Romancière d'origine camerounaise, Léonora Miano, n'est aujourd'hui plus à présenter sur la scène
littéraire francophone. Paru en 2005, son premier roman L'intérieur de la nuit, reçoit à lui tout seul, dès sa parution,
plus de six prix. Son second roman: Contours
du jour qui vient, reçoit le prix Goncourt des lycéens en 2006. En 2011,
elle reçoit le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire pour ses romans Blues pour l'Afrique et Ces âmes Chagrines. Avec au total , neuf
romans à son actif, l'auteure vient de se voir décerner le Grand Prix du Roman
Métis et le Prix Fémina pour sa dernière œuvre: La saison de l'ombre ( 2013).
Dès les premières
lignes, l'auteure nous fait rentrer dans le vif du sujet. Des évènements graves
viennent de se produire au sein de la communauté Mulango. Douze initiés se sont
volatilisés au cours de la nuit où un incendie a embrasé une partie du village.
Personne ne comprend ce qui s'est passé.
Où sont- ils ? Qui a provoqué l'incendie ? Les villageois sont dans la torpeur.
Le lecteur est confus.
Après l'attaque, les
mères et femmes de ces disparus sont regroupées et isolées, dans une case du
village. Telles des pestiférées nul n'a le droit de les approcher. Elles ne
peuvent en sortir, de peur que leur chagrin ou cette "malédiction" ne
se reproduise et se répande dans le village. Tout le monde les ignore. Elles
deviennent les bouc-émissaires parfait face à une situation qui dépasse
l'entendement de cette communauté naïve, enclavée.
Toutefois, un matin, un
évènement oblige le village à sortir de sa torpeur et à affronter les questions
qu'ils ont tenté d'ignorer depuis les évènements, depuis trois semaines que ces
femmes sont enfermées : l'apparition du Mwititi, de l'Ombre.
C'est le début du
labyrinthe et des chemins étriqués dans lesquels l'auteure va nous emporter, au
cœur de cette ombre et du mystère qui l'entoure.
Cette ombre c'est la
"vérité" qui va pouvoir la dissiper. Mais comment obtenir la vérité
lorsque l'on est replié sur soi-même ? Comment expliquer l'inexplicable ?
Comment arriver à comprendre des évènements et des choses qui dépassent notre
entendement ? Faut-il faire le deuil de ces disparus ,"ni mort, ni
vivant" ?
Qu'est ce qui explique
que l'équilibre du clan et celui de toute la région soit ainsi remis en cause ?
Que les alliances et rangs ancestraux soient bafoués ? Que les relations jadis
pacifiques laissent place à des chasses à l'homme ? Est-ce ces "hommes
aux pieds de poule" avec leurs "cracheuses de foudre" y sont
pour quelque chose ?
Est ce que les
ancêtres, l'esprit d'Éméné et Nyambe pourront aider les Mulangos à comprendre
ce qui s'est passé ?
Pour tenter de la dissiper et éclairer aussi bien les personnages que le lecteur, l'auteure
nous fera avancer en même temps que ces derniers. Tandis que pour le lecteur du XXIe siècle il
s'agit de comprendre, imaginer l'impact de la traite de l'intérieur, sur les sociétés africaines (afro-centré);
pour les personnages il s'agit de comprendre afin de pour pouvoir aller de
l'avant, survivre, tenter de se reconstruire, guérir les plaies béantes que ces
disparitions ont créé mais surtout afin de pouvoir témoigner.
Témoigner devient un
sacerdoce. La transmission devient une question de survie. Mais il ne peut y
avoir transmission sans compréhension de ce qui vient de se passer. Ainsi les
"survivants" dans l'espoir de libérer la communauté de cette ombre,
vont se dépasser. Ces derniers ont la
survie de leur communauté entre leur mains, la mémoire de ce qui en reste.
Des personnages
remarquables...
Tout comme ces
derniers, Leonora Miano, tente de faire revivre ces peuples, ces morts, ces
fils enlevés, ces villages terrassé à travers l'histoire de cette communauté
fictive du Cameroun. C'était son devoir de transmission, de mémoire afin de se
rappeler, ne pas oublier et tenter de donner une voie à ceux qui sont restés de
l'autre côté de la rive.
La femme a une grande
place dans ce roman, certaines sont des bouc-émissaires et victimes, d'autres
reines et bourreaux; tandis que d'autres , au destin hors du commun sont habitées
par un "esprit mâle", à l'image de la Reine Émené, fondatrice-ancêtre
du clan, des Mulongo.
Pourtant au moment de
la tragédie, le clan Mulango est dominé par un pouvoir patriarcal qui semble,
au regard des évènements, avoir du mal à redonner sa place à la femme, si
ce n'est l'accuser lâchement des maux qui se sont abattus sur la communauté.
Mais il semblerait que l'esprit d'Émené se soit réincarné dans l'une des femmes
du clan comme pour réparer cette injustice.
L'histoire est émaillée
de référence et d'expériences mystiques et mystérieuses : rêves, visions, connections
avec l'au-delà à travers des voix ou des envoyés : aides, mises en garde... Selon
que l'on utilise ces pouvoirs ou qualités pour de bons ou mauvais desseins, selon
qu'on les écoute ou pas, les personnages et le lecteurs auront tous de grandes surprises.
Au-delà de l'histoire
de la traite, de l'histoire de l'ombre, ce roman est un puissant message
d'espoir, incarnée par Bebayedi, ce nouveau monde, fait de syncrétisme, où tout
le monde à sa place et peut s'exprimer. Le nouveau monde où l'on tente d'aller
de l'avant en refusant de laisser l'ombre nous ronger et nous empêcher de
construire ou reconstruire. L'endroit où une vie après la mort et la
disparition est possible. Un exemple qui donne à ce roman une vocation
universelle et atemporelle. "Ce n'est pas uniquement au-dessus de la case
de celles dont les fils n'ont pas été retrouvés, que l'ombre s'est un temps
accrochée. L'ombre est sur le monde. L'ombre pousse des communautés à
s'affronter, à fuir leur terre natale. Lorsque le temps aura passé, lorsque les
lunes se seront ajoutées aux lunes, qui gardera la mémoire de toutes ces
déchirures? À Bebayedi, les générations à naître sauront qu'il avait fallu
prendre la fuite pour se garder des rapaces. On leur dira pourquoi ces cases
érigées sur les flots. On leur dira : La
déraison s'était emparée du monde, mais certains ont refusé d'habiter les
ténèbres. Vous êtes la descendance de ceux qui dirent non à l'ombre."
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