J'ai découvert Sylvia Serbin et
son ouvrage , il y a quelques années déjà lorsque je regardais assidument
l'émission B.World connection . C'est une émission qui souligne l'apport des
peuples noirs à l'héritage universel. Elle tente d'éduquer les jeunes issus du
peuple noir en leur apportant des éclairages, mais surtout en leur donnant des
exemples de réussite auxquels ils peuvent se référer.
L'auteure était donc incontournable pour l'émission en raison de
la teneur inédite de son ouvrage, mais également pour sa perspicacité et la
persévérance dont elle a fait preuve pour mener à bien cette entreprise.
Elles s'appelaient Abla Pokou, Anne Zingha, Ndete Yalla, Yennega,
Ravalona III.... Elles étaient adulées et craintes par leur peuple. Elles
haranguaient les foules, conduisaient des armées, faisaient preuve de bonté,
d'abnégation ou d'extrême cruauté; étaient de fins stratèges ou d'implacables
intrigantes...
Elles étaient mère ou sans enfants, avaient des défauts , des
faiblesses, ont été victime ou martyr...
Ce sont les Reines, femmes d'influence, résistantes, prophétesses,
mère de héros/fondateur d'empire, guerrières du peuple noire dont Sylvia Serbin
dresse le portrait. Vingt-deux femmes remarquables ayant marqué l'histoire de l'Afrique
et de sa diaspora, de l'Antiquité au début du XXème siècle, méconnues ou
risquant de tomber dans l'oubli.
L'auteure nous fait découvrir ou
redécouvrir ces femmes sans les sublimer. Elle nous les présente avec leur bon
et mauvais côté suscitant successivement respect, admiration, choc ou répulsion
chez le lecteur.
On peut donc s'identifier à elle, à leur qualité ou leur défaut.
Sylvia Serbin n'a idéalisé personne afin de rester objective, mais surtout
crédible.
Ainsi les femmes que nous découvrons, viennent de différentes
régions du continent et reflètent la diversité des modes de vie et de culture
de l'Afrique précoloniale. En effet, au-delà de chacun des portraits l'auteure
s'attache à nous expliquer le fonctionnement de leur société respective ;
organisées, structurées, politisées, qui commercent avec leurs voisins et sont
porteuses de valeurs universelles contrastant avec les idées véhiculées selon
lesquelles avant leurs "découvertes", les sociétés africaines étaient
figées ou peuplé uniquement de tribus guerrières, de cannibales ou d'arriérés...
Chacun des portraits s'inscrit dans un contexte particulier qui
permet à l'auteur de nous éclairer sur certains faits historiques ou
personnages contemporains de l'héroïne concernée. Elle nous parlera
entre autres de la traite des Arabes, des échanges commerciaux entre les deux
rives du Sahara ou encore de l'islamisation de l'Afrique... Elle nous parlera
également du général Faidherbe, du mansa Kankan Moussa, l'homme qui a suscité
les convoites et l'obsession des Européens pour l'Afrique, de Soundjata Keita
ou encore Shaka Zulu...
L'auteure restitue Néfertiti à l'Afrique comme pour nous rappeler
que l'Égypte fait partie du continent et qu'il ne s'agit pas d'une entité à
part. Les chercheurs occidentaux font souvent référence à cette dernière pour souligner
sa beauté exceptionnelle. Dans le livre, elle fait partie des femmes de pouvoir
et d'influence. On apprend qu'en plus d'être belle, elle a joué un rôle
considérable en Égypte en influençant la plupart des décisions de son époux.
Elle nous parle d'Harriet Tubman des États-Unis qui mériterait de
"figurer dans quelque panthéon de héros universels pour avoir, au péril de
sa vie, aidé des centaines de Noirs à fuir la férocité des plantations du
Sud" ou encore de la mulâtresse Solitude; chapitre où elle brosse le
portrait de la société guadeloupéenne où règne la pigmentocracie. Malheureusement, ces femmes sont uniquement célébrées dans leur communauté respective.
En présentant ainsi des femmes d'Afrique , des Antilles et des
États-Unis dans le même ouvrage, Sylvia Serbin fait de son livre un pont pour
rapprocher ces communautés qui bien souvent refusent de s'identifier les unes
aux autres pour diverses raisons, ralentissant ainsi la création d'une mémoire
collective.
Sylvia Serbin, semble, elle, ne pas avoir eu de mal à s'identifier
à l'une ou l'autre de ces communautés pour produire ce travail . D'origine Afro-antillaise
(Martinique), elle est née et a grandi en Afrique où elle a vécu une trentaine
d'années. Son métier de journaliste lui a permis de beaucoup voyager et
d'interroger les traditions orales des pays dans lesquels elles se rendaient.
Ces informations, couplées à celles qu'elle trouvaient dans les archives
d'explorateurs occidentaux, arabes et autres ; lui ont donné des dates et faits précis,
des informations objectives incontestables que l'on retrouve dans l'ouvrage.
Le véritable déclic pour l'écrire lui est venu de sa fille, qui à
l'âge de 8 ans, après avoir regardé Pocahontas, lui demande "comment se
fait-il que tous les autres pays aient des femmes célèbres et pas les gens comme
nous ?... On n'existait pas avant ?".
Dès les premières lignes , l'auteure nous dit donc ceci :
" À qui ferait-on croire, en effet, qu'une moitié du genre
humain serait restée muette, inactive, silencieuse, absente, transparente même,
tandis que l'autre partie s'affairait à
combattre, à diriger, à construire, à protéger ? Pas même à la
plus candide des intelligences. Car depuis que le monde est monde, les femmes
aussi ont fait bouger les choses et il serait vain de faire croire que
l'animation des scènes historiques ne relève que des hommes. Ailleurs, sous
bien des latitudes, un nombre croissant d'auteurs d'attellent à une relecture
du passé pour y trouver des tempéraments féminins à valoriser, fussent-elles
épouses ou favorites de rois. Mais jamais aucune femme noire n'a été consacrée
comme héroïne dite universelle".
Ainsi à travers cet ouvrage l'auteure souhaite donc célébrer les
reines et héroïnes noires, leur rendre hommage, mais surtout faire en sorte que
leur souvenir ne disparaisse pas de nos mémoires. Elle souhaite également que
les enfants issus des peuples noirs aient un autre patrimoine que celui de
l'esclavage et de la colonisation pour se construire une identité forte. Enfin
elle souhaite que les femmes noires, bien souvent absentes de la mémoire
collective, se rappellent (ou sachent) qu'elles ont joué des rôles primordiaux
dans les combats de l'humanité.