27 sept. 2014

Wide Sargasso Sea - Jean Rhys

Il y a des livres qui vous laissent un goût d’inachevé, d’autres dont l’avancée des pages vous brise presque le cœur car vous n’avez pas envie qu’il se termine si vite; enfin, il y a ceux qui vous laissent un goût amer. Wide Sargasso Sea fait partie de ceux-là.
Une histoire amère que j’ai pourtant… appréciée ! Je me demande encore pourquoi d’ailleurs.
Peut-être à cause des contrastes… nous sommes en plein enfer dans ce qui pourrait être un paradis :  des îles aux paysages paradisiaques telles que la Jamaïque ou encore l’île du vent, plus précisément, la Dominique.
Le livre se décline en trois parties. Chacune d'elle, nous livrent le point de vue d’un personnage différent, son expérience. Toutefois, elles concernent toute la vie du personnage principale : Antoinette Cosway qui après le remariage de sa mère s’appellera Antoinette Mason avant de devenir Mme Rochester, un personnage notoire du roman Jayne Eyre de Charlotte Brontë.

 La première partie
L'histoire nous est racontée à travers les yeux d’Antoinette. Elle nous raconte son enfance dans le domaine de ses parents, Coulibri, en Jamaïque. Seulement, si le lecteur sent bien que Coulibri était par le passé un domaine impressionnant de par sa taille et son jardin à la végétation luxuriante, il s’agit au moment où Antoinette nous raconte l’histoire, d’une propriété qui tombe en ruine. La végétation semble avoir pris le dessus sur les hommes, faute d’entretien. Le havre de paix, se transforme en un lieu ou de mauvais présages semblent planer sur la famille Cosway. En effet, la mort de Monsieur Cosway, puis l’’Emancipation Act’ de 1833 qui ruinera de nombreux propriétaires d’esclaves, enfoncera Antoinette, sa mère et son frère dans la pauvreté. Seuls quelques esclaves décideront de rester auprès d’eux. Certains pour des raisons douteuses et se comportant de manière peu rassurante, d’autre, en réalité, une seule, Christophine, restera car elle aime Antoinette dont elle a pris soin depuis la naissance. La vie devient particulièrement difficile à Coulibri en raison de la pauvreté mais surtout de l’hostilité des habitants de l’île, jubilant presque face à leur situation difficile. Antoinette et sa famille deviennent les « Coackroach » ( Cafards) ou « White nigger », qu’il faut faire dégager. Elle se retrouve dans un isolement pesant et dangereux…
L’arrivée de Monsieur Mason, qui épousera sa mère, sera comme une bouffée d’air et d’espoir qui fera oublier ces années difficiles, un moment de répit, pour un temps seulement car le malheur semble ne jamais réellement s’éloigner de Coulibri… Il s’abattra lourdement sur la famille dont le destin basculera indéniablement….

Photo prise sur à l'adresse suivante : http://www.sailblogs.com/member/mandy/?xjMsgID=114923&c=2144

La seconde partie
Dans cette partie nous découvrons la nouvelle vie d’Antoinette à travers les yeux à la fois de Mr Rochester, son mari et d’Antoinette elle-même. C’est Mr Rochester qui commence la narration. Son nom n’est jamais mentionné, ce qui porte un peu à confusion au départ. Mais on comprend très vite que la vie d’Antoinette vient de brusquement changer, dès les premières lignes. Antoinette et Rochester voyagent pour leur lune de Miel, dans un lieu au nom… évocateur : Massacre. Ils sont dans un autre domaine cette fois-ci, Grandbois.  La lecture de cette partie est pénible. Rochester est un homme ambivalent… Le lecteur sent qu’il n’aime pas l’endroit, qu’il n’aime pas Antoinette, il n’aime pas les West Indies de toutes les façons. Même s’il tente de se convaincre du contraire. Il est plein de préjugés sur les Antilles, sur les Créoles telles qu’Antoinette. Il ne comprend pas l’environnement, ni la culture de cette région du monde. On découvre les tristes raisons pour lesquelles il a accepté de se marier avec elle. Le lecteur comprend bien vite que… la lune de miel ne durera pas et ce d’autant plus qu’il ne l’appelle plus par son prénom, il la rebaptise Bertha, comme pour la rendre folle, lui enlever son identité et faire d’elle une poupée à sa merci.

« My name is not Bertha, why do you call me Bertha ? » 

Cette partie du livre est accablante pour le lecteur qui assiste à l’infortune d’Antoine … Comme dans la première partie, le paysage et l’environnement pèsent sur les personnages. Toutefois, un élément nouveau viendra aggraver cette pesanteur. Il s’agit de la rumeur, des rumeurs… On réalise l'impact qu’une simple rumeur peut avoir lorsqu'un proche choisit de la croire et de la nourrir. Antoinette sera meurtrie au terme de cette lune de miel…
Ainsi, le lecteur comprend que dans la seconde partie, le fait de donner à Rochester la parole pour parler d’Antoinette, symbolise un peu la perte de cette dernière. Elle perd son nom et sa liberté.

La dernière partie.
Il s'agit du chapitre le plus court, deux voix différentes se succèdent celle de Grace Poole puis celle d'Antoinette. Cette dernière semble être devenue folle, comme une esclave qui se réveille dans un endroit autre que celui qu’elle a toujours connue, déportée sans qu’on lui ai demandé son avis, enfermée dans ‘une prison’, vivant dans un endroit complètement différent de ce qu’elle avait pu imaginer . Elle est déboussolée, dépaysée, affaiblie, incomprise…

Wide Sargasso ou la prisonnière des Sargasses en français, de Jean Rhys, sera publié en 1966. Il éclaire sur la vie de Bertha Mason, un personnage de Jayne Eyre, écrit pas Charlotte Brontë, publié en  1847. Ainsi ce livre est considéré comme une réécriture de l’histoire de ce personnage, du point de vue d’Antoinette. Jean Rhys, elle-même originaire des Caraïbes, a souhaité à travers cet ouvrage détruire les mythes et les stéréotypes sur les créoles notamment en tentant de réhabiliter Antoinette dont la folie supposée était attribuée à son héritage (créole) plutôt qu’à son histoire personnelle : à savoir son enfance difficile,  son mariage aux clauses abusives mais surtout ce que son mari, Mr Rochester lui a fait subir.


30 août 2014

À la découverte du Kete...

« C’est nous qui avons créé cette danse. Mais nous avons arrêté de la pratiquer, c’est comme ça qu’on l’a oublié » ! C’est en ces termes que j’entendis parler du Kete pour la première fois, par un Nzema de Grand-Bassam.





Cet après-midi-là, mon oncle et moi, nous nous rendions à un rendez-vous dans le fond du village, non loin du Bouaké, le bois sacré des Nzema, lorsque des tam-tams se mirent à résonner dans le quartier France de Grand-Bassam, perturbant le calme de cette partie de la ville, d’ordinaire si paisible. Je m’interrogeai alors  sur la provenance de la musique et les raisons pour lesquelles nous l’entendions à ce moment précis. Est-ce qu’il s’agissait d’une fête ou d’une répétition pour une cérémonie spéciale ?
Je n’eus pas le temps de poser de questions que mon oncle me demanda :
 « -Tu entends les tam-tams là, tu sais ce que c’est ? 
-Non, c’est quoi ?
- Après on va aller voir »…
Ainsi, juste après notre rendez-vous, nous nous sommes précipités vers le bâtiment d’où les tam-tams résonnaient... Il y avait beaucoup d’agitation. À l’entrée de l’immeuble, des enfants allaient et venaient dans les escaliers et se bousculaient. Lorsque nous sommes arrivés au dernier étage, nous les avons trouvé beaucoup plus calmes et attentifs face à ce qui se déroulait : la leçon de Kete.





Une danse Akan

Sewa, Kwamé et Isaac, trois jeunes ghanéens,  sont tous les trois originaires du village Ashanti de Aweman Kofidua et travaillent pour la compagnie ghanéenne : amamereso, connue pour ses chorales.
Ils ont été invités, à la demande du roi de Grand-Bassam qui souhaite que les jeunes du village puissent le danser lors de grandes cérémonies.
Le Kete serait une danse royale pratiquée par l’ensemble des sous-groupes du peuple Akan lors de cérémonies importantes telles qu'une intronisation, des funérailles...

Sewa, la seule femme du groupe, danse le Kete depuis plus de dix-neuf ans. Accompagnée de Kwamé et Isaac, elle aurait été dans de nombreux pays, notamment le Nigeria, l'Éthiopie et la Sierra Leone pour l'enseigner. Elle m’explique que c’est la deuxième fois qu’ils viennent en Côte d'Ivoire. Lors de leur première visite, l’an dernier, ils ont appris aux jeunes à jouer au ‘Drum Adowa’ l’ensemble des quatre  tam-tams; à savoir le kodum, l’apentema, le petia et l’abrukuwa ; les « tam-tams traditionnels qu’on utilise pour le roi seulement ». Cette fois-ci, ils sont en Côte d’Ivoire, pour deux semaines, uniquement pour apprendre aux jeunes à danser.


Les tam-tams du Kete

Les tam-tams de l'Adowa 


Une origine incertaine …

Lorsque je les interroge sur l’origine du Kete, Sewa m’explique qu’il s’agit d’une danse qui parle d’amitié. Je lui demande alors s’il pourrait s’agir d’amitié entre un homme et une femme, d’une relation. Elle me répond que oui.

Isaac quant à lui, me donne une toute autre explication. Il me parle d’une guerre qui aurait eu lieu à un moment indéterminé. Pour célébrer leur victoire, les vainqueurs auraient créer le Kete. Les tam-tam rouges et noirs symboliseraient cela. Le rouge représenterait le sang et le noir, la couleur de la peau noire.
Les autres tam-tams de couleur marron, auraient été créés pour danser l’Adowa, similaire au Kete, à la seule différence qu’elle est dansée avec des mouchoirs dans les mains.
Le Kete symboliserait la victoire; l’Adowa, l’union.

Nous pourrions donc conclure que l’origine du Kete semble incertaine…. De plus, selon que l’on parle à un Ashanti tels que nos trois jeunes ghanéens ou un Nzema, chacun s’attribue la paternité de la danse. Mais une chose est certaine, ce sont les Ghanéens qui semblent l’avoir perpétué!



Sous l'oeil attentif de Sewa

…Qui relèverait du mythe

Sur la pochette de l’album Asante Kete drumming : music of Ghana, produit et enregistré par l’ethnomusicologue Joe Kaminski, l’origine suivante nous est proposée « l’Asante Kete drumming est un ancien genre musical Ouest Africain. Selon la légende, le Kete aurait été créé par des êtres surnaturels de la forêt. En réalité, il est probable qu’il provienne d’un ancien royaume soudanique. Au XVIII et le XIX, les Ashantis obtinrent le pouvoir militaire, c’est durant cette période qu’ils acquirent le Kete chez un peuple conquis. Les tambours du Kete accompagnaient les soldats à la bataille, étaient utilisés lors de cérémonie aux cours royales telles que des visites d’État, des exécutions, des funérailles et des inspections de mausolées royaux. Aujourd’hui, le Kete est joué lors de funérailles et est accessible au public pour danser afin de célébrer l’entrée d’une âme, de ceux qui ne sont plus parmi nous, dans le paradis des ancêtres… » [1]

Je suis allée assister au cours, deux jours d'affilé...



Une des choses qui m’a également frappée est la difficulté du groupe, à communiquer.
J’avais justement demandé à Sewa, le premier jour, comment le groupe avait réussi à gérer cette barrière. Elle me disait que c’était très difficile. Certains jours, un habitant du village qui parlait Twi, français et Nzema, venait assister aux cours et les aidait à communiquer. Les autres jours, ils se débrouillaient. 
Mais cette personne servait aussi de ce qu’on pourrait qualifier de modérateur, car il y avait de nombreuses petites tension, notamment en raison de la barrière de la langue. Les gestes des profs étaient parfois mal interprétés, les élèves se vexaient et refusaient parfois de danser... pendant quelques minutes seulement, avant de reprendre le cours en boudant un peu.


Petite mise au point - difficile de se faire comprendre


Le second jour, mon oncle qui, lui aussi, parle les trois langues, a reproché à une des élèves de ne pas écouter les consignes des ‘profs’, elle lui a répondu : « Je ne comprends pas leur Apolo ghanéen là ».

Mais mis à part ces petites tensions que l’on pourrait retrouver au sein de n’importe quel groupe de jeunes, les cours se terminaient bien souvent par un moment d’ « apothéose » durant lequel, tout le monde faisait un peu n’importe quoi, on oublie le Kete ou l'Adowa, on danse, tout simplement !


Fin du cours, moment de détente
Avec Isaac, Sewa et Kwamé, les profs.


La vue depuis le bâtiment - Immeuble Ganamet