Lorsque
le 25 Janvier dernier , les djihadistes qui se sont emparés du Nord Mali, ont
perpétré un autodafé à la grande bibliothèque Ahmed Baba de Tombouctou, tout le
monde a craint le pire. Cet événement à été l'occasion pour certains, d'entendre
parler pour la première fois des Manuscrits de Tombouctou et des mythes qui
entourent leur existence. Pour d'autres, il a constitué l'occasion d' impulser
une prise de conscience sur l'importance de cette richesse culturelle, écrite,
qu'il faut impérativement préserver et déchiffrer.
C'est
à cette période que j'ai entendu parler du livre de Jean-Michel Djian, : les
Manuscrits de Tombouctou, paru aux éditions JC
Lattès en octobre 2012.
Jean-Michel Djian est journaliste et auteur, entre autre de: Politique
culturelle, la fin d'un mythe (Gallimard, 2005), d' Aux arts citoyens, De l'éducation artistique en
particulier(Homnisphères, 2009) et d'une biographie, Ahmadou Kourouma (Seuil, 2010).
Les Manuscrits de
Tombouctou contient principalement des contributions d'experts : historiens,
écrivains, philosophes tels que Doulaye
Konaté, Mahmoud Abdou Zouber, Cheikh, Cheikh Hamidou Kane, Souleymane Bachir
Ndiaye et de sublimes photos du photographe malien Seydou Camara.
Il
s'agit d'un véritable voyage dans cette
région de l'Afrique, à travers l'histoire de ces ouvrages. Les auteurs nous
parlent aussi bien de la manière dont ils ont été réalisés que de leur contenu, en
passant par des informations sur les érudits, auteurs ces manuscrits.
Estimés à plus de 900 000, ils ont, pour la plupart, été réalisé entre
le XIIIe, pour les plus vieux d'entre eux et le XIXe siècle. Les sujets qui
y sont abordés sont vastes. On y trouve des traités politiques, de
climatologie, de médecine... Des informations sur le cours du sel et des
épices, les ventes, des actes de justice, des précis de grammaire. On y
retrouve également des conseils sur les relations sexuelles, des mises en garde
sur les méfaits du tabac, des explications sur les bienfaits de la prière en
commun ou encore de la littérature notamment de la poésie et de la
fiction. Des extraits, de manuscrits traduits sont
présents dans le livre. Nous avons par
exemple le traité de Abdul Karim al-Maguly, conseiller de l'empereur Aski Mohamed,
intitulé : "A propos des bon principes de gouvernement" datant XVe siècle.
Il semble que la "genèse de cet écrit (soit) très similaire à celle du
Prince de Machiavel" p76, essai écrit, beaucoup plus tard, au XVIIe siècle.
On retrouve
ces manuscrits à Tombouctou, à Djenné au Mali, Chinguetti en
Mauritanie ou encore Agadez au Niger. "Cette diversité des endroits où
vous pouvez les trouver est l'expression de la connaissance nomade dans le XIVe siècle". Toutefois, il serait plus de 100 000 dans la seule ville de Tombouctou et sa région. On les retrouve dans des bibliothèques familiales, entassés par dizaine dans des coffres poussiéreux. Ils
sont également nombreux à la bibliothèque Ahmed Baba, du nom du célèbre érudit
de l'époque qui dès 1615, dans Échelle
pour s'élever à la condition juridique des Soudanais réduits en esclavage, rejette
le mythe de la malédiction de Cham en s'opposant à l'esclavage et à la
déshumanisation de l'esclave.
Les auteurs nous parlent également de quelques uns des ces érudits, prolifiques, parfois issus d'une seule et même famille; comme la
famille Kounta, à qui l'on doit à elle seule, plus de 500 manuscrits... Ce
explique que certaines bibliothèques familiales soient si riches.
Ces manuscrits sont pour la plupart, rédigés en Ajami. Il s'agit de la transcription en alphabet arabe
des langues vernaculaires de la région tels que le peul, le bambara, le Swahili, le wolof ou l'haoussa. Cependant, peu de personnes parlent ou comprennent l'Ajami
aujourd'hui; ce qui rend leur déchiffrage difficile.
Au-delà
de l'histoire de ces Manuscrits, les auteurs nous font replonger dans
l'histoire même de cette région du continent, notamment de Tombouctou, cité
florissante, qui au XVe siècle, à l'époque de l'Empire Songhaï , constitue le
carrefour du sel et de l'or. Le commerce fervent connu par la région pendant deux siècles permettra l'éclosion d'un foyer intellectuel où se créeront, autour
d'endroits emblématiques de la ville, telle que la mosquée de Sankoré ou encore
la mosquée de Djingareyber, de nombreuses écoles, rassemblant dans leur
ensemble près de 25 000 étudiants, venant de toute l'Afrique : de Fès, du
Caire, de l'empire du Ghana... Ces élèves sont réunis devant des Ulémas,
accompagnés de copistes, qui reproduisent fidèlement tout ce qui est dit. D'après Jean Michel Djian "cette
économie fondée sur la connaissance, organisé depuis des siècles, n'a pas
d'autre équivalent dans d'autres régions de l'Afrique."
Mosquée de Sankoré à Tombouctou |
Les auteurs nous parlent également des Empires qui
se sont succédés, de Kankan Musa du Mali en passant par la dynastie des Askias
de l'Empire Songhaï. Des échanges commerciaux, en passant par l'islamisation
qui a joué un rôle important dans le rayonnement culturel de la région et sa
production intellectuelle. L'auteur nous parle également de la vie politique et
culturel. Des échanges entre la région et le Maghreb,
l'Andalousie, l'empire du Ghana et bien
d'autres. Ils nous parlent également des premiers explorateurs occidentaux de la
région : R. Caillé (1828), H. Barth (1853) et F Dubois (1896) et de leurs
chroniques sur la ville mais
également des premières chroniques africaines qui constituent les premières
sources écrites sur l'histoire de l'empire du Songhaï : Le Tarikh-es-Soudan et le Tarikh-el-fattach (XVème)... De
personnages illustres issus de l'Université de Sankoré de Tombouctou comme
Aben Ali, "un médecin formé à l'université de Sankoré de Tombouctou, qui
suivra son maître Ysalguier, installé à Gao mais originaire de Toulouse, cité
qu'il retrouvera à la fin de sa vie. Il ira s'installer en 1419 et restera dans
l'histoire pour avoir, en cinq jours à peine, sauvé de la fièvre jaune le futur
Charles VII alors que les médecins du rois l'avaient condamné..." p91
Ils nous
parlent également des anciens alphabets africains : les hiéroglyphes égyptiens,
le guèze éthiopien, le méroïtique soudanais, l'écriture Bamoun du Cameroun...
( voir vidéo à la fin de l'article)
Carte réaliseé en 1375 par le Catalan Abraham Cresques pour Charles V. Ces derniers tentaient de localiser le royaume du "Rex Melli"ou "roi de l'or" Kankan Musa. |
Enfin, l'auteur aborde la question
des forces internes et externes qui sont venues déstabiliser l'Empire et ont crée
des dégâts irréversibles sur ce foyer intellectuel et sur le continent. Mais également de la question de la méconnaissance de cette richesse. Il nous donne des
explications très intéressantes sur les raisons pour lesquelles, les africains
eux-même puis l'idéologie africaniste occidentale fondée sur le mythe de la prévalence de l'oralité sur le continent africain, idée perpétuée et soutenue par des
auteurs et penseurs africains, ont contribué à occulter l'existence de ces
manuscrits et au manque d'intérêt pour leur contenu.
Cette méconnaissance maintien l'ignorance d'une partie de l'histoire de cette région pour les
Maliens, les ouest-africains , les africains et le reste du monde. Aujourd'hui,
il est important que des actions soient entreprises pour leur collecte, leur
conservation, leur catalogage, numérisation , traduction et exploitation. Le
docteur Mahmoud Abou Zouber, préconise "la
création urgente de groupe de recherche composé de spécialiste ouest-africains,
maghrébins et d'autres horizons pour une exploitation scientifique de ces
documents, qui renferment des faits nouveaux et inédits de la plus haute
importance, et qui établissent ainsi la preuve que les Soudanais (les noirs)
ont acquis une grande maturité culturelle qui leur permet d'écrire eux-même
leur histoire et de spéculer sur le droit, la logique, la médecine, la
théologie, l'astronomie et la grammaire." p145
La mise en valeur et l'exploitation de ces manuscrits,
remettraient définitivement en cause l'idéologie africaniste occidentale fondée
sur le mythe dominant de l'oralité, le "propre" du continent africain,
qui ferait de ce dernier un continent "a-historique". Ces manuscrits prouvent que l'oralité et l'écrit se sont longtemps cotoyés sur le continent.
Le déchiffrage de ces manuscrits est
d'autant plus important dans un contexte où les africains tentent de se
réapproprier les ressorts de leur historicité en tentant d'appréhender le passé
, le présent et le futur, d'un point de vue "africanisé". À l'heure où
à Accra ou en Afrique du Sud, sont
organisés des congrès sur la réappropriation de l'histoire du continent et
notamment la question de "trouver un discours africain pour parler du
passé", ces manuscrits pourraient certainement nous offrir des réponses et pistes de réflexions...
(Article de Jeune Afrique : Enseignement supérieur, se réapproprier l'histoire du continent:
La longue tradition orale, ne doit plus occulter
la longue tradition écrite et méconnue du continent africain.
Vidéo intéressante : "Safi Mafundikwa: Ingéniosité et élégance des ancients alphabets africains":