3 sept. 2012

Les prisonniers de la haine - Venance Konan


En Côte-d'Ivoire, Venance Konan, n'est plus un homme à présenter. Grand journaliste, lauréat à plusieurs reprises du prix Ebony, professeur à l'Université de Bouaké et plus récemment  lauréat du grand prix littéraire d'Afrique Noire 2012 pour son oeuvre "Edem Kodjo, un homme, un destin". Il est aujourd'hui directeur général du groupe Fraternité Matin qui produit entre autre le plus ancien quotidien ivoirien du même nom. Il s'est en 2003 mis à la fiction avec son premier roman : Les prisonniers de la haine qui sera suivi de Robert et les catapilas (2005), un recueil de nouvelles, Nègreries (2007) un recueil de chronique et plus récemment : Chroniques Afro-sarcastiques : 50 ans d'indépendance tu parles!(2011).

 Les prisonniers de la haine c'est d'abord  une histoire d'amour entre deux personnes que tout oppose . Il y a d'un côté Cassy, journaliste cultivé et de l'autre Olga, une jeune et jolie écervelée qui a pour unique ambition de percer dans le monde de la mode. À travers leur histoire d'amour tragique, l'auteur aborde des thèmes tels que la dépravation sexuelle, la drogue, les sectes... ou encore la guerre ; car Cassy quittera les rues de Treichville, ancien poumon culturel de la Côte-d'Ivoire en pleine déliquescence , pour Monrovia, dans un Libéria meurtri par la guerre. 

 Ce roman dénonce les maux les plus criards de la société ivoirienne Chacun des personnages, représente un ou plusieurs d'entre eux. La dépravation des mœurs sexuelles, le manque d'ambition intellectuelle , les mentalités arrivistes ( Olga, Vanessa);  l'impunité, la corruption, les bavures policières, l'irresponsabilité des journalistes ( Jo Chiwawa, Chico et Angelo); trafics d'influence, viols, prostitution (le libanais et le jeune Karim), l'endoctrinement dans des sectes, obscurantisme ( frère d'Olga), dérives des pratiques des sectes, manipulations( Dagobert Séri ou Dago 1er)...  

Cassy décide de quitter ce contexte malsain, où les hommes, uniquement motivés par l'argent sont prêt à recourir à des méthodes illégales : viols, mysticisme, détournement, perversion; pour Monrovia, afin de trouver des réponses. Le roman prend alors une autre "tournure" et se transforme en enquête sur les causes de la guerre au Libéria...

À Monrovia, grâce à ses rencontres, Cassy découvre l'héritage de la haine et du mépris que les africains ont les uns pour les autres : les guerres et ses nombreuses atrocités. Cette guerre au Libéria et l'"indifférence" des ivoiriens devant ce phénomène semble  être la cristallisation  du pourrissement des mœurs de la société ivoirienne et des sociétés africaines en générale. L'immobilisme des ivoiriens et leur indifférence face aux flots de réfugiés qui se déversaient dans le pays, la cruauté dont ils ont fait preuve en tentant d'exploiter la misère de ces derniers l'abasourdisse. Il réalise que malgré lui, il est lui même complice de ce qui se passe au Libéria et ceci est valable pour tous les ivoiriens et africains. 


C'est un message fort que Venance Konan tente de faire passer à travers ce roman où le pourrissement se généralise. Le mépris des peuples envers eux même , leur continent et leur semblable , la quête incessante de l'argent et du pouvoir engendre la haine qui a pour unique héritage la guerre. En témoigne le cas du Libéria qui explose, celui de la Côte-d,Ivoire qui pourrit et fini par exploser à son tour en 2011. La haine est contagieuse , "il faut évacuer la haine de soi et de son semblable" afin d'avancer.

Les prisonniers de le haine est un roman passionnant que j'ai particulièrement apprécié car en tant qu'ivoirienne et africaine, je fais dans mon environnement des constats semblable à ceux que l'auteur a voulu dénoncer. Je pense que l'exemple de la Côte-d'Ivoire et du Libéria qui se sont "contaminés" peuvent être élargi à l'Afrique toute entière ou des guerres fratricides affaiblissent et détruisent le continent, contribuant à la montée de la haine éprouvée les uns envers les autres.

C'est un roman très simple et bien écrit. Mais on sent , à mon humble avis, plus la plume du journaliste que de l'écrivain car Venance Konan va "droit au but". C'est un homme redouté pour son franc-parler et ses prises de position. Ce roman , à travers l'histoire de Cassy journaliste, très critique, semble être une tribune supplémentaire de l'auteur.

Je ne peux parler de ce roman, sans parler de mes personnages préférés Akissi et Barracuda qui sont d'ailleurs des personnages cruciaux car ils ont poussé Cassy à partir :

Akissi , "l'intellectuelle-villageoise" c'est la voisine de Cassy, surnommée "la villageoise" par Olga car contrairement à toutes les filles d'Abidjan qui ont des looks sophistiqués Akissi, elle, est "simple" et arbore fièrement ses cheveux naturels. Elle a été comme "toutes "les filles d'Abidjan avant. Elle faisait sans cesse la fête, sortait avec des hommes mariés, se défrisait les cheveux jusqu'au jour où  à la suite d'une rencontre troublante, elle décide de faire sa "révolution". Elle est importante dans la vie de Cassy car c'est l'épaule inattendue sur laquelle il pourra s'appuyer. Elle abordera avec lui des thèmes comme les complexes d'infériorité des africains qui les poussent à se mépriser et à mépriser également leur environnement, leurs continents au points de ne vouloir qu'une chose le quitter à force d'idéaliser l'extérieur. Selon elle, quand ils ne peuvent partir, l'amertume et le manque d'intérêt pour le continent est tel qu'ils le regardent se délabrer sans rien faire ou pire, en y contribuant. Elle invite Cassy et tous les africains à apporter leur pierre à l'édifice, à faire leur petite révolution, à leur échelle pour faire changer les choses. J'ai adoré ce personnage car j'ai trouvé que nous nous ressemblions!

Barracuda c'est un "loubard-poète". Un personnage étonnant car son "métier" semble difficilement compatible avec sa passion pour la poésie. Abandonné par sa famille, élevé par des religieuses, il s'enfuit à l'âge de vingt an avec quelques livres de poésies volés au Curé. C'est la rue qui l'a accueillit, lui qui se considère être un "juste" car il utilise ses muscles pour survivre , sans voler ni abuser de personne. N'ayant aucune attache à Abidjan il part "se chercher" au Libéria , mais rentre précipitamment à Abidjan de peur d'y être transformé en bête ou en surhomme , lui qui a pour unique prétention de vouloir tout simplement être un homme.

Un des passages qui m'a le plus  marqué est une fable alarmante racontée par le vieux général à Cassy:

"Il y a très longtemps, à l'époque où les animaux parlaient, le margouillat à tête rouge eut des histoires avec l'épervier. Ce dernier voulait absolument tuer le margouillat. Alors, le margouillat alla demander au mouton d'intervenir pour calmer l'épervier. Le mouton lui dit qu'il était occupé. Il alla voir le boeuf. Le boeuf lui dit que c'était une affaire qui ne le regardait pas. Il alla voir le lion. Le lion lui dit qu'il avait des affaires plus sérieuses à régler. Le margouillat, découragé, alla se cacher près d'un foyer de feu. De là-haut, l'épervier l'aperçut et fondit sur lui. Le margouillat se cacha sous une pierre. L'épervier confondit les braises avec la tête du margouillat. Il ramassa les braises et reprit son envol. Lorsqu'elles le brûlèrent, il les lâcha et les braises tombèrent dans la brousse. C'était la saisons sèche et toute la forêt prit feu, Le mouton, le boeuf, le lion, tous périrent"

p 165/166, NEI (Nouvelles Éditions Ivoiriennes)

Ce passage, annonciateur d'un mauvais présage semble s'être réalisé en Côte-d'Ivoire.





6 commentaires:

  1. Article très apprécié. Je n'ai pas encore lu le livre, mais tout l'intérêt est là, subitement. Je dois avouer que ta manière d'écrire met plus l'emphase sur un style journalistique que romancier. Je trouves le mélange très intéressant puisqu'il rajoute à l'imaginaire une touche de réalisme. Tu nous donnes l'impression que l'auteur brosse le portrait d'une société en crise mais aussi en transition. L'apparente contradiction et complexité des personnages le démontrent: aujourd'hui on peut être à la fois ''loubard et poète, villageoise et intellectuelle''. Transition entre modernité et tradition, entre instabilité/précarité et prospérité.
    Keep it up! xxx

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  2. Merci beaucoup Aicha d'avoir pris le temps de me lire !!!
    Alors ma plume "évolue"? :D ;-)
    C'est une remarque intéressante , c'est vrai qu'on peut voir les choses de cette manière également ! Je t'avoue que je n'y avais vraiment pas penser, je ne suis pas allée très loin dans l'analyse des personnages !!! Je me suis cantonnée à l'histoire mais tu me donne des idées ;-) !!
    Merci encore !!!

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  3. Nous avons, Affoh, quasiment le même regard sur ce roman prémonitoire. Un discours afroresponsable que j'apprécie. Sur une interview qu'il accorde à TV5 Monde, il revient sur cette nécessité de l'introspection de chaque africain. La quête du bouc-émissaire doit cesser. Même si des puissances externes nous influencent, nous sommes à 95% responsable de ce qui nous arrive. Une fois qu'on assume nos erreurs du passé et du présent, l'avenir pourra changer.

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  4. Oui !!
    Je n'ai pas vu cette interview mais cela ne m'étonne pas car , il me semble que Venance Konan fait parti de ces africains qui ont décidé de faire la part des choses notamment en acceptant leur part de responsabilités dans les malheurs qui arrivent au continent aujourd'hui !!

    Je vous remercie d'avoir pris le temps de me lire !!

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  5. Je suis content de découvrir votre blog. Je lui souhaite une longue vie.

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