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24 janv. 2014

Grand-Bassam métropole médiévale des N'zima - Association Abissa

Tenter de reconstituer l'histoire des N'zima est l'objectif que se sont donnés onze co-auteurs, tous chercheurs, co-dirigés par les Pr Niamkey Georges Kodjo(historien) et Niamkey Koffi Robert (Philosophe)  et tous originaires de Grand-Bassam; à travers la rédaction de Grand-Bassam, métropole médiévale des N'zima. Ces derniers, réunis au sein du comité de l'Abissa, ont tenté, avec des précisions remarquables de retracer l’histoire des N’Zima de Côte d’Ivoire dont l’expérience, bien distincte de celle des N’Zima du Ghana, à qui ont les associe de manière presque réductrice en leur prêtant bien souvent exclusivement des origines ghanéennes, est méconnue.

Lorsque le pays N’Zima (du Ghana), royaume unitaire, organisé depuis le XIXème siècle en une confédération regroupant les royaumes de Beyinlin et d’Adouambo se brise pour former le Ghana et l’actuelle Côte d’Ivoire, les N’Zima dit de Côte d’Ivoire occupent déjà cette région.  Toutefois on observera  des vagues de migration du royaume N’Zima du Ghana vers celui de la Côte d’Ivoire en raison des guerres fratricides et pressions. La plus célèbre d’entre elle est l’épopée de la Reine Pokou qui  arrivera au XVIII eme siècle dans la vallée du Bandama ( en 1750). C’est cette dernière qui alimentera l’idée selon laquelle les N’Zima sont « arrivés  comme ça  » du Ghana.

Ainsi , les auteurs nous renseigneront sur la réalité historique de la présence des N’zima à Grand Bassam, sur  le peuplement d'Assinie, en passant par Modeste, Port-Bouet, Treichville ou encore  Grand Lahou; territoire des N’zima que les explorateurs appelleront l’Appolonie en raison de la beauté, habileté physique mais surtout l'intelligence remarquable de leurs habitants qui fera de ces derniers des négociants  incontournable dans le commerce de la région. En effet , selon certains explorateurs : « Les Apolloniens , de très beaux hommes se signalaient par la coloration foncée de leur peau, leur taille élancée, et leurs attaches fines… » p115 
Ou encore « Les Apolloniens qui ne sont pas tous bons payeurs, commerçants fins et avisés au plus haut degré ont depuis longtemps appris à s’approvisionner en Europe. Beaucoup d’entre eux ont pour correspondants, des compatriotes établis sur la Côte qui sont eux-même en relations directes avec des commissaires de Liverpool ». p132

Les auteurs nous renseignent sur les différents rois qui se succéderont, sur l’organisation politique du royaume N’zima mais également  sur la lutte acharnée entre les puissances coloniales sur la côte; sur les débuts de la colonisation avec l’installation des premiers comptoirs notamment sous le règne du roi Peter ou encore sur le contrôle du négoce colonial par les N’zima alors qualifiés «  d’intraitables négociants ».

Les auteurs couvriront également la formation de l'ancienne colonie de la Côte d’Ivoire qui se traduit par une disqualification de la chefferie traditionnelle, la mise en place de l’organisation coloniale appuyée par des auxiliaires dits «indigènes».
Enfin, les auteurs nous parleront également du rôle de la civilisation N’zima sur le développement de Grand-Bassam puis de l’essor de la capitale à l’époque coloniale. 




L’histoire du peuple N’zima a été retracée, au-delà des sources orales, par des documents écrits incontestables tels que des traités, rapports des autorités administratives, différents accords, journaux de bord d’explorateurs portugais, français, anglais, hollandais , des lettres ou encore des études réalisées par des anthropologue tel que Maurice Delafosse. On retrouve des extraits de ces documents ou leur totalité dans leur version originale bien souvent suivie de leur déchiffrage qui se traduit par une version dactylographiée plus lisible. La diversité des sources est remarquables.

On retrouve également des portraits d'hommes et de femmes illustres qui ont marqué l’histoire de la ville, des  cartes postales , des plans, des informations sur les vagues successives d'immigration, qui ont, très tôt, fait de Grand-Bassam une ville cosmopolite. Il y a également des informations sur  l’histoire et l’origine des propriétaires de chacun des bâtiments qui sont présents dans la ville historique classée au Patrimoine Mondial matériel de l'Unesco. Certains ont été reconvertis: le marché aux légume est devenu la bibliothèque municipale, le bâtiment des  douanes et postes est devenu la maison du patrimoine culturel; certains abritent vendeurs ou restaurants, d’autres sont dans un état de délabrement tel qu’il est urgent que l’on fasse quelque chose ( Premier palais de justice de Cote d'Ivoire).

Ainsi au-delà de l’histoire des N’zima, c’est l’histoire de Grand-Bassam, première capitale de la Côte d’Ivoire que l’on découvre également à travers cet ouvrage.

Ce livre est également une invitation aux jeunes chercheurs, à s'inscrire dans la même dynamique en poursuivant et/ou en approfondissant ce travail de recherche majeur, venu combler un vide dans l'histoire des peuples qui ont constitué la Cote d'Ivoire.


30 oct. 2013

Les Manuscrits de Tombouctou : secrets, mythes et réalités - Jean Michel Djian

Lorsque le 25 Janvier dernier , les djihadistes qui se sont emparés du Nord Mali, ont perpétré un autodafé à la grande bibliothèque Ahmed Baba de Tombouctou, tout le monde a craint le pire. Cet événement à été l'occasion pour certains, d'entendre parler pour la première fois des Manuscrits de Tombouctou et des mythes qui entourent leur existence. Pour d'autres, il a constitué l'occasion d' impulser une prise de conscience sur l'importance de cette richesse culturelle, écrite, qu'il faut impérativement préserver et déchiffrer.

C'est à cette période que j'ai entendu parler du livre de Jean-Michel Djian, : les Manuscrits de Tombouctou, paru aux éditions JC Lattès en octobre 2012.
 Jean-Michel Djian est journaliste et auteur, entre autre de: Politique culturelle, la fin d'un mythe (Gallimard, 2005), d' Aux arts citoyens, De l'éducation artistique en particulier(Homnisphères, 2009) et d'une biographie, Ahmadou Kourouma (Seuil, 2010).
Les Manuscrits de Tombouctou contient principalement des contributions d'experts : historiens, écrivains,  philosophes tels que Doulaye Konaté, Mahmoud Abdou Zouber, Cheikh, Cheikh Hamidou Kane, Souleymane Bachir Ndiaye et de sublimes photos du photographe malien Seydou Camara.
Il s'agit d'un véritable voyage  dans cette région de l'Afrique, à travers l'histoire de ces ouvrages. Les auteurs nous parlent aussi bien de la manière dont ils ont été réalisés que de leur contenu, en passant par des informations sur les érudits, auteurs ces manuscrits.



Estimés à plus de 900 000, ils ont, pour la plupart, été réalisé entre le XIIIe, pour les plus vieux d'entre eux et le XIXe siècle. Les sujets qui y sont abordés sont vastes. On y trouve des traités politiques, de climatologie, de médecine... Des informations sur le cours du sel et des épices, les ventes, des actes de justice, des précis de grammaire. On y retrouve également des conseils sur les relations sexuelles, des mises en garde sur les méfaits du tabac, des explications sur les bienfaits de la prière en commun ou encore de la littérature notamment de la poésie et de la fiction. Des extraits, de manuscrits traduits sont présents dans le livre. Nous avons  par exemple le traité de Abdul Karim al-Maguly, conseiller de l'empereur Aski Mohamed, intitulé : "A propos des bon principes de gouvernement" datant XVe siècle. Il semble que la "genèse de cet écrit (soit) très similaire à celle du Prince de Machiavel" p76, essai écrit, beaucoup plus tard, au XVIIe siècle.

On retrouve ces manuscrits à Tombouctou, à Djenné au Mali, Chinguetti en Mauritanie ou encore Agadez au Niger. "Cette diversité des endroits où vous pouvez les trouver est l'expression de la connaissance nomade dans le XIVe siècle". Toutefois, il serait plus de 100 000 dans la seule ville de Tombouctou et sa région. On les retrouve dans des bibliothèques familiales, entassés par dizaine dans des coffres poussiéreux. Ils sont également nombreux à la bibliothèque Ahmed Baba, du nom du célèbre érudit de l'époque qui dès 1615, dans Échelle pour s'élever à la condition juridique des Soudanais réduits en esclavage, rejette le mythe de la malédiction de Cham en s'opposant à l'esclavage et à la déshumanisation de l'esclave.
Les auteurs nous parlent également de quelques uns des ces érudits, prolifiques, parfois issus d'une seule et même famille; comme la famille Kounta, à qui l'on doit à elle seule, plus de 500 manuscrits... Ce explique que certaines bibliothèques familiales soient si riches.

Ces manuscrits sont pour la plupart, rédigés en Ajami. Il s'agit de la transcription en alphabet arabe des langues vernaculaires de la région tels que le peul, le bambara, le Swahili, le  wolof ou  l'haoussa. Cependant, peu de personnes parlent ou comprennent l'Ajami aujourd'hui; ce qui rend leur déchiffrage difficile.

Au-delà de l'histoire de ces Manuscrits, les auteurs nous font replonger dans l'histoire même de cette région du continent, notamment de Tombouctou, cité florissante, qui au XVe siècle, à l'époque de l'Empire Songhaï , constitue le carrefour du sel et de l'or. Le commerce fervent connu par la région pendant deux siècles permettra l'éclosion d'un foyer intellectuel où se créeront, autour d'endroits emblématiques de la ville, telle que la mosquée de Sankoré ou encore la mosquée de Djingareyber, de nombreuses écoles, rassemblant dans leur ensemble près de 25 000 étudiants, venant de toute l'Afrique : de Fès, du Caire, de l'empire du Ghana... Ces élèves sont réunis devant des Ulémas, accompagnés de copistes, qui reproduisent fidèlement tout ce qui est dit.  D'après Jean Michel Djian "cette économie fondée sur la connaissance, organisé depuis des siècles, n'a pas d'autre équivalent dans d'autres régions de l'Afrique."

Mosquée de Sankoré à Tombouctou

Les auteurs nous parlent également des Empires qui se sont succédés, de Kankan Musa du Mali en passant par la dynastie des Askias de l'Empire Songhaï. Des échanges commerciaux, en passant par l'islamisation qui a joué un rôle important dans le rayonnement culturel de la région et sa production intellectuelle. L'auteur nous parle également de la vie politique et culturel. Des échanges entre la région et le Maghreb, l'Andalousie,  l'empire du Ghana et bien d'autres. Ils nous parlent également des premiers explorateurs occidentaux de la région : R. Caillé (1828), H. Barth (1853) et F Dubois (1896) et de leurs chroniques sur la ville mais également des premières chroniques africaines qui constituent les premières sources écrites sur l'histoire de l'empire du Songhaï : Le Tarikh-es-Soudan  et le Tarikh-el-fattach (XVème)... De personnages illustres issus de l'Université de Sankoré de Tombouctou comme Aben Ali, "un médecin formé à l'université de Sankoré de Tombouctou, qui suivra son maître Ysalguier, installé à Gao mais originaire de Toulouse, cité qu'il retrouvera à la fin de sa vie. Il ira s'installer en 1419 et restera dans l'histoire pour avoir, en cinq jours à peine, sauvé de la fièvre jaune le futur Charles VII alors que les médecins du rois l'avaient condamné..." p91
Ils nous parlent également des anciens alphabets africains : les hiéroglyphes égyptiens, le guèze éthiopien, le méroïtique soudanais, l'écriture Bamoun du Cameroun... ( voir vidéo à la fin de l'article)

Carte réaliseé en 1375 par le Catalan Abraham Cresques pour Charles V. Ces derniers tentaient de localiser le royaume du "Rex Melli"ou "roi de l'or" Kankan Musa.


Enfin, l'auteur aborde la question des forces internes et externes qui sont venues déstabiliser l'Empire et ont crée des dégâts irréversibles sur ce foyer intellectuel et sur le continent. Mais également de la question de la méconnaissance de cette richesse. Il nous donne des explications très intéressantes sur les raisons pour lesquelles, les africains eux-même puis l'idéologie africaniste occidentale fondée sur le mythe de la prévalence de l'oralité sur le continent africain, idée perpétuée et soutenue par des auteurs et penseurs africains, ont contribué à occulter l'existence de ces manuscrits et au manque d'intérêt pour leur contenu.

Cette méconnaissance maintien l'ignorance d'une partie de l'histoire de cette région pour les Maliens, les ouest-africains , les africains et le reste du monde. Aujourd'hui, il est important que des actions soient entreprises pour leur collecte, leur conservation, leur catalogage, numérisation , traduction et exploitation. Le docteur Mahmoud Abou Zouber, préconise  "la création urgente de groupe de recherche composé de spécialiste ouest-africains, maghrébins et d'autres horizons pour une exploitation scientifique de ces documents, qui renferment des faits nouveaux et inédits de la plus haute importance, et qui établissent ainsi la preuve que les Soudanais (les noirs) ont acquis une grande maturité culturelle qui leur permet d'écrire eux-même leur histoire et de spéculer sur le droit, la logique, la médecine, la théologie, l'astronomie et la grammaire." p145
 La mise en valeur et l'exploitation de ces manuscrits, remettraient définitivement en cause l'idéologie africaniste occidentale fondée sur le mythe dominant de l'oralité, le "propre" du continent africain, qui ferait de ce dernier un continent "a-historique". Ces manuscrits prouvent que l'oralité et l'écrit se sont longtemps cotoyés sur le continent.
Le déchiffrage de ces manuscrits est d'autant plus important dans un contexte où les africains tentent de se réapproprier les ressorts de leur historicité en tentant d'appréhender le passé , le présent et le futur, d'un point de vue "africanisé". À l'heure où à  Accra ou en Afrique du Sud, sont organisés des congrès sur la réappropriation de l'histoire du continent et notamment la question de "trouver un discours africain pour parler du passé", ces manuscrits pourraient certainement nous offrir des réponses et  pistes de réflexions...  
(Article de Jeune Afrique : Enseignement supérieur, se réapproprier l'histoire du continent: 


 La longue tradition orale, ne doit plus occulter la longue tradition écrite et méconnue du continent africain.



Vidéo intéressante : "Safi Mafundikwa:  Ingéniosité et élégance des ancients alphabets africains":


14 mai 2013

Reines d'Afrique et héroïnes de la diaspora noire - Sylvia Serbin

J'ai découvert Sylvia Serbin et son ouvrage , il y a quelques années déjà lorsque je regardais assidument l'émission B.World connection . C'est une émission qui souligne l'apport des peuples noirs à l'héritage universel. Elle tente d'éduquer les jeunes issus du peuple noir en leur apportant des éclairages, mais surtout en leur donnant des exemples de réussite auxquels ils peuvent se référer.

L'auteure était donc incontournable pour l'émission en raison de la teneur inédite de son ouvrage, mais également pour sa perspicacité et la persévérance dont elle a fait preuve pour mener à bien cette entreprise.

Elles s'appelaient Abla Pokou, Anne Zingha, Ndete Yalla, Yennega, Ravalona III.... Elles étaient adulées et craintes par leur peuple. Elles haranguaient les foules, conduisaient des armées, faisaient preuve de bonté, d'abnégation ou d'extrême cruauté; étaient de fins stratèges ou d'implacables intrigantes...
Elles étaient mère ou sans enfants, avaient des défauts , des faiblesses, ont été victime ou  martyr...

Ce sont les Reines, femmes d'influence, résistantes, prophétesses, mère de héros/fondateur d'empire, guerrières du peuple noire dont Sylvia Serbin dresse le portrait. Vingt-deux femmes remarquables ayant marqué l'histoire de l'Afrique et de sa diaspora, de l'Antiquité au début du XXème siècle, méconnues ou risquant de tomber dans l'oubli.

L'auteure nous fait découvrir ou redécouvrir ces femmes sans les sublimer. Elle nous les présente avec leur bon et mauvais côté suscitant successivement respect, admiration, choc ou répulsion chez le lecteur.

On peut donc s'identifier à elle, à leur qualité ou leur défaut. Sylvia Serbin n'a idéalisé personne afin de rester objective, mais surtout crédible.

Ainsi les femmes que nous découvrons, viennent de différentes régions du continent et reflètent la diversité des modes de vie et de culture de l'Afrique précoloniale. En effet, au-delà de chacun des portraits l'auteure s'attache à nous expliquer le fonctionnement de leur société respective ; organisées, structurées, politisées, qui commercent avec leurs voisins et sont porteuses de valeurs universelles contrastant avec les idées véhiculées selon lesquelles avant leurs "découvertes", les sociétés africaines étaient figées ou peuplé uniquement de tribus guerrières, de cannibales ou d'arriérés...

Chacun des portraits s'inscrit dans un contexte particulier qui permet à l'auteur de nous éclairer sur certains faits historiques ou personnages contemporains de l'héroïne concernée. Elle nous parlera entre autres de la traite des Arabes, des échanges commerciaux entre les deux rives du Sahara ou encore de l'islamisation de l'Afrique... Elle nous parlera également du général Faidherbe, du mansa Kankan Moussa, l'homme qui a suscité les convoites et l'obsession des Européens pour l'Afrique, de Soundjata Keita ou encore Shaka Zulu...

L'auteure restitue Néfertiti à l'Afrique comme pour nous rappeler que l'Égypte fait partie du continent et qu'il ne s'agit pas d'une entité à part. Les chercheurs occidentaux font souvent référence à cette dernière pour souligner sa beauté exceptionnelle. Dans le livre, elle fait partie des femmes de pouvoir et d'influence. On apprend qu'en plus d'être belle, elle a joué un rôle considérable en Égypte en influençant la plupart des décisions de son époux.

Elle nous parle d'Harriet Tubman des États-Unis qui mériterait de "figurer dans quelque panthéon de héros universels pour avoir, au péril de sa vie, aidé des centaines de Noirs à fuir la férocité des plantations du Sud" ou encore de la mulâtresse Solitude; chapitre où elle brosse le portrait de la société guadeloupéenne où règne la pigmentocracie. Malheureusement, ces femmes sont uniquement célébrées dans leur communauté respective. 

En présentant ainsi des femmes d'Afrique , des Antilles et des États-Unis dans le même ouvrage, Sylvia Serbin fait de son livre un pont pour rapprocher ces communautés qui bien souvent refusent de s'identifier les unes aux autres pour diverses raisons, ralentissant ainsi la création d'une mémoire collective.



Sylvia Serbin, semble, elle, ne pas avoir eu de mal à s'identifier à l'une ou l'autre de ces communautés pour produire ce travail . D'origine Afro-antillaise (Martinique), elle est née et a grandi en Afrique où elle a vécu une trentaine d'années. Son métier de journaliste lui a permis de beaucoup voyager et d'interroger les traditions orales des pays dans lesquels elles se rendaient. Ces informations, couplées à celles qu'elle trouvaient dans les archives d'explorateurs occidentaux, arabes et autres ; lui ont donné des dates et faits précis, des informations objectives incontestables que l'on retrouve dans l'ouvrage.

Le véritable déclic pour l'écrire lui est venu de sa fille, qui à l'âge de 8 ans, après avoir regardé Pocahontas, lui demande "comment se fait-il que tous les autres pays aient des femmes célèbres et pas les gens comme nous ?... On n'existait pas avant ?".

Dès les premières lignes , l'auteure nous dit donc ceci :
" À qui ferait-on croire, en effet, qu'une moitié du genre humain serait restée muette, inactive, silencieuse, absente, transparente même, tandis que l'autre partie s'affairait à
combattre, à diriger, à construire, à protéger ? Pas même à la plus candide des intelligences. Car depuis que le monde est monde, les femmes aussi ont fait bouger les choses et il serait vain de faire croire que l'animation des scènes historiques ne relève que des hommes. Ailleurs, sous bien des latitudes, un nombre croissant d'auteurs d'attellent à une relecture du passé pour y trouver des tempéraments féminins à valoriser, fussent-elles épouses ou favorites de rois. Mais jamais aucune femme noire n'a été consacrée comme héroïne dite universelle".

Ainsi à travers cet ouvrage l'auteure souhaite donc célébrer les reines et héroïnes noires, leur rendre hommage, mais surtout faire en sorte que leur souvenir ne disparaisse pas de nos mémoires. Elle souhaite également que les enfants issus des peuples noirs aient un autre patrimoine que celui de l'esclavage et de la colonisation pour se construire une identité forte. Enfin elle souhaite que les femmes noires, bien souvent absentes de la mémoire collective, se rappellent (ou sachent) qu'elles ont joué des rôles primordiaux dans les combats de l'humanité.

26 févr. 2013

AIN'T I A WOMAN : black women and feminism - Bell Hooks


Bell Hooks, de son véritable nom : Glora Jean Watkins est une intellectuelle , activiste féministe et auteure prolifique, qui a de nombreux romans, essais et livres pour la jeunesse à son actif.

 Pendant ses études, elle constate l'absence de discussions ou travaux sur la contribution des femmes noires à la société américaine ; au mouvement féministe notamment. Selon elle, les femmes noires et leur expérience singulière aux États-Unis ont été oubliées ou tout simplement volontairement ignorées. Pour pallier ce désintérêt, elle décide de raconter l'histoire de ces femmes. La nécessité de cette entreprise lui sera confirmée par l'attitude de son entourage. Lorsqu'elle mentionne son idée de livre, lors d'un dîner entre amis, l'un d'eux, pris d'un fou rire lui répondra " What is there to say about black women?". D'autres amis présents éclatèrent de rire à leur tour.

Sa réponse se trouve dans Ain't I a women.

Dans cet essai qui se décline en cinq grands chapitres, Bell Hooks nous raconte l'expérience singulière des femmes noires des États-Unis. Depuis l'esclavage jusqu'aux années 1980, période où elle publie ce livre. En effet, pour expliquer le désintérêt pour l'histoire de l'américaine noire et sa dépréciation, il a fallu remonter aux sources des processus, violences, mythes et manipulations dont elle a fait l'objet au cours de l'histoire.

De nombreux intellectuels  sexistes ont, des années durant, minimisés l'impact de l'esclavage sur les femmes, en affirmant que les hommes, victimes de racisme et atteint dans leur virilité, étaient ceux qui en avait le plus souffert. L'auteure, au travers de ses recherches , montrera que, les femmes noires, ont non seulement souffert de racisme mais  également de sexisme. Ses deux formes d'oppression combinées , institutionnalisées à travers le patriarcat; ont eu un impact inimaginable sur l'histoire de la femme noire aux États-Unis.

 On réalise dès les premières lignes que si les esclaves, tout sexe confondu, ont vécu, enduré et surmonté des choses qui dépassent notre entendement aujourd'hui; la détresse des femmes a été aggravée par l'oppression sexiste, l'exploitation sexuelle, la masculinisation et la manipulation dont elles ont fait l'objet ; qui ont finit par les déshumaniser.
En effet, déjà sur les négriers qui les transportaient de l'autre côté de l'Atlantique ; les colons , s'attelaient , le long de la traversée à utiliser différentes méthodes pour détruire la fierté, l'arrogance, l'esprit de liberté et la dignité des esclaves. La méthode de "prédilection" qui sera utilisé sur les femmes pour les rendre plus dociles sera le viol.
Ainsi, depuis les bateaux, jusqu'aux plantations; le viol des femmes noires sera une "méthode institutionnalisée", courante, banale à tel point que pour éviter le mot "rape"(viol), on parlera des victimes comme des prostituées et par extension de toutes les esclaves comme telles. L'emploi de ce terme aura un véritable impact sur la perception des femmes noires qui se perpétuera par la suite dans l'histoire, jusqu'à nos jours.
De plus, sous l'ère victorienne, caractérisée par un puritanisme à toute épreuve, on martèle pendant les cours de religion que la femme noire est l'incarnation de l'immoralité sexuelle "sauvage" , la dépravation "diabolique". C'est la naissance du premier cliché et mythe sur celle-ci, qui traversera l'histoire, sera adopté par les hommes noirs qui , libérés, embrassent à leur tour le système patriarcal...

Il s'agira là du premier d'une longue série de clichés et mythes, construits de toutes pièces sur la femmes noire, revisités par les médias, les expressions culturels ( théâtres...). Ils traverseront le temps, l'espace ; pour affecter de manière insidieuse les consciences, d'aujourd'hui; et ce que l'on soit américain ou pas.

Après la traversée, la vulnérabilité des femmes noires, sera aggravée par le fait qu'un grand nombre d'entre elle travaillera dans les maisons, au plus près des maîtres. Les viols continueront et les femmes des maîtres  accuseront  et feront payer les "prostituées" plutôt que leurs maris. Ce sera le début de l'antagonisme entre femmes noires et femmes blanches qui les empêcheront , de se réunir, plus tard; sous la bannière du féminisme. Cet antagonisme; sera aggravé par l'envie-mépris que les femmes noires éprouvent envers les femmes blanches. En effet, ces dernières sont érigées par les enseignements de l'époque, comme le modèle de pureté et de féminité par excellence. On renie alors aux femmes noires leur féminité; elles, qui sont également nombreuses dans les plantations; portant des pantalons et effectuant des tâches d'hommes.

Ainsi, Bell Hooks examinera l'impact du sexisme sur les femmes noires durant l'esclavage, la dévaluation perpétuelle ces dernières dans l'histoire américaine, l'impérialisme du système patriarcal qui a ,dans une certaine mesure, réussi à absorber les hommes noirs qu'il oppressait autrefois (ces dernier pratiqueront l'oppression sexiste à leur tour) et bien d'autres sujets...
Enfin l'auteure aborde la question du féminisme ; notamment l'émergence du Black Feminism, né de la nécessité pour la femme noire, muselées par les féministes blanches, de pouvoir exprimer des revendications propres à leur expérience. Sa naissance coïncide avec celle du mouvement pour les droits civiques. Ainsi la question du sexisme mais également du racisme sera au centre des préoccupation et des textes fondateurs du mouvement.





Au delà de la question de l'histoire de la femme noire, cet essai est un véritable voyage dans l'histoire des États-Unis et dans la mentalité du WASP qui domine le monde, crée de toutes pièces des mythes et hiérarchie, qu'il bouleverse lorsqu'elles ne servent plus ses intérêts comme il le voudrait...

L'auteure aborde également des sujets connexes telles que les problèmes entre afro-américain et afro-américaines notamment au sein des couples à cause des mythes et clichés. Elle aborde également  la différente perception des couples mixtes : noirs/blanches vs blancs/noirs et bien d'autres sujets de ce type...

Son travail de recherche est impressionnant. Pratiquement chaque page est ponctuée d'extraits d'articles de journaux, discours, études, réflexions, pièces de théâtre, publicité pour assoir les mythes qui datent parfois du 19ème siècle...

Enfin, Bell Hooks rend hommage aux femme qui ont marqué le Black Feminism par leurs actions, écrits et réflexions. Elle rend un hommage particulier à la remarquable Sojourner Truth, ancienne esclave émancipée, qui en 1852 prononcera son célèbre discours : " Ain't I a woman ?"

29 janv. 2013

The First Rasta - Hélène Lee


Le premier Rasta c'est l'histoire d'un homme : Leonard Percival Howell (1898 -1981), qui a voulu libérer les afro-jamaicains de Babylon ou l'Establishment. C'est l'histoire d'un homme oublié, longtemps considéré comme un fou, qui pourtant , a su judicieusement  allier différentes influences, idées et croyances  pour tenter de libérer son peuple.

Son histoire nous est racontée par Hélène Lee, journaliste française, spécialiste des musiques jamaïcaine et ouest-africaine.  Passionnée et intriguée par Leonard Howell, le lecteur la suivra dans ses pérégrinations en Jamaïque entre les quartiers pauvres de Kingston (Trenchtown) et la campagne;  à la rencontre des souvenirs et témoignages de personnes qui ont connu Howell, l'ont cotoyé ou encore vénéré. Ces précieuses informations, souvent racontées comme des légendes, car Howell était vu comme tel, peuvent être considérées comme issue de la tradition orale Rasta. Hélène Lee fournira alors un travail remarquable basé sur des conjectures, la mémoire des personnes qu'elle rencontre, les articles et archives jamaïcaines, américaines et anglaises disponibles sur Howell.

Si Howell a laissé des traces , certes floues, un peu partout dans le monde c'est parce qu'il est très tôt , obligé de quitter la Jamaïque;  après avoir assisté à un meurtre, alors qu'il était assis du haut d'un arbre. Cet "incident" constituera, le premier d'une série de long mythe sur le personnage. Il partira ainsi vers les chantiers du Canal de Panama , à Colòn, la "Capitale du monde", dans le New York bouillonnant du Harlem Renaissance où il rencontre Marcus Garvey et d'autres militants du nationalisme noir. Il fera , pendant 12 ans, le tour du monde, sur des bateaux de transport de troupes de l'armée américaine en tant que cuisinier.  Lorsqu'il rentre en 1932 en Jamaïque, il n'est plus le même et se donne une mission ...

Pendant ce temps-là ,la "prophétie" des Psaumes , rendue célèbre par Marcus Garvey, se réalise en 1930, avec le couronnement du negus: TAFARI Makonnen , fils du RAS Makonnen; qui revendique son ascendance biblique et règnera sous le nom d'Haile Selassié I (Puissance de la Trinité) avec pour  titres : Negus des Negus d'Éthiopie, Seigneur des Seigneurs, Lion conquérant de la Tribu de Judah, Lumière du monde, Élu de Dieu. 
Leonard Percival Howell, sait désormais comment libérer son peuple.

De retour en Jamaïque, il commence à distribuer des portraits de Selassié, empereur africain, libre et RESPECTÉ , par tous , même par la Couronne . Il ne parle pas de Selassié comme un Dieu mais plutôt comme le seul noir, empereur, avec des titres comme ceux que l'on retrouve dans la Bible. À l'époque , il n'y avait  aucun modèle noir auxquels les afros-jamaïcains, écrasés par la couronne, auraient pu se référer, en qui ils auraient pu espérer. Il leur dit alors que seul Haile Selassié serait en mesure de les comprendre et  les aider et que c'était donc vers lui qu'il fallait se retourner.
La population, illettrée, se référant très souvent à la Bible , transposera littéralement les paroles d'Howell et fera de Haile Selassie I son Dieu vivant. Cela a sûrement été aggravé par le reggae et notamment le fait qu'une icône comme Bob Marley chante la magnifique (mais scandaleuse ? ): "Selassie is the chapel" : http://www.youtube.com/watch?v=0LRlmCko58o )

Howell ira plus loin en soulignant qu'il y avait enfin un gouvernement noir souverain, une nation noire souveraine et c'est à cette dernière qu'il fallait faire allégeance, en ignorant la couronne anglaise. C'est alors que commenceront les persécutions, incarcérations, séjours forcés à l'asile de celui qu'on appellera  le GONG.

Howell reste inébranlable malgré les épreuves et continue à prêcher le mouvement rasta. Il créera le Zion, ou Paradis sur terre : ce sera le Pinnacle, la première communauté Rasta, qui comptera à son apogée près de 4500 membres et  deviendra la première entreprise industrielle de production de marijuana; s'attirant les foudres et convoitises des barons de la drogue, des politiciens...

Dans les années 1950, la communauté du Pinnacle, est contrainte de s'éparpiller, diffusant sa philosophie dans tous les ghettos de l'île. Le Gong, Howell tombe dans l'oubli mais son message trouve des adhérents. C'est "in the governement yard in trenchtown" , que Bob Marley reprend le flambeau et décidera , contrairement au Gong , d'être plus "tuff" en ne tombant jamais dans l'oubli et adoptera  le sobriquet  :"Tuff Gong".




Hélène Lee, en abordant le mouvement sous toutes ses coutures : influences, évolutions, origines des pratiques, déconstruit les clichés. Elle explique ainsi, la nécessité éprouvée par Howell et les autres prêcheurs,  de créer un tel mouvement pour l'émancipation politique, économique et culturelle des afros-jamaïcains de l'époque. Cette démarche (de l'auteure) était nécessaire car la radicalisation de certains ordres, les dérives  et l'image bien souvent répandue du rasta high en train de fumer un joint, imitée par les jeunes "rebels" du monde entier ( qui ne savent pas grand chose sur le courant), pousse les gens à associer les rastas à des voyous, indignes de considération ; les empêchant ainsi d'aller au-delà des clichés et d'interroger la philosophie.

Enfin, au-delà du mouvement rasta, l'auteure, à travers l'histoire du "mystic man", brosse le portrait historique, politique, économique et culturel complexe de la Jamaïque de ces 150 dernières années. Elle nous montre comment, un petit groupe d'anciens esclaves, illettrés, méprisés et persécutés, mené par le Gong réussit à imposer sa philosophie, forger l'identité culturelle de la Jamaïque et à exporter cette dernière qui constituera l'un des mouvements les plus populaires du XXe siècle.

Étant une grande fan de reggae et m'intéressant à la culture Jamaïcaine, inutile de vous dire que j'ai adoré ce livre qui m'a permis d'en apprendre davantage sur l'histoire de cette musique,  sur la place de l'Afrique dans l'imaginaire des rastas et bien évidemment sur la vie étonnante du Gong. 
En plus de la vie de ce dernier, l'auteure mentionnera brièvement le parcours de nombreux "culture changer" et personnages complexes qui ont influencé les communautés noires des États-Unis, des Caraïbes et l'Afrique. Je le recommande à tous les amoureux de reggae et tous les curieux!

Pour ceux qui lisent moins :-), voici le lien du documentaire, du même titre, produit par Hélène qui est très intéressant mais, en raison de contraintes évidentes, moins complet que le roman :
"Une histoire que l'on vous a cachée est sûrement vraie "


Je terminerai avec cette chanson de Burning Spear, "Man in the hills" que j'aime beaucoup et qui parle peut-être du Pinnacle ou des Marrons qui se réfugiaient généralement dans des endroits inaccessibles lorsqu'ils s'enfuyaient :  

12 janv. 2013

The Fate of Africa - Martin Meredith


Auteur de nombreux ouvrages sur l'Afrique tel que Born in Africa : the quest of the origins of human life , Diamonds ou encore Mandela : A Biography; Martin Meredith, historien, journaliste et biographe ; tente dans The fate of Africa d'éclairer le lecteur sur la situation actuelle de tous les pays africains à travers leur histoire récente, depuis les indépendances. Tout au long des 700 pages, le lecteur voyagera du  Nord au Sud , de l'Est à l'Ouest; plongera dans la vie des grands acteurs de chacun des pays : militants, activistes, héros, dinosaures au pouvoir, ou encore "martyrs"...

Je ne sais par où commencer ...

J'ai mis plus d'un mois à terminer cet essai qui, aujourd'hui, me semble être indispensable pour tous les amoureux du continent et pour toutes les personnes qui s'intéressent à son histoire, sa politique et surtout son  actualité.  Lorsque l'on écoute les différents journaux qui font le tour de l'actualité africaine, bien souvent ( en ce qui me concerne en tout cas), on entend parler d'évènements/problèmes dont on ne connait pas toujours l'origine; ou encore d'évènements dont on entend parler pendant des mois voire des années en sachant vaguement de quoi il s'agit réellement. Pour faire court, j'écoutais les informations de ma région d'origine avec beaucoup d'attention et les autres, un peu plus passivement car je ne savais pas grand chose sur ces régions lointaines. Mais aujourd'hui, grâce à ce bouquin, j'ai l'esprit plus actif/critique quand je clique sur les journaux Afrique. Cet essai aiguise ma compréhension des évènements qui ont lieu dans mon Afrique de l'Ouest mais également dans toutes les autres régions du continent. Il m'a également donné envie de continuer à en apprendre encore et encore , je n'hésiterais pas à relire certains chapitres quand le besoin s'en fera ressentir... Chacun des chapitres , construit comme des nouvelles, racontées avec du suspens et des rebondissement ; est un véritable cours qui permet de mieux comprendre l'histoire récente des pays concernés ; essentielle pour comprendre leur évolution et situation actuelle. The Fate of Africa , au premier abord, parait intimidant mais dès qu'on le commence, il est impossible de s'ennuyer et de ne pas le terminer.

De cet essai, je retiendrais principalement que bien que l'Afrique soit plurielle car l'histoire précoloniale de chaque pays est différente, l'organisation coloniale et son héritage également , les orientations prises par les différents leaders d'après indépendance étaient différentes également; il y a tout de même de nombreuses constantes si l'on " ne cherche pas plus loin". En effet, d'abord modelés selon les intérêts/succès des puissances coloniales, puis euphorique avec les promesses d'indépendance et l'accession à celle-ci, l'histoire de la plupart des pays va finalement virer au cauchemar notamment dans ce que l'on appelle le processus de démocratisation et ce pour de multiples raisons. Elles sont toutes connues mais il est intéressant de voir le rôle que chacune d'elles à jouer dans chaque pays, à différents degrés. 

En tentant de les regrouper comme suit, j'ai été replongée dans un de mes cours de l'Université de Montréal, intitulé "enjeux politique en Afrique" . Je vais donc m'inspirer de notions que j'ai apprise  pour tenter de décortiquer les grandes tendances que l'on peut faire ressortir de The fate of Africa. 

Il y a des raisons culturels , qui sont évidentes. L'auteur ne mentionne pas la thèse selon laquelle les cultures et pratiques africaines pré coloniales seraient peu propices à la démocratie ou au développement. Il affirme  plutôt qu'entre autre, le fait d'obliger différentes ethnies  à cohabiter au sein d'un espace déterminé aura eu un impact sur la transition démocratique ( libéralisation puis phase de consolidation). La diversité ethnique et religieuse semblerait être un obstacle au processus de démocratisation car elle pousserait les individus à se battre pour les intérêts de leur groupe plutôt que pour ceux de la nation (concept alors récent, qui a été forcé et pas encore bien "intégré" par les populations). Mais alors que dire du cas de la Somalie, le seul pays qui , au sortir de la colonisation , avait une véritable homogénéité ethnique et culturelle  et qui s'est pourtant retrouvée dans une guerre ? Et ceux dont la relative hétérogénéité culturelle n'a pas engendré de problème ? En réalité, la diversité n'est pas réellement le problème mais la politisation de cette dernière.

Il y a ensuite des raisons économique. L'auteur ne mentionne pas que l'économie coloniale était fondée sur 3 exigences, qui ont survécu après la colonisation : l'impératif de revenue et d'autonomie des colonies, l'impératif d'accumulation de la puissance coloniale  et l'impératif d'articulation à l'économie de la métropole. Ces derniers, ont engendré une extraversion et désarticulation des économies africaines , la mise en place d'un système économique essentiellement de rente et une valorisation externe de nos richesses. Mais dans deux chapitres intitulés "The slippery slope" (16) et "The lost decade" (22), l'auteur tente d'expliquer les raisons de ses fiascos économiques, qui sont à la fois les explications et le résultats de l'échec des processus de démocratisation. 
"The slippery slope" nous explique qu'en 1970, le continent africain connait une séries de calamités  ( sécheresse, baisse des niveaux de production agricole, baisse du niveau du Lac Tchad..) aggravées par des facteurs externes ( récession mondiale, choc pétrolier). Toutefois, selon l'auteur "real problems were not due to external factor but rather internal ones" : corruption et néopatrimonialisme, course aux ressources/richesses qui engendre des conflits, manque d'investissements , système inadéquat de commercialisation , manque d'équipements, personnels peu qualifiés... Selon ce dernier, l'histoire du Ghana à cette période, illustrerait parfaitement le déclin d'une Afrique dans laquelle le seul secteur florissant était le kalabule- le marché noir.
Dans "The lost decade", il explique que " So steep was Africa's economic decline during the 1980s that it became known as the lost decade"p.368. C'est la décennie durant laquelle le niveau de vie baisse dramatiquement, les infrastructures issues de l'ère coloniale tombent en décrépitude, la fuite des cerveaux s'amorcent, le secteur informel se renforce, le marché noir est roi et les ajustements structurels font leur apparition. Le Ghana devient alors la "star performer" de ses ajustements structurels sous Rawlings. Au détriment de la dette du pays, qui double entre 1983 et 1988.
Ainsi , ces mesures imposées par les institutions internationales n'auront pas les effets escomptés et la Banque Mondiale arrivera à la conclusion selon laquelle " economic growth alone would not solve the crisis, political reform too was essential".  On assistera  alors  à l'apparition de la conditionnalité démocratique en matière d'aide publique au développement.

Il y a le facteur institutionnelle. L'auteur mentionne brièvement ,dans son introduction, l'impact de la colonisation sur les formes d'organisation territoriale en Afrique en parlant de la conférence de Berlin et de la manière dont les états ont été construits , modelés selon les conquêtes/intérêts. Mais l'auteur ne mentionne pas que les différents modèles de domination ( directe/assimilation, indirect rule, colonie de peuplement...) ont des impacts différents sur les États postcoloniaux. Dans le cas des colonies portugaise par exemple, marquée par la désorganisation , la violence et les travaux forcés , les élites de l'après indépendance ont continué à reproduire ces "traits"...  Ainsi, les états postcoloniaux africains sont des États hybrides  car héritier de l'Afrique traditionelle, coloniale et postcoloniale. Dans les années 1960 , on assiste à une diversification de régime autoritaire à travers les régimes de parti unique, ceux d'orientation marxiste, les régimes populistes (les meilleurs), les sultanismes (pire )et les régimes d'apartheid (pire)...Avec la vague de démocratisation des années 1990, ces régimes disparaissent. Bien que différent, ils partageaient toutefois un trait commun, qui a aujourd'hui un impact dans tous les pays : la gestion néopatrimoniale. Elle engendre une tendance à la corruption,  aux systèmes de patronage et la difficulté du développement. Elle engendre également une tendance à l'autoritarisme et une prédisposition aux conflits. Elle engendre une difficile institutionnalisation du pouvoir et la fréquence des alternances violentes. Enfin, elle engendre une tendance à l'écrasement de la société civile.

 La gestion néopatrimoniale est indissociable du facteur stratégique (les leaders comme force politique) . Le facteur stratégique est selon moi celui que l'auteur a privilégié tout au long de son travail. En effet, il brosse le portrait historique des pays à travers l'histoire et le parcours des acteurs importants de ces derniers ; notamment celui qui a conduit à l'indépendance puis par la suite les grands acteurs politiques qui ont marqué/forgé l'histoire récente de chacun d'entre eux. Le parcours de ces derniers, permet bien souvent de mieux comprendre l'orientation qu'ils ont donné aux pays qu'ils ont gouverné. Bien souvent les leaders de l'indépendance étaient des héros , plein de bonne volonté qui ont très vite montré leurs limites et démontrer de nouvelles motivations. Entraînant les peuples de l'euphorie au cauchemar...
L'histoire des pays est donc indissociable de celle de leur leader et l'auteur l'a bien compris en procédant de la sorte.

Enfin, il y a le dernier facteur, qui à mon humble avis est le plus important : car il englobe tous les autres facteurs : l'histoire. À travers l'histoire RÉCENTE de tous les autres facteurs on sait comment nous en sommes arrivés là. L'histoire est déterminante et permet d'expliquer le développement de certains processus ou encore caractères propres à des pays ou sociétés. Elle permet même parfois de prédire l'évolution de ces derniers d'où sont importance.

Ainsi, la culture, l'économie, les institutions, les leaders comme force politique et l'histoire sont les cinq grands facteurs qui ont influé, à divers niveaux et degrés, sur le cours de l'histoire des pays africains notamment dans les processus de démocratisation, conduisant aux situations diverses que l'on connait aujourd'hui malgré les quelques "constantes" de départ.




Les histoires qui m'ont le plus choquée sont celles de la Guinée équatoriale , de l'Ouganda et de la Centrafique , avec leurs leaders adeptes de sacrifices humains et bien d'autres horreurs... Il y a également les histoires tragiques de la région des Grands Lacs qui s'interpénètrent et s’entraînent mutuellement dans des cauchemars  encore aujourd'hui: Rwanda, Burundi, Ouganda, RDC... Enfin la guerre au Libéria et en Sierra Leone avec leurs enfants soldats...
Il y a également la politique de l'Ujamaa de Julius Nyerere qui m'a fait penser à la politique de collectivisation forcée et brutale du régime du Kampuchéa (Khmer rouge) et ses conséquences désastreuses...
Il y a celles qui m'ont étonnée : le Mobutuism, le Nkrumaism, le Bourguibaism et autres politiques d'africanisation ou arabisation qui semblaient plutôt être l'expression de la mégalomanie des leaders concernés... 
Il y a celles qui m'ont fait froid dans le dos : le dénie de l'existence du Sida par Thabo Mbeki puis son entêtement qui ont engendré la mort de plus de 300 000 personnes en Afrique du Sud ou encore la chasse aux intellectuelles opérées par certains leaders...
Il y a celles qui m'ont déçue car elles m'ont révélé des choses que j'ignorais soit en démystifiant un leader que j'aimais bien, soit en  me faisant réaliser combien de véritables héros de l'après indépendance, sont devenus irascibles, incohérents parfois au point de faire partie , aujourd'hui, de la catégorie des rhinocéros /dinosaures encore au pouvoir...
Puis il y a celles qui émerveillent, les plus positives finalement ( Afrique du Sud, Botswana, Sénégal) mais dont la bonne évolution ne semble pas toujours irréversible, bien souvent, encore une fois, à cause des actions/inactions de leur leader ( Sénégal ,Afrique du Sud). Le Botswana semble être l'incontestable exception africaine.

The fate of Africa est donc un travail important et impressionnant réalisé par Martin Meredith. Chacun des chapitres concerne un pays ou un sujets transversales comme l'économie, le sida, l'apparition des islamistes radicaux au Maghreb , le concept de la Renaissance Africaine et bien d'autres encore... Il y a également des annexes avec quelques photos de dirigeants ou d'évènements importants...

Bien qu'il permette de comprendre notre histoire récente, il ne doit pas nous faire oublier que la situation actuelle du continent africain est le fruit d'un processus complexe qui a commencé bien avant la période des indépendances, bien avant la période de l'arrivée des premiers explorateurs car lorsque ces derniers sont arrivés, l'Afrique connaissait déjà des bouleversements internes qui l'ont fragilisé et l'ont rendu plus vulnérable aux agressions/agresseurs externes.
 Nous devons nous rappeler que notre histoire ne commence pas en 1960 et c'est aux africains de faire le travail et les recherches nécessaires pour produire des volumes aussi importants sur notre histoire précoloniale et ses mystères. 

Je terminerai avec une phrase surprenante de la part de la personne qui l'a émise : Hastings Banda, président du Malawi de 1968 à 1994, prononcée bien évidemment, après son règne " This is the trouble in Africa today : too many ignorant people who do not know anything about history"..."And if they do know anything about it they do not know how to interpret and apply it. That is why Africa is a mess. That is the tragedy of Africa : too many ignorant people are in position of power and responsibility." p.409