qu'elle aborde, l'histoire est emprunte de pudeur. Il s'agit d' une
œuvre majeure de la littérature africaine, d'une grande délicatesse et très agréable à lire.
On aimerait que cette si longue lettre n'ait jamais de fin...
Merci Marie-Lou pour ce beau cadeau!
On aimerait que cette si longue lettre n'ait jamais de fin...
Merci Marie-Lou pour ce beau cadeau!