20 nov. 2014

L'Abissa 2014 !





Cette année, étant en Côte d’Ivoire, principalement à Grand-Bassam pour un peu plus de six mois,  dans le cadre d’un travail de recherche;  il m’était impossible de rater l’Abissa et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un évènement qui aura une place importante dans la rédaction de mon mémoire.
Avant qu’elle commence, dans le cadre de mes recherches justement,  j’ai eu la possibilité d’interroger de nombreuses personnes sur ce que l’Abissa représentait pour elles, leur communauté, à savoir les N’zima, et de quoi il s’agissait réellement. En effet, bien qu’elle soit sans cesse présenter comme "une des plus grandes attractions touristiques de Côte d’Ivoire", au-delà de l’aspect festif, carnavalesque; pour les N’zima, l’Abissa revêt un caractère bien plus intime, traditionnel voire spirituel … en tout cas, pour certains d'entre eux !

Depuis mon arrivée et le début de mes différentes séries d’interviews, tout le monde m’en parlait. Certains avec engouement, d’autres avec un peu plus de dédain…
Du chauffeur de taxi, en passant par les différents habitants de la ville ou les personnes qui y travaillent; tout le monde mentionnait spontanément cet évènement, même lorsque je ne l’abordais pas dans mes questions :

 « -Tu as déjà vu l’Abissa ? 
-Non!
 -Quoi tu n’as jamais assisté à l’Abissa ?
 -Heu… non!
 -Ah tu vas voir, c’est formidable! »



                              Je vais donc tenter de vous raconter mon Abissa 2014





Aux origines de l'Abissa 

Avant de m’étaler un peu sur l’Abissa; il me semple indispensable de commencer par une très brève présentation du peuple N’zima kôtôkô. Il s’agit d’un sous-groupe du grand groupe des Akans. On les retrouve principalement sur la côte Est de la Côte d’Ivoire et la Côte Ouest du Ghana. Il s’agit d’une société matrilinéaire composé de sept matri-clans ou familles qui sont les suivantes : les Nvavilé, les Ndjuaffo, les Allohomba, les Adahonlin, les Ezohilé, les Mafolé et les Azanhoulé.

Selon la tradition orale N’zima, l’Abissa appartiendrait à l’une de ces sept familles, celle des Nvavilé. En effet, un jeune Nvavilé, qui allait chasser dans la forêt giboyeuse de l’époque, fut distrait et attiré par le grondement d’un tam-tam… il se rendit à l’endroit d’où provenait la musique et les acclamations. Caché et observant les festivités, il fut découvert par les génies qui lui transmirent la danse et le mirent en garde : chaque année, à la même période, son peuple devait célébrer cette fête au risque de voir un grand malheur s’abattre sur la communauté. C’est ainsi que la fête fut transmise aux hommes par les génies et que depuis, les N’zima la célèbre.

Il s’agit de la célébration de la nouvelle année pour les Nzima, durant laquelle, tous les Nzima « rentrent en famille » afin de passer du temps ensemble et se souhaiter les meilleurs vœux pour l’année à venir.

L’Abissa s’étend sur deux semaines, diamétralement opposées par leurs atmosphères et les actions qui s’y déroulent. La première, appelée ‘Siédou’ est considérée comme la semaine silencieuse; la seconde ‘Gouazo’ est celle des effusions, des festivités.

Le siédou  

Le siédou démarre un dimanche en fin d’après-midi. Cette année, c’était le 19 octobre. La famille Nvavilé, détentrice de l’Abissa et gardienne du tam-tam sacré, l’Edongbolé, ‘prépare’ ce dernier, en le nettoyant, le séchant, le décorant. Puis, après libation, il est prêt à sortir de la maison dans laquelle il est conservé pour rejoindre la place de l’Abissa.

J’étais moi-même sur la place de l’Abissa, avec quelques amis, lorsqu’il est arrivé. Nous attendions depuis un peu plus d’une heure; heure durant laquelle nous ne nous sommes pas ennuyés car il y avait beaucoup d’agitation aux alentours. De nombreux jeunes déguisés, des enfants qui s’enduisaient le visage et le corps de kaolin… des altercations aussi. Bref, nous étions absorbés par ce qui se passait autour de nous, du coup nous n’avions même pas réalisés que le tam-tam était là, jusqu’à ce que les initiés commencent à le faire gronder.







Il y a eu alors comme une radiation, toute les personnes se sont tournées vers lui et se sont mises à danser. C’était vraiment impressionnant! Le tam-tam est resté sur la place quelques minutes, puis il a commencé à être transporté à travers le village. Une importante procession l’accompagnait.



C’est à ce moment-là que j’ai vu pour la première fois un des pas de l’Abissa, le plus vigoureux, celui qu’on l’on désigne comme le pas des jeunes… En effet un groupe de jeunes, déchaînés s’est mis à l’effectuer juste sous nos yeux. Nous étions au bon endroit, au bon moment!
Et puis le tam-tam a continué sa course… pour retourner dans sa maison, toujours suivi de nombreuses personnes, de tous âges!




À l’époque, il était envoyé en brousse, dans le Bouakè, le bois sacré...
Durant toute la semaine, les habitants du village sont priés de rester silencieux ou du moins le plus calme possible. C’est une semaine de méditation avant le début des véritables festivités!



La fin de la cérémonie marque le début de la semaine considérée comme silencieuse, durant laquelle le peuple doit méditer. C'est l'occasion de faire une instrospection, penser aux bonnes et mauvaises actions de l'année écoulée, afin de commencer celle qui arrive sur de meilleures bases.

 Le Gouazo 

C’est la semaine qui m’a donné le vertige et déboussolée!!  Je n’avais jamais vu autant de monde à Grand-Bassam! J’irai même jusqu’à dire que j’ai eu du mal à m’y faire. Il m’a fallu quelques jours d’adaptation. Les premiers jours, dès que les danses se terminaient, je me précipitais chez moi… tandis qu’au terme de la semaine, j’avais le courage de me balader après les danses pour ‘assister’ à l’euphorie. Mais l’Abissa a eu raison de moi car le dernier jour, je suis tombée très malade ! Bref… revenons à nos moutons!

Le Gouazo, vous l’aurez compris, est la partie ou les festivités commencent réellement et durant laquelle on observe une affluence record à Grand-Bassam!




Elle a commencé une semaine après le Siédou, un dimanche après-midi. Le tam-tam après sa semaine de ‘retraite’, est sortie de sa ‘maison’ pour se diriger vers le Palais Royal où  le roi l’attendait pour effectuer des libations. Le tam-tam est donné au roi afin qu’il ‘transmette’ l’Abissa au peuple. Ainsi, après les libations on dit à Grand-Bassam que l’Abissa appartient au peuple ce qui signifie que pendant une semaine, l’autorité, la crainte du roi et de représailles éventuelles s’efface au profit de la liberté d’expression. C’est la semaine ou tout est permis ou tout le monde serait sur le même pied d’égalité. En effet, comme les personnes présentes ont pu le constater ce jour-là, dans le Palais Royal, le roi, entouré de sa famille et son porte-canne, était assis sur une simple chaise. C’est ce qui m’a frappé dès que je suis rentrée dans la pièce. En regardant le roi je me suis dit : tiens, il manque quelque chose! Effectivement, c’est un peu plus tard, en parcourant les photos que j’ai réalisé ce qu’il manquait!




                                          Le tam-tam se dirige vers le Palais Royal

                                       Il y avait du monde, beaucoup de monde…


Les instrumentistes sont tous habillés de la même façon (au centre). La photo ci-dessus me fait beaucoup rigoler parce qu'il s'avère que l'un d'entre eux est notre chauffeur. Pendant plusieurs jours, il avait "disparu", prétextant une maladie...
Et lorsque j'ai pris cette photo; je ne m'étais pas rendue compte qu'il y était...
C'est le troisième jour que nous nous sommes rendu compte ma mère et moi qu'il était parmi les instrumentistes. Nous regardions les danses et elle s'est écriée :
 "-Affoh ! Regarde sur le podium là-bas!! Tu vois qui je vois ? Tu le reconnais ? C'est ...."
Nous étions surprises et rigolions en nous disant " On l'a attrapé !! On va le lui dire à la fin de l'Abissa quand il se sera soudainement remis de sa "maladie"!

Mais ma mère ne s'est pas fâchée...
De toutes les façons, chez les N'zima, on a pas le droit de se fâcher durant l'Abissa. D'ailleurs si l'on s'est querellé avec quelqu'un durant l'année écoulée et que l'on ne parle plus à cette personne; lorsqu'à cette période cette dernière vient s'excuser; vous devez lui pardonner!

Et je dois avouer que je me suis moi-même surprise à me réconcilier avec une personne qui m'avait énervée après une interview et que je feignais de ne pas voir lorsque nous nous croisions !! (rires)

Ma personne ressource qui vit dans le village N'Zima s'est également réconciliée avec deux personnes à qui elle n'adressait plus la parole.




Le roi a remis le tam-tam au peuple et tout le monde s’est dirigé vers la place de l’Abissa tandis que lui, est reparti. Il ne se montre que les mardi et samedi, appelés ‘ jours de la sortie du roi’.

Voici quelques photos de cette semaine de festivité 

Dimanche, jour 1 

Journée de sortie de l'Edongbolé qui est remis au roi; afin qu'il le remette au peuple.
 Au calme de la semaine précédente succédera une semaine d'euphorie au son du tam-tam qui 'parlera' tous les jours! Les festivités peuvent commencer !







Ce monsieur (photo ci-dessus) animera chaque journée. Il est affectueusement appelé Edongbolé , comme le tam-tam par les Nzima; car aidé de son micro; c'est ce dernier qui, en langue Nzima commandera au tam-tam d'accélérer ou de diminuer la cadence!
Ses expressions, toujours les mêmes d'ailleurs, résonnent encore dans ma tête!!
L'Abissa ne serait pas pareil sans lui !!



Hommes déguisées en femme et imitant leur démarche




Au centre, un autre homme déguisé en femme! Il a longuement dansé!


Lundi, jour 2

C'était la journée des jeunes qui ont eu droit à une conférence le matin et des danses l'après-midi.

Le matin, le premier invité était le Pr Joachim Agrbroffi, anthroposociologue qui a longuement parlé de l'Abissa qui a fait l'objet de thèse d' Etat en 1997.
Ensuite, Monsieur Louis Kouamé Abrima, auteur de trois livres sur le peuple Nzima : Adjapadjei, histoire du peuplement Nzima et religion traditionnelle Nzima; a pris la parole






Elzo, le chef des jeunes et le Pr Agbroffi




Mr Louis Kouamé Abrima le second invité



Le public n'était pas aussi nombreux qu'espéré, Le Palais Royal avait été apprêté pour l'occasion.





toutefois, de perspicaces jeunes et notables ont posé des questions pertinentes qui ont poussé les invités a donner de plus amples informations et précisions pendant la période des questions.




L'après-midi :




Instumentistes sur l'estrade au centre de la Place de l'Abissa




Un groupe de danseuse





Mardi, jour 3 :

C'était le jour de la première sortie du roi et le jour de la famille Nvavilé, détentrice de l'Abissa, qui a défilée avec ses attributs. Les Komlin ou nissili, les prêtresses-guérisseuses ont également défilé ce jour-là ! C'était aussi le début de ce que l'on appelle ' la critique sociale' qui fait la particularité du peuple Nzima et de l'Abissa.





Avec ma mère, avec le pagne de l'Abissa 2014.
Cette année; le nouveau pagne était couleur 'or', pour mettre en avant la septième famille N'Zima, les Mafole. L'année prochaine; grâce à une couleur différente, une autre famille sera célébrée.



Les guerriers du roi préparent la tribune officielle; le siège du roi.




La femme du roi; qui n'est PAS la Reine-mère est à la droite du siège.




Arrivée de la famille Nvavilé et ses symboles : le maïs et la pirogue associée à la 'naissance' de leur famille.




Derrière, on aperçoit le grand parasol blanc qui protège le roi du soleil




Arrivé du roi devant la tribune officielle



On l'entoure pour empêcher le  peuple de le voir descendre de son siège porté




Les invités sont priés de se lever pour l'accueillir. On voit tous les notables sur la gauche.






Le roi est installé, les danses peuvent commencer! 




Les femmes Nvavilé du village Nzima du Quartier France de Grand-Bassam dansent




Les symboles de la famille Nvavilé



Les komlins ou nissili ou prêtresses guérisseuses dansent à leur tour




Mr 'Edongbolé' en action

Groupe des femmes Nzima de Yopougon




Groupe des femmes du village d'Azuretti

Divers groupes de danse :





Installation du premier groupe de chansonnier. Le groupe Ablamon du village Nzima du Quartier France de Grand-Bassam





Ce groupe a fait beaucoup jaser dans les tribunes en raison des critiques adressées à certains chefs de village. L'un d'entre eux étaient présent. Il souriait lorsque les chansonniers se sont mis à le critiquer. Etant donné que durant l'Abissa nul n'a le droit de sa fâcher et comme les N'zima disent " les chansonniers bénéficient de l'immunité critique et sont sous la protection du roi"; les critiques fusent et les chansonniers ne risquent aucunes représailles ni de la part des notables , ni de la part du roi lui-même s'il fait l'objet de critiques.

Les critiques sont faites en Nzima, à l'aide de paraboles, qui seraient difficiles à comprendre, même pour certains Nzima à l'esprit peu affûté. Inutile donc de vous dire que je n'y comprenais absolument rien! J'ai donc demandé aux personnes assises à côté de moi si elle pouvait m'expliquer ce qui se passait !

Il y a eu beaucoup d'agitation dans les tribunes...



On peut apercevoir la femme du roi et la Reine-mère (en bleue), qui est la cousine du roi.

Les critiques recommencent :






Les Ananzè, le second groupe de chansonnier; qui venait d'Azuretti...
Au style différent du groupe précédent... qui a aussi réussi à agiter les spectateurs Nzima hors des tribunes!



Mercredi, jour 4 :




Ce jour-là était dédié aux femmes. Toutefois, a tort ou a raison, j'ai préféré aller assister à la cérémonie officielle du lancement des travaux de la ville historique de Grand-Bassam bien qu'au fond de moi je sois certaine que malgré cette cérémonie; la réhabilitation effective ne risque pas de démarrer de si tôt et ce, pour de nombreuses raisons!

Il y avait du beau monde! Des notables Nzima, des notables des communautés ethniques de Grand-Bassam, le roi des Nzima kôtôkô, le Premier ministre, le ministre de la culture et j'en passe...
Mais quel ne fut ma surprise de constater que tous les 'ambassadeurs de la Ville Historique' soient présent dont Monsieur Bernard Blinlin Dadié!










Notables Nzima de Grand-Bassam et d'Azuretti










Les danseuses de Kété












Le roi des Nzima Kôtôkô











Bernard Blinlin Dadié en vert au centre

Lorsque tous les ambassadeurs de la Ville Historique ont été appelés au centre, je pense que personne ne s'attendait à ce que Mr Dadié se lève également et soit en si grande forme. Le maître de cérémonie avait précisé, en mentionnant son nom, qu'il serait "centenaire dans deux ans" alors lorsqu'il s'est levé tout seul et s'est dirigé vers le groupe on a pu entendre des murmures s'élever "mais c'est incroyable ça! Regardez-le" ou encore des " c'est formidable"!
Et comme de nombreuses personnes, je me suis levée seulement à ce moment de la cérémonie, pour immortaliser l'instant!



Jeudi, jour 5

Cette journée était intitulée " journée des forces vive du peuple N'zima : la valeur d'ouverture aux autres peuples, gage de développement économique."
C'était également la journée de la famille Azanhoulé qui a défilé avec ses symboles.
C'est également la journée durant laquelle il y a eu un 'petit incident'. Je dois avouer que j'étais moi-même un peu confuse!







Le moment d'incompréhension :




Alors ce moment a créé un petit malaise parmi certaines personnes, notamment un groupe venu avec des enfants! Ils étaient assis dans les tribunes située sur la gauche de la place de l'Abissa. Lorsque cette femme a commencé à tenir le sexe en bois qu'elle avait autour de la taille, d'autres femmes autour; se sont approchées d'elle et se sont mises; chacune à leur tour à simuler un acte sexuel...
En l'espace d'une minute, ce groupe de personne est parti, emportant rapidement leurs enfants avec eux!



                                        Arrivée du chef d'Azuretti et quelques notables





Arrivée de la famille Azanhoulé et ses symboles







Les chansonniers pour la 'critique sociale'


Quelques déguisements : 







Vendredi, jour 6 :

C'était la journée des chefs de village avec notamment les présence des chefs N'zima qui ont fait allégeance au roi.
C'était également la journée de la famille Allohomba et celle des Adahonlin.
Lorsque les Allohomba sont arrivés avec leurs attributs, la maitresse de cérémonie disait dans le micro "Ce sont les blancs des Nzima" et je ne comprends toujours pas ce que ça veut dire!
En ce qui concerne la famille Adahonlin, leur représentant le plus célèbre serait le cinéaste Gnoan Mballa qui est aussi le premier conseiller du roi. Il était présent avec sa famille lors des trois tours de danse effectués sur la place de l'Abissa.







La famille Allohomba défile avec ses symboles




Femmes Allohomba au postérieur rembouré

La famille Adahonlin :





Quelques déguisements : 









Samedi, jour 7 :

C'était la journée de la deuxième sortie du roi ou "l'apothéose"! 
Voici les seules images que j'ai pu capturer de cette journée; étant trop malade pour assister aux différentes cérémonies de la matinée et danses du soir!
J'ai également manqué la fanfare du dimanche matin et la présentation des voeux du roi au peuple!






Le roi se rendant sur la place de l'Abissa 








Le déguisement 

En plus de la 'critique sociale', une des particularités de la fête; qui la distingue des danses traditionnelles que l’on retrouve sur l’ensemble du territoire ivoirien est le déguisement. À l’Abissa, les N'zima se déguisent, les visiteurs également… Ceci lui vaut souvent d’être qualifié de carnaval, ce qui déplait fortement au N'zima. Ils insistent sur le fait qu’il s’agit plutôt d’une danse traditionnelle, en aucun cas, d’un carnaval. Toutefois, le déguisement y tient une place importante. En effet, c’est le moment pour la population de laisser libre-cours à son imagination et de faire passer certains messages.

L’une des personnes qui m’a le plus marqué est très certainement ‘Le ministre des affaires bizarres’, que je n’ai malheureusement pas pu capturer en raison de la difficulté de pouvoir l’aborder, comme un véritable ministre semblerait-t-il. Il déambulait dans les rues du quartier France, à vive allure, une valise à la main sur laquelle on pouvait lire ‘ministre des affaires bizarres’. Certains jours c’était : ministre de la défense!  Impossible également de lui parler : téléphone à l’oreille, on l’entendait crier ‘Oui Monsieur le Président! J’arrive Monsieur le Président ! Un montant de quatorze milliards ?! D’accord Monsieur le Président!’… Il était complètement dans son rôle.

La tendance de déguisement que l’on voyait le plus fréquemment étaient celle d'hommes déguisés en femme… Je n’ai vu que quelques rares femmes, déguisées en homme. Pour cela, elles s’accrochaient un sexe en bois autour de la taille.

Toutefois, il semblerait que certaines personnes se déguisent vraiment pour rigoler, sans avoir de véritables messages à faire passer. Comme ce jeune homme… oups ou plutôt cette jeune femme un peu rigide, en mini-jupe, très velue et un peu maladroite sur ses talons à qui j’ai demandé :

"- Pourquoi tu te déguises en fait ?
- Juste comme ça ! Parce que ça me plait!
- Mais pourquoi en femme ? Tu veux dire quelque chose ?
- Non comme ça! Parce que ça me plait…

-Heu…. Ok ! Amuses toi bien !"

Le Quartier France de Grand-Bassam à l'heure de l'Abissa

Au-delà du nombre de personne qui déferle sur la ville à cette occasion, des hôtels qui affichent complet, surtout lors du deuxième week-end, des couples qui… se font sur la plage et se défont juste après l’Abissa; ce qui m’a aussi frappé est que la ville se transforme pratiquement en maquis à ciel ouvert. Il y en a littéralement partout !! Aussi bien devant les maisons, dans les rues ou les  espaces entre les cours familiales ou encore… dans de vieux bâtiments complètement délabrés qui d’habitude sont désertés voire inutilisés! Il y a le village gastronomique par ici, le village solibra par-là… et puis la ville est aux couleurs de ses différents sponsors…







C’est le moment où les habitants qui ont de la place devant ou même à l’intérieur de chez eux, louent leur espace afin de profiter un peu des retombées de l’évènement.
C’est également l’occasion pour des vendeurs mais surtout de courageuses vendeuses qui viennent parfois de Bonoua, d’Aboisso ou encore d’Abidjan; de vendre des soupes de queue de bœuf, de poisson…

En résume, le Quartier France et le Village N'zima étaient tout simplement méconnaissables!!

L’euphorie de l’Abissa et tous les évènements qui s’y sont déroulés constitueront un souvenir intense de mon séjour ici.

27 sept. 2014

Wide Sargasso Sea - Jean Rhys

Il y a des livres qui vous laissent un goût d’inachevé, d’autres dont l’avancée des pages vous brise presque le cœur car vous n’avez pas envie qu’il se termine si vite; enfin, il y a ceux qui vous laissent un goût amer. Wide Sargasso Sea fait partie de ceux-là.
Une histoire amère que j’ai pourtant… appréciée ! Je me demande encore pourquoi d’ailleurs.
Peut-être à cause des contrastes… nous sommes en plein enfer dans ce qui pourrait être un paradis :  des îles aux paysages paradisiaques telles que la Jamaïque ou encore l’île du vent, plus précisément, la Dominique.
Le livre se décline en trois parties. Chacune d'elle, nous livrent le point de vue d’un personnage différent, son expérience. Toutefois, elles concernent toute la vie du personnage principale : Antoinette Cosway qui après le remariage de sa mère s’appellera Antoinette Mason avant de devenir Mme Rochester, un personnage notoire du roman Jayne Eyre de Charlotte Brontë.

 La première partie
L'histoire nous est racontée à travers les yeux d’Antoinette. Elle nous raconte son enfance dans le domaine de ses parents, Coulibri, en Jamaïque. Seulement, si le lecteur sent bien que Coulibri était par le passé un domaine impressionnant de par sa taille et son jardin à la végétation luxuriante, il s’agit au moment où Antoinette nous raconte l’histoire, d’une propriété qui tombe en ruine. La végétation semble avoir pris le dessus sur les hommes, faute d’entretien. Le havre de paix, se transforme en un lieu ou de mauvais présages semblent planer sur la famille Cosway. En effet, la mort de Monsieur Cosway, puis l’’Emancipation Act’ de 1833 qui ruinera de nombreux propriétaires d’esclaves, enfoncera Antoinette, sa mère et son frère dans la pauvreté. Seuls quelques esclaves décideront de rester auprès d’eux. Certains pour des raisons douteuses et se comportant de manière peu rassurante, d’autre, en réalité, une seule, Christophine, restera car elle aime Antoinette dont elle a pris soin depuis la naissance. La vie devient particulièrement difficile à Coulibri en raison de la pauvreté mais surtout de l’hostilité des habitants de l’île, jubilant presque face à leur situation difficile. Antoinette et sa famille deviennent les « Coackroach » ( Cafards) ou « White nigger », qu’il faut faire dégager. Elle se retrouve dans un isolement pesant et dangereux…
L’arrivée de Monsieur Mason, qui épousera sa mère, sera comme une bouffée d’air et d’espoir qui fera oublier ces années difficiles, un moment de répit, pour un temps seulement car le malheur semble ne jamais réellement s’éloigner de Coulibri… Il s’abattra lourdement sur la famille dont le destin basculera indéniablement….

Photo prise sur à l'adresse suivante : http://www.sailblogs.com/member/mandy/?xjMsgID=114923&c=2144

La seconde partie
Dans cette partie nous découvrons la nouvelle vie d’Antoinette à travers les yeux à la fois de Mr Rochester, son mari et d’Antoinette elle-même. C’est Mr Rochester qui commence la narration. Son nom n’est jamais mentionné, ce qui porte un peu à confusion au départ. Mais on comprend très vite que la vie d’Antoinette vient de brusquement changer, dès les premières lignes. Antoinette et Rochester voyagent pour leur lune de Miel, dans un lieu au nom… évocateur : Massacre. Ils sont dans un autre domaine cette fois-ci, Grandbois.  La lecture de cette partie est pénible. Rochester est un homme ambivalent… Le lecteur sent qu’il n’aime pas l’endroit, qu’il n’aime pas Antoinette, il n’aime pas les West Indies de toutes les façons. Même s’il tente de se convaincre du contraire. Il est plein de préjugés sur les Antilles, sur les Créoles telles qu’Antoinette. Il ne comprend pas l’environnement, ni la culture de cette région du monde. On découvre les tristes raisons pour lesquelles il a accepté de se marier avec elle. Le lecteur comprend bien vite que… la lune de miel ne durera pas et ce d’autant plus qu’il ne l’appelle plus par son prénom, il la rebaptise Bertha, comme pour la rendre folle, lui enlever son identité et faire d’elle une poupée à sa merci.

« My name is not Bertha, why do you call me Bertha ? » 

Cette partie du livre est accablante pour le lecteur qui assiste à l’infortune d’Antoine … Comme dans la première partie, le paysage et l’environnement pèsent sur les personnages. Toutefois, un élément nouveau viendra aggraver cette pesanteur. Il s’agit de la rumeur, des rumeurs… On réalise l'impact qu’une simple rumeur peut avoir lorsqu'un proche choisit de la croire et de la nourrir. Antoinette sera meurtrie au terme de cette lune de miel…
Ainsi, le lecteur comprend que dans la seconde partie, le fait de donner à Rochester la parole pour parler d’Antoinette, symbolise un peu la perte de cette dernière. Elle perd son nom et sa liberté.

La dernière partie.
Il s'agit du chapitre le plus court, deux voix différentes se succèdent celle de Grace Poole puis celle d'Antoinette. Cette dernière semble être devenue folle, comme une esclave qui se réveille dans un endroit autre que celui qu’elle a toujours connue, déportée sans qu’on lui ai demandé son avis, enfermée dans ‘une prison’, vivant dans un endroit complètement différent de ce qu’elle avait pu imaginer . Elle est déboussolée, dépaysée, affaiblie, incomprise…

Wide Sargasso ou la prisonnière des Sargasses en français, de Jean Rhys, sera publié en 1966. Il éclaire sur la vie de Bertha Mason, un personnage de Jayne Eyre, écrit pas Charlotte Brontë, publié en  1847. Ainsi ce livre est considéré comme une réécriture de l’histoire de ce personnage, du point de vue d’Antoinette. Jean Rhys, elle-même originaire des Caraïbes, a souhaité à travers cet ouvrage détruire les mythes et les stéréotypes sur les créoles notamment en tentant de réhabiliter Antoinette dont la folie supposée était attribuée à son héritage (créole) plutôt qu’à son histoire personnelle : à savoir son enfance difficile,  son mariage aux clauses abusives mais surtout ce que son mari, Mr Rochester lui a fait subir.


30 août 2014

À la découverte du Kete...

« C’est nous qui avons créé cette danse. Mais nous avons arrêté de la pratiquer, c’est comme ça qu’on l’a oublié » ! C’est en ces termes que j’entendis parler du Kete pour la première fois, par un Nzema de Grand-Bassam.





Cet après-midi-là, mon oncle et moi, nous nous rendions à un rendez-vous dans le fond du village, non loin du Bouaké, le bois sacré des Nzema, lorsque des tam-tams se mirent à résonner dans le quartier France de Grand-Bassam, perturbant le calme de cette partie de la ville, d’ordinaire si paisible. Je m’interrogeai alors  sur la provenance de la musique et les raisons pour lesquelles nous l’entendions à ce moment précis. Est-ce qu’il s’agissait d’une fête ou d’une répétition pour une cérémonie spéciale ?
Je n’eus pas le temps de poser de questions que mon oncle me demanda :
 « -Tu entends les tam-tams là, tu sais ce que c’est ? 
-Non, c’est quoi ?
- Après on va aller voir »…
Ainsi, juste après notre rendez-vous, nous nous sommes précipités vers le bâtiment d’où les tam-tams résonnaient... Il y avait beaucoup d’agitation. À l’entrée de l’immeuble, des enfants allaient et venaient dans les escaliers et se bousculaient. Lorsque nous sommes arrivés au dernier étage, nous les avons trouvé beaucoup plus calmes et attentifs face à ce qui se déroulait : la leçon de Kete.





Une danse Akan

Sewa, Kwamé et Isaac, trois jeunes ghanéens,  sont tous les trois originaires du village Ashanti de Aweman Kofidua et travaillent pour la compagnie ghanéenne : amamereso, connue pour ses chorales.
Ils ont été invités, à la demande du roi de Grand-Bassam qui souhaite que les jeunes du village puissent le danser lors de grandes cérémonies.
Le Kete serait une danse royale pratiquée par l’ensemble des sous-groupes du peuple Akan lors de cérémonies importantes telles qu'une intronisation, des funérailles...

Sewa, la seule femme du groupe, danse le Kete depuis plus de dix-neuf ans. Accompagnée de Kwamé et Isaac, elle aurait été dans de nombreux pays, notamment le Nigeria, l'Éthiopie et la Sierra Leone pour l'enseigner. Elle m’explique que c’est la deuxième fois qu’ils viennent en Côte d'Ivoire. Lors de leur première visite, l’an dernier, ils ont appris aux jeunes à jouer au ‘Drum Adowa’ l’ensemble des quatre  tam-tams; à savoir le kodum, l’apentema, le petia et l’abrukuwa ; les « tam-tams traditionnels qu’on utilise pour le roi seulement ». Cette fois-ci, ils sont en Côte d’Ivoire, pour deux semaines, uniquement pour apprendre aux jeunes à danser.


Les tam-tams du Kete

Les tam-tams de l'Adowa 


Une origine incertaine …

Lorsque je les interroge sur l’origine du Kete, Sewa m’explique qu’il s’agit d’une danse qui parle d’amitié. Je lui demande alors s’il pourrait s’agir d’amitié entre un homme et une femme, d’une relation. Elle me répond que oui.

Isaac quant à lui, me donne une toute autre explication. Il me parle d’une guerre qui aurait eu lieu à un moment indéterminé. Pour célébrer leur victoire, les vainqueurs auraient créer le Kete. Les tam-tam rouges et noirs symboliseraient cela. Le rouge représenterait le sang et le noir, la couleur de la peau noire.
Les autres tam-tams de couleur marron, auraient été créés pour danser l’Adowa, similaire au Kete, à la seule différence qu’elle est dansée avec des mouchoirs dans les mains.
Le Kete symboliserait la victoire; l’Adowa, l’union.

Nous pourrions donc conclure que l’origine du Kete semble incertaine…. De plus, selon que l’on parle à un Ashanti tels que nos trois jeunes ghanéens ou un Nzema, chacun s’attribue la paternité de la danse. Mais une chose est certaine, ce sont les Ghanéens qui semblent l’avoir perpétué!



Sous l'oeil attentif de Sewa

…Qui relèverait du mythe

Sur la pochette de l’album Asante Kete drumming : music of Ghana, produit et enregistré par l’ethnomusicologue Joe Kaminski, l’origine suivante nous est proposée « l’Asante Kete drumming est un ancien genre musical Ouest Africain. Selon la légende, le Kete aurait été créé par des êtres surnaturels de la forêt. En réalité, il est probable qu’il provienne d’un ancien royaume soudanique. Au XVIII et le XIX, les Ashantis obtinrent le pouvoir militaire, c’est durant cette période qu’ils acquirent le Kete chez un peuple conquis. Les tambours du Kete accompagnaient les soldats à la bataille, étaient utilisés lors de cérémonie aux cours royales telles que des visites d’État, des exécutions, des funérailles et des inspections de mausolées royaux. Aujourd’hui, le Kete est joué lors de funérailles et est accessible au public pour danser afin de célébrer l’entrée d’une âme, de ceux qui ne sont plus parmi nous, dans le paradis des ancêtres… » [1]

Je suis allée assister au cours, deux jours d'affilé...



Une des choses qui m’a également frappée est la difficulté du groupe, à communiquer.
J’avais justement demandé à Sewa, le premier jour, comment le groupe avait réussi à gérer cette barrière. Elle me disait que c’était très difficile. Certains jours, un habitant du village qui parlait Twi, français et Nzema, venait assister aux cours et les aidait à communiquer. Les autres jours, ils se débrouillaient. 
Mais cette personne servait aussi de ce qu’on pourrait qualifier de modérateur, car il y avait de nombreuses petites tension, notamment en raison de la barrière de la langue. Les gestes des profs étaient parfois mal interprétés, les élèves se vexaient et refusaient parfois de danser... pendant quelques minutes seulement, avant de reprendre le cours en boudant un peu.


Petite mise au point - difficile de se faire comprendre


Le second jour, mon oncle qui, lui aussi, parle les trois langues, a reproché à une des élèves de ne pas écouter les consignes des ‘profs’, elle lui a répondu : « Je ne comprends pas leur Apolo ghanéen là ».

Mais mis à part ces petites tensions que l’on pourrait retrouver au sein de n’importe quel groupe de jeunes, les cours se terminaient bien souvent par un moment d’ « apothéose » durant lequel, tout le monde faisait un peu n’importe quoi, on oublie le Kete ou l'Adowa, on danse, tout simplement !


Fin du cours, moment de détente
Avec Isaac, Sewa et Kwamé, les profs.


La vue depuis le bâtiment - Immeuble Ganamet





20 juil. 2014

Notre quelque part - Nii Ayikwei Parkes


J’étais à ‘mon quelque part’,quand, à ma grande surprise, j’aperçus la couverture du livre de Nii Ayikwei Parkes, lauréat du Prix Mahogany 2014, que je reconnus immédiatement pour l’avoir vu, revu et rerevu sur internet. Je me tournai vers mon père et lui dis : ‘en fait je vais plutôt prendre celui-là’ pendant que je lui arrachai presque le livre que je lui avais demandé de m’offrir quelques minutes auparavant, pour le remplacer par 'Notre quelque part'.
Il s'agit du premier roman de Nii Ayikwei Parkes, poète du 'spoken word' qui partage sa vie entre l'Angleterre et le Ghana.

« Nous étions à notre quelque part quand elle est arrivée. Celle dont les yeux ne voulaient pas rester en place. Moi-même, je revenais de la case du malafoutier. »…  « Elle portait une façon de jupe petit petit là »p14-15


C’est ainsi que nous plongeons en plein cœur du Ghana  contemporain, dans lequel se côtoient villes et villages, aux réalités, univers et rythme différents; semblant s'accorder difficilement. Pourtant, lorsqu’une ‘masse’ suspecte est découverte à Tafo, dans la case de Koffi Atta, l’inspecteur P.J. Donkor d’Accra, fera appelle à ‘Monsieur-Un-Homme-En-Vaut-Mille’, Kwadwo ‘Kayo’ Odamtten, médecin légiste ou ‘légisse’ selon les villageois, ayant fait ses études à Londres. En somme, un Ghanéen occidentalisé. C’est par des méthodes, pour le moins, discutables et pour des objectifs qui le sont tout autant, que P.J. Donkor réclamera à Kayo un rapport digne de la série « Les Experts ». Le citadin Kayo, sera ainsi obligé de se plonger dans le village et ses manières, au rythme des histoires de Opanyin 'Yao' Poku, vieux chasseur, adepte de vin de palme, dépositaire de la mémoire de Tafo et sa forêt environnante qui cache de nombreux mystères…

Comment Kayo parviendra-t-il à découvrir la vérité ? Comment faire lorsque personne ne semble vouloir coopérer ? Lorsque les villageois, impassibles, semblent ne pas être impressionnés par les hommes de la ville et la ‘science’? Ou  lorsque toutes les réponses aux questions semblent être des paraboles ? 

 « Vous nos Aînés là, vous êtes en train de nous faire danser ici présentement. On vous pose les questions et vous nous donnez un proverbe. » p269

Et que dire de la langue ? Anglais ‘standard’, Pidgin, Twi émaillée de proverbes ou ‘sagesse’ du village de, avec des expressions qui m’ont marqué telles que « Oh Owurade! » comme on dirait « Oh Gnamien! » chez les Akans de Côte d’Ivoire; ou encore les « Chaley, eeh! ». En tant qu’Ouest Africaine, je me suis retrouvée sans aucune difficulté dans ces différents types d’anglais ou devrais-je plutôt dire de français, car j’ai lu la version française de ‘Tail of the Blue Bird’. Traduite de l’anglais par la brillante Sika Farambi, qui a obtenu, en juin, les Prix Baudelaire et Laure Bataillon 2014 pour la traduction de ‘Notre Quelque part’.


Quelle histoire !! Pétillante ! Un véritable régal. Je la recommande vivement à tous! Eï!  Vous  verrez par vous-même « mes frères, que cette terre est pleine de choses étonnantes»!

Roman traduit de l'anglais (Ghana) par Sika Fakambi
Prix Mahogany 2014
Prix Baudelaire 2014
Prix Laure Bataillon 2014
Finaliste du Commonwealth Prize 2011