Avec le ravissement des innocents, Taiye Selasi fait une entrée remarquable dans le monde de la littérature. Celle qui n’aime pas qu’on lui assigne une identité particulière car « our passport don’t define us» se définit comme une « multi-local » et une afropolitaine, comme en témoigne sa présentation sur son site internet :
« Born in London raised in Boston
lives in new york new delhi rome
writes stories essays scripts + books
makes pictures still + moving »
Elle est d'ailleurs l’auteure du terme « afropolitan » depuis la rédaction de son article « Bye-Bye Barbar » (or What is an afropolitan?). Terme qui fait débat et qu'il ne faut pas confondre avec l’idée d’afropolitanisme du théoricien Achille Mbembe.
En somme, je ne peux présenter Taiye Selasi par un simple « cette auteure ghanéenne et nigériane ». Je dirai tout simplement que ses parents sont originaires du Ghana et du Nigéria.
Elle entame sa carrière dans la littérature avec sa première nouvelle « The Sex lives of African girls » publiée dans le magazine granta en 2011. Par la suite, encouragée par son amie et mentor, Toni Morrison, elle continuera son aventure littéraire en publiant son premier roman : le ravissement des innocents ou Ghana Must Go , le titre original.
Une œuvre au succès retentissant. Un portrait de famille remarquable.
Le ravissement des innocents c’est l’histoire d'une famille. Une famille comme une autre, avec ses secrets, ses manquements, ses déchirements. Une famille avec ses différences, ses ‘clans’ que même la force du sang, le lien filiale ne semble pouvoir réunir et apaiser.
Pourtant, un évènement tragique les obligera à se rapprocher et se côtoyer de nouveau. Un évènement qui réveillera le souvenir du premier drame qui aura bouleversé l’équilibre de la famille : le jour où Kweku Sai ne rentra pas. Le jour où il ne revint plus jamais, abandonnant sa femme Folà, une nigériane et leurs quatre enfants : Olu, les jumeaux Taiwo et Kehinde et la petite dernière, la ‘préférée’ Sade.
C’est ce jour-là qu’un éloignement émotionnel commencera à se faire jour au sein de ce qu’il restera de cette famille. Un éloignement émotionnel qui sera accentué ensuite par l’éloignement géographique. La famille sera disloquée, éparpillée à travers le monde. Et puis chacun grandira, poursuivra sa voie et apprendra à vivre avec ou sans le reste de la famille. Les appels seront de plus en plus espacés, les nouvelles plus rares, les silences plus présents.
Jusqu’à ce nouveau drame. La mort.
Sous la plume de Taiye Selasi la mort à quelque chose de sublime. Elle est poétique. Elle est l’occasion d’introspection, de flux et reflux de souvenirs, d’évènements et de sensations qui ont marqués toute une famille. Elle est pleine de vie car elle fait écho à d'autres épisodes de mort mais surtout de vie. C’est à travers la mort que l’on découvrira cette famille avec des va-et-vient incessant entre le passé et le présent, entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe. C’est aussi ce qui rend le livre complexe car on a le sentiment de prendre l’histoire en plein vol. On n’y comprend rien au départ. Quelqu'un est en train de mourir et sa mort nous fait parcourir le monde, dans la vie de différents personnages, à des époques et moments différents de leur vie. L'histoire va se dessiner au fur et à mesure comme une toile d’araignée, elle prendra forme et on y verra plus clair.
On découvrira les différents univers de chacun des membres de cette famille, aux trajectoires diverses; depuis l'enfance jusqu’à l’âge adulte et au moment du tragique évènement. L’auteure nous fera surtout voyager dans leur cœur. Leurs craintes, faiblesses et blessures seront dévoilées. Leurs choix sembleront plus compréhensibles. On découvrira également leur sentiment par rapport à leur entourage, les différences, jalousie, incompréhension entre frères et sœurs, le poids de la distance sur les relations.
La mort est également sublime car dans cette histoire elle permet à une famille de renouer. Elle est comme une rupture qui permet de reprendre les histoires là où on les avait laissées, pour mieux repartir. Elle rappelle l’inanité des choses. Elle oblige à se retrouver, à se parler, à tenter de reconnecter et essayer de se comprendre alors qu'on s’était résigné.
« Le bonheur de les avoir tous à la maison est douloureux » p265
À travers l'histoire de cette famille qui se déploie sur plusieurs continent, l’auteure abordera de nombreux thèmes tels que la question des déplacements volontaires ou subi, celle de la perception des africains à l’étranger et leur relations avec les différentes communautés noires, blanches et non-blanche. La perception des africains vivant à l’étranger par les africains du continent notamment la question du retour en vacances en Afrique ou d’une installation sur le plus long terme. Les personnages de l’auteure sont des afropolitain, selon la définition de Taiye Selasi. Bien que durant de longues années le continent africain ait été ‘abstrait’ pour les enfants du couple, l’Afrique était présente dans leur vie, en raison de leurs prénoms et patronyme singuliers dans un monde occidental. Ainsi tout comme le ‘poids’ de leur prénom, l'Afrique plane au-dessus de tout le récit qui est émaillé d’anecdotes, d’explications et de références culturelle, politique et historique relatives au Ghana et au Nigéria.
C’est un livre durant lequel le lecteur est obligé de se concentrer car l’auteure fait d'importantes digressions et d’incessants retours en arrière, alors on peut facilement perdre le fil. Pendant ma lecture, je me suis parfois demandé si pour écrire un livre pareil, il ne fallait pas être une personne particulièrement loquace. J’ai l’impression qu'elle écrit comme elle pense. Que lorsqu’elle pense, plein de choses lui passent par la tête en même temps. Un évènement la pousse à rebondir sur un autre évènement ou sur une histoire qu’elle a entendu ou encore sur une personne, alors elle écrirait comme ça; comme à l’oral, en donnant tous les détails, en mentionnant tout ce à quoi, ce dont elle parle, lui fait penser.
Ce livre est d'autant plus complexe qu’il est poétique, avec une attention particulière accordée aux détails… La découverte de nouveaux mots est garantie (en tout cas, en ce qui me concerne).
Il semble que pour réaliser cette œuvre, l’auteure se soit fortement inspirée de son vécu et de son histoire familiale. Taiye Selasi est issue d’une fratrie de quatre enfants, dont les parents sont ghanéens et nigérian, avec un père médecin, qu'elle a connu à l’âge de douze ans. Elle est née à Londres, a grandi à Boston et vécu à New Delhi, New York et Londres. Elle se qualifie elle-même d’afropolitaine. Tout comme ses personnages, bien qu’ayant grandi loin de l’Afrique, il semble qu’à un moment crucial de leur vie, ce continent les rappellera.
Ainsi, bien que n’aimant pas qu'on la 'réduise' à ses origines africaines, Taiye rend tout de même hommage aux pays de ses parents, à travers l’histoire d’une famille d’origine africaine, qui a vu son destin basculer et qui finira par se retrouver sur le continent.
Un livre que je recommande vivement !
Collection du monde entier, Gallimard.
Thanks for the article. This one of the best books I've read in the last couple of years.
RépondreSupprimerMerci John pour tes visites sur le blog.
SupprimerC'est pareil pour moi. Ce livre m'a vraiment marqué!
A beautiful review thank for sharing it, I have this on my shelf and am looking forward to reading it all the more thanks to your words. Merci bien et bonne continuation.
RépondreSupprimerThanks for reading !! I am sure you'll enjoy the book as well ! Feel free to share your thoughts after reading it.
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