28 sept. 2012

Rencontre avec Aboudia



Aboudia, de son vrai nom Abdoulaye Diarassouba est un jeune peintre ivoirien de 29 ans qui a "fait le buzz" au sortir de la crise ivoirienne grâce à ses toiles , aux tailles impressionnantes, retranscrivant "La bataille d'Abidjan". Ces dernières, lui ont certes permis de se faire connaitre, mais Aboudia se réclame plutôt des enfants de la rue, dont il tente d'être l'ambassadeur à travers ses toiles qui dépeignent leur quotidien.

J'ai eu la chance de pouvoir le rencontrer durant mes vacances à Abidjan. Nous nous sommes retrouvés à sococé ( centre-commercial des Deux-Plateaux, un quartier d'Abidjan). J'ai été frappé par son attitude avenante et sa simplicité apparente. J'ai compris par la suite pourquoi ce jeune homme considéré comme l'espoir de la peinture ivoirienne était si disponible , plein d'humilité et d'ÉNERGIE !



 Bonjour Aboudia, est-ce que tu peux nous parler un peu de toi ? Te présenter en quelques mots ?
Je suis né à Abengourou. Je fais de la peinture depuis tout petit. Pendant que mes amis allaient à l'école en kaki ( couleur de l'uniforme des garçons de Côte-d'Ivoire), j'étais à l'école des arts à Abengourou...

Depuis combien de temps peins-tu ? Quand as tu commencé ? comment ta famille a-t-elle réagit ?
J'avais 11-12 ans, quand un jeune étudiant de l'École des Beaux Arts d'Abidjan, a séjourné à la maison. J'aimais ce qu'il faisait et j'ai commencé à m'y intéresser. J'étais très jeune et je me suis donné à fond et finalement sans véritables efforts  j'y suis arrivé car j'étais motivé et je savais exactement ce que je voulais pour moi. En fait c'était un plaisir de faire ça .
Mais cette nouvelle passion n'a pas du tout plu à mon père qui se demandait ce qu'était l'art, à quoi ça servait et est - ce que je pourrai vivre de ça ? N'ayant plus son soutien financier, j'ai dû quitter la maison.
Par la suite, grâce à un ami, j'ai pu passer le concours du centre technique des arts appliqués ( C.T.A.A.). J'ai réussi l'examen et obtenu une bourse, c'est à ce moment-là que j'ai vraiment commencé.

 Comment qualifierais-tu ton style ? Dans quel courant le situerais-tu ?
C'est la peinture urbaine "nouchi"! Le nouchi c'est le langage des ivoiriens qui est né dans la rue. J'essaye de combiner le modernisme et le traditionnel tout en ajoutant le langage nouchi des ivoiriens, qui est né dans les années 1970.

Tu es souvent comparé à Basquiat ! Comment le prends-tu ? Est ce que tu te sens flatté ? 
Ceux qui me compare à Basquiat ne prennent pas le temps de vraiment regarder mon travail. S'ils regardent bien, ils se rendront compte qu'il n'a rien à voir avec celui de Basquiat. On a certes le même thème : les graffitis, les enfants de la rue, la drogue, le mal qu'il y a au plus profond de nous ; mais vous verrez que les traits et la conception des oeuvres n'est pas la même ! Basquiat travaillait avec pleins de couleurs, des graves ; moi je travaille avec des profondeurs, des collages, du kaolin. En fait, avec tout ce que je peux trouver et c'est cela la différence entre nos styles. J'invite donc tout le monde à bien regarder mon travail afin de voir cette différence.
Mais si on me compare à Basquiat, qui est un grand artiste, cela veut dire que ma peinture est prometteuse.

Parle nous un peu de ton travail sur " la bataille d'Abidjan".
J'ai voulu le faire par patriotisme d'abord, parce que je suis ivoirien et parce que tout qui touche la Côte-d'Ivoire me touche également. Les Écrivains, les journalistes, avaient tous pris leur part de responsabilité dans l'histoire. Je me suis donc demandé quel était la part de responsabilité des peintres. J'ai donc voulu écrire l'histoire avec mon pays, tout en peignant cette série d'œuvre pour que les générations futures puissent voir ce qui s'est passé à ce moment-là dans notre pays. C'est un témoignage, je suis témoin de l'histoire.  Il est vrai que ce n'était pas une situation agréable à vivre mais on est là dans la douleur comme dans le bonheur.
Le Buzz est venu d'un agent de Reuters qui était à Abidjan. Il était "fatigué" de faire des reportages sur la guerre alors un monsieur lui a parlé de moi. Après son reportage, j'ai fait le buzz, le tour du monde.

Comment vis-tu ta notoriété aujourd'hui ? Est ce que tu vis de ton art ? Tes tableaux sont-ils à vendre ?
On s'en fou ! Je ne me vois pas comme quelqu'un de célèbre, je n'ai pas envi de l'être. J'ai envi de rester dans l'esprit des gens, de les marquer. Je vais continuer à bosser et à faire plaisir à tous ceux qui aiment ce que je fais et amener ceux qui n'aiment pas l'art à l'aimer.
Oui, je vis de mon art, il y en a pour toutes les bourses. Les prix vont de 95 000  à 6 millions de francs C.F.A 

Comment te vois-tu plus tard ? quels sont tes rêves ? Qu'est ce qui t'inspire aujourd'hui ? On sait que "la bataille d'Abidjan" t'a beaucoup inspiré ...

"La bataille d'Abidjan" ne m'a jamais inspiré. Mon inspiration venait des enfants de la rue, des graffitis que je voyais sur les murs... Ça a juste été une retranscription de ce que je faisais avant "la bataille d'Abidjan". J'ai juste, à un moment donné de ma carrière artistique, témoigné de ce qui c'était passé dans le pays. Maintenant c'est fini, j'ai rangé les pinceaux de la guerre, je reviens aux enfants de la rue.

Quels sont tes rêves et tes projets ?
Je prépare mes expositions en Angleterre, en Allemagne et à New York.
Je rêve d'avoir un jour ma fondation qui accueillera tous les jeunes dans le besoin. Je ne suis pas riche, mais j'essaye , tant bien que mal, d'aider les personnes qui trainent dans la rue, les jeunes qui ont dû quitter leurs parents faute de moyens, ceux qui se sont réfugiés dans la rue. Je finirai bien par trouver les moyens d'aider toutes ses personnes dans le besoin.

Parle nous d'abobogare.com en quelques mots.
Il a été crée par Stéphane ( son agent), parce que je voulais travailler sur les enfants de la rue, ceux des gares, ceux avec lesquels j'ai passé un bon moment à Abobo. On s'est dit qu'on pouvait rester dans la logique des choses et créer ce lien avec ce titre. Abobo est une commune d'Abidjan dans laquelle il y a beaucoup d'enfants qui trainent, qui font de petits métiers. C'est un hommage à tout ces enfants, qui ont des rêves et qui veulent les réaliser plus tard.

As-tu un message à faire passer aux jeunes artistes ?
Les jeunes artistes doivent savoir ce qu'ils veulent réellement et ne pas se laisser distraire pour pouvoir atteindre leurs objectifs.


Vous pouvez retrouver Aboudia sur sa page de fans facebook ou à la galerie Cécile Fakhoury , situé au Boulevard Latrille (Abidjan). Quelques œuvres de l'artiste seront exposées jusqu'au 17 Novembre 2012.



16 sept. 2012

Les frasques d'Ebinto - Amadou Koné


Amadou Koné commence à écrire Les frasques d'Ebinto , alors qu'il n'est encore qu'au collège. Il l'achève  durant sa dernière année de lycée, à  l`âge de 18ans. Publié en 1979, ce roman a révélé au grand public le talent du jeune homme et annoncé son parcours  prometteur. Il est aujourd'hui professeur de littérature francophone et de culture africaine à l'Université de Georgetown.

Les frasques d'Ebinto c'est l'histoire d'un jeune intellectuel/rêveur, ambitieux/réaliste, issu d'un milieu modeste et promis à un grand avenir. C'est un garçon doté d'une grande sensibilité à force de lectures et de rêveries.

Durant tout son parcours scolaire, Ébinto s'illustre par son intelligence et sa passion pour le travail qu'il ne considère pas comme une corvée mais plutôt comme un passe-temps agréable. Il aime donc à réviser chez lui, lire de nombreux romans, philosopher sur la condition des africains et ce malgré son jeune âge.

Mais  comme tous les jeunes garçons, il est un jour rattrapé par la vie qui le sort de ses rêveries : il rencontre l'amour. Enfin il croit l'avoir rencontré et sa passion pour le travail est alors remplacée par celle pour cette fille qui va affecter son existence toute entière . Elle va le posséder, le hanter...
Ebinto le rêveur est alors confronté à une triste double réalité : celle de l'amour qui n'est pas réciproque, celle de la différence de milieu qui est un obstacle supplémentaire à cet amour à sens unique. Ce n'est alors que le début de ses malheurs....

En effet, à la suite d'un évènement inattendu, qui tombe comme une sentence pendant ses "grandes vacances", sa vie de jeune garçon en pleine adolescence va prématurément basculer vers celle d'un homme adulte. S'envolent alors ses rêves, ses ambitions, ses vœux les plus chers et commence une vie de désillusion qui va le faire basculer dans le MAL. Il choisira volontairement le "côté obscur .." et fera payer cette nouvelle vie à tout son entourage, à la femme qui l'aime...
Avec ce basculement , une série d'évènements tragiques se succèderont dans la vie d'Ebinto. L' adolescent rêveur et ambitieux, se transforme en "adulte" froid et amer...

Le roman prend alors une autre tournure. La première partie où l'on connait un Ebinto, plein de joie de vivre, qui a confiance en l'avenir laisse place à une partie sombre car l'on voit un Ebinto plein d'amertume se transformer, se révolter contre la vie ou plutôt contre la personne qu'il accuse de lui avoir volé sa jeunesse, ses rêves:  "La colère d'un jeune homme sérieux est calme et terrible. Elle n'est pas furieuse, elle est froidement cruelle ..." p78

Ce roman est écrit de manière remarquable. On y trouve de belles descriptions, notamment de la ville de Grand-Bassam où se déroule une grande partie de l'histoire. On y trouve également de nombreuses phrases proverbiales. De plus Amadou Koné semble maîtriser l'art du suspense et des retournements de situation. Il y a des livres que l'ont lit et qui nous semblent prévisibles mais celui-ci aura réussi, à me surprendre, à chaque chapitre, chaque paragraphe . Je l'ai tout simplement adoré et regretté de l'avoir terminé aussi vite car je me suis attachée à ce jeune Ébinto qui est ,à mon humble avis, devenu méchant malgré lui.

Mes deux personnages préférés sont  Ébinto et Monique.

Ébinto : le héros qui devient un anti/héros. 
C'est un adolescent plein de contradictions, qui se considèrent comme un "rêveur-conscient" car il a conscience de sa réalité difficile mais s'en évade à travers ses rêves, ses idéaux, dont celui de croire "qu'un jour tous les hommes seraient bons et que tout le monde serait bien" p36 ! Il a perdu son père très tôt et c'est sa mère qui s'occupe seule de ses frères et soeurs et finance difficilement ses études...
Ébinto est passionné d'"école" mais plus particulièrement de littérature. Sa plus grande richesse dans la maison au mobilier "pauvre et rustique" de sa mère est sa bibliothèque pleine de livres. Sa vie est rythmée par ses lectures, les nouvelles connaissances qu'il acquiert, les nouvelles évasions qu'elles permettent. Ainsi, il fait référence à de nombreuses œuvres littéraires dans ses conversations, dans son quotidien. Il fait,  par exemple ,référence à la fille qu'il aime comme à une "Sylphide". Lorsque la vie lui ôte ses rêves avec violence et qu'il choisit de lui répondre également par la violence, il se compare à Maldoror, l'homme bon qui "s'aperçut ensuite qu'il était né méchant".p78
Les livres sont ses amis car Ébinto est un solitaire qui n'est proche que de  Koula , Bazié et Monique. Il est d'autant plus seul que sa mère ne comprend pas son souhait de vouloir continuer ses études . Elle le poussera d'ailleurs à les arrêter quand sa vie basculera.
La lecture a une grande place dans ce roman et Ébinto semble être le miroir du Amadou Koné de l'époque qui du haut des ses 18ans avait déjà une grande culture littéraire. Tout comme l'auteur, Ébinto va également au collège dans la ville historique de Grand-Bassam.

Monique c'est la femme qui aime Ébinto.
Elle m'a marqué car la passion qu'elle éprouve pour Ébinto et la patience dont elle a fait preuve envers lui, quand il est devenu méchant, m'a semblé SURHUMAINE. J'irais même jusqu'à dire qu'elle est l' illustration possible de ce passage de la Bible : " L'amour est patient, il est plein de bonté. L'amour n'est pas envieux, il ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais au contraire l'amour se réjouit de la fidélité. Il excuse tout, il espère tout, il supporte tout. L'amour ne meurt jamais" (1 Corinthiens 13)
C'est la femme qui mènera Ébinto à cette belle conclusion "Que de peines nous éviterions si nous prenions chaque être pour ce qu'il est et non pour ce que nous aurions préféré qu'il fût"  ( p108, Éditions Hatier International)

C'est un roman bouleversant qui ne laissera pas le lecteur indifférent.

3 sept. 2012

Les prisonniers de la haine - Venance Konan


En Côte-d'Ivoire, Venance Konan, n'est plus un homme à présenter. Grand journaliste, lauréat à plusieurs reprises du prix Ebony, professeur à l'Université de Bouaké et plus récemment  lauréat du grand prix littéraire d'Afrique Noire 2012 pour son oeuvre "Edem Kodjo, un homme, un destin". Il est aujourd'hui directeur général du groupe Fraternité Matin qui produit entre autre le plus ancien quotidien ivoirien du même nom. Il s'est en 2003 mis à la fiction avec son premier roman : Les prisonniers de la haine qui sera suivi de Robert et les catapilas (2005), un recueil de nouvelles, Nègreries (2007) un recueil de chronique et plus récemment : Chroniques Afro-sarcastiques : 50 ans d'indépendance tu parles!(2011).

 Les prisonniers de la haine c'est d'abord  une histoire d'amour entre deux personnes que tout oppose . Il y a d'un côté Cassy, journaliste cultivé et de l'autre Olga, une jeune et jolie écervelée qui a pour unique ambition de percer dans le monde de la mode. À travers leur histoire d'amour tragique, l'auteur aborde des thèmes tels que la dépravation sexuelle, la drogue, les sectes... ou encore la guerre ; car Cassy quittera les rues de Treichville, ancien poumon culturel de la Côte-d'Ivoire en pleine déliquescence , pour Monrovia, dans un Libéria meurtri par la guerre. 

 Ce roman dénonce les maux les plus criards de la société ivoirienne Chacun des personnages, représente un ou plusieurs d'entre eux. La dépravation des mœurs sexuelles, le manque d'ambition intellectuelle , les mentalités arrivistes ( Olga, Vanessa);  l'impunité, la corruption, les bavures policières, l'irresponsabilité des journalistes ( Jo Chiwawa, Chico et Angelo); trafics d'influence, viols, prostitution (le libanais et le jeune Karim), l'endoctrinement dans des sectes, obscurantisme ( frère d'Olga), dérives des pratiques des sectes, manipulations( Dagobert Séri ou Dago 1er)...  

Cassy décide de quitter ce contexte malsain, où les hommes, uniquement motivés par l'argent sont prêt à recourir à des méthodes illégales : viols, mysticisme, détournement, perversion; pour Monrovia, afin de trouver des réponses. Le roman prend alors une autre "tournure" et se transforme en enquête sur les causes de la guerre au Libéria...

À Monrovia, grâce à ses rencontres, Cassy découvre l'héritage de la haine et du mépris que les africains ont les uns pour les autres : les guerres et ses nombreuses atrocités. Cette guerre au Libéria et l'"indifférence" des ivoiriens devant ce phénomène semble  être la cristallisation  du pourrissement des mœurs de la société ivoirienne et des sociétés africaines en générale. L'immobilisme des ivoiriens et leur indifférence face aux flots de réfugiés qui se déversaient dans le pays, la cruauté dont ils ont fait preuve en tentant d'exploiter la misère de ces derniers l'abasourdisse. Il réalise que malgré lui, il est lui même complice de ce qui se passe au Libéria et ceci est valable pour tous les ivoiriens et africains. 


C'est un message fort que Venance Konan tente de faire passer à travers ce roman où le pourrissement se généralise. Le mépris des peuples envers eux même , leur continent et leur semblable , la quête incessante de l'argent et du pouvoir engendre la haine qui a pour unique héritage la guerre. En témoigne le cas du Libéria qui explose, celui de la Côte-d,Ivoire qui pourrit et fini par exploser à son tour en 2011. La haine est contagieuse , "il faut évacuer la haine de soi et de son semblable" afin d'avancer.

Les prisonniers de le haine est un roman passionnant que j'ai particulièrement apprécié car en tant qu'ivoirienne et africaine, je fais dans mon environnement des constats semblable à ceux que l'auteur a voulu dénoncer. Je pense que l'exemple de la Côte-d'Ivoire et du Libéria qui se sont "contaminés" peuvent être élargi à l'Afrique toute entière ou des guerres fratricides affaiblissent et détruisent le continent, contribuant à la montée de la haine éprouvée les uns envers les autres.

C'est un roman très simple et bien écrit. Mais on sent , à mon humble avis, plus la plume du journaliste que de l'écrivain car Venance Konan va "droit au but". C'est un homme redouté pour son franc-parler et ses prises de position. Ce roman , à travers l'histoire de Cassy journaliste, très critique, semble être une tribune supplémentaire de l'auteur.

Je ne peux parler de ce roman, sans parler de mes personnages préférés Akissi et Barracuda qui sont d'ailleurs des personnages cruciaux car ils ont poussé Cassy à partir :

Akissi , "l'intellectuelle-villageoise" c'est la voisine de Cassy, surnommée "la villageoise" par Olga car contrairement à toutes les filles d'Abidjan qui ont des looks sophistiqués Akissi, elle, est "simple" et arbore fièrement ses cheveux naturels. Elle a été comme "toutes "les filles d'Abidjan avant. Elle faisait sans cesse la fête, sortait avec des hommes mariés, se défrisait les cheveux jusqu'au jour où  à la suite d'une rencontre troublante, elle décide de faire sa "révolution". Elle est importante dans la vie de Cassy car c'est l'épaule inattendue sur laquelle il pourra s'appuyer. Elle abordera avec lui des thèmes comme les complexes d'infériorité des africains qui les poussent à se mépriser et à mépriser également leur environnement, leurs continents au points de ne vouloir qu'une chose le quitter à force d'idéaliser l'extérieur. Selon elle, quand ils ne peuvent partir, l'amertume et le manque d'intérêt pour le continent est tel qu'ils le regardent se délabrer sans rien faire ou pire, en y contribuant. Elle invite Cassy et tous les africains à apporter leur pierre à l'édifice, à faire leur petite révolution, à leur échelle pour faire changer les choses. J'ai adoré ce personnage car j'ai trouvé que nous nous ressemblions!

Barracuda c'est un "loubard-poète". Un personnage étonnant car son "métier" semble difficilement compatible avec sa passion pour la poésie. Abandonné par sa famille, élevé par des religieuses, il s'enfuit à l'âge de vingt an avec quelques livres de poésies volés au Curé. C'est la rue qui l'a accueillit, lui qui se considère être un "juste" car il utilise ses muscles pour survivre , sans voler ni abuser de personne. N'ayant aucune attache à Abidjan il part "se chercher" au Libéria , mais rentre précipitamment à Abidjan de peur d'y être transformé en bête ou en surhomme , lui qui a pour unique prétention de vouloir tout simplement être un homme.

Un des passages qui m'a le plus  marqué est une fable alarmante racontée par le vieux général à Cassy:

"Il y a très longtemps, à l'époque où les animaux parlaient, le margouillat à tête rouge eut des histoires avec l'épervier. Ce dernier voulait absolument tuer le margouillat. Alors, le margouillat alla demander au mouton d'intervenir pour calmer l'épervier. Le mouton lui dit qu'il était occupé. Il alla voir le boeuf. Le boeuf lui dit que c'était une affaire qui ne le regardait pas. Il alla voir le lion. Le lion lui dit qu'il avait des affaires plus sérieuses à régler. Le margouillat, découragé, alla se cacher près d'un foyer de feu. De là-haut, l'épervier l'aperçut et fondit sur lui. Le margouillat se cacha sous une pierre. L'épervier confondit les braises avec la tête du margouillat. Il ramassa les braises et reprit son envol. Lorsqu'elles le brûlèrent, il les lâcha et les braises tombèrent dans la brousse. C'était la saisons sèche et toute la forêt prit feu, Le mouton, le boeuf, le lion, tous périrent"

p 165/166, NEI (Nouvelles Éditions Ivoiriennes)

Ce passage, annonciateur d'un mauvais présage semble s'être réalisé en Côte-d'Ivoire.





25 août 2012

Babyface - Koffi Kwahulé


Premier roman du dramaturge ivoirien Koffi kwahulé, Babybace , paru en 2006, a été lauréat cette même année du prix Ahmadou Kourouma et du grand prix ivoirien des lettres. Après ses nombreux succès théâtraux, l'entrée de l'auteur dans le roman semble donc réussie.



Babyface, c'est une histoire d'amour tragique, qui dévore, déroute et qui fait tomber  dans la folie. Elle se déroule dans la  république d'Éburnéa ,qui a elle-même sombrée, dans la folie meurtrière de la guerre. C'est l'histoire de la jeune Mozati, violée par son instituteur, installée avec le vieux Jérôme-Alexandre Dutaillis de La Péronnière par nécessité et qui rencontre finalement l'Amour : Babyface. Mais Babyface n'est pas celui qu'elle croit, malgré les mises en garde, les incohérences,  leur amour grandit  et elle décide de lui consacrer tout son temps, son corps , son coeur et son argent. Les détails de cet amour fou nous sont rapportés tout au long du roman par le journal intime de Jérôme, son ex/compagnon et par les proches de Mozati. Les voix  et les impressions se superposent , les scènes d'amour et de guerre également.  Car la république d'Éburnéa est en pleine crise à cause du concept d'éburnité qui a divisé le pays. Le bruit court que le président est invincible et immortel car il est l'amant d'une divinité aquatique (Mami Wata) qui le protège et permet "que tout lui réussisse et que tous les sortilèges soient vain contre lui". Il manipule le peuple comme Babyface manipule Mozati et avant elle, toutes les femmes qui l'ont aimé.   
                                           
L'auteur dénonce les manipulations politiques, les problèmes identitaires , les guerres et conflits intraétatiques en Afrique. Mozati est comme la République d'Éburnéa qui manipulée, sombre dans un cauchemar, dans la folie.

Babyface est un roman déroutant et complexe. Il est très difficile au départ de savoir qui parle, de qui et de quoi. Mais on finit par comprendre que ce sont différents personnages qui prennent la parole, se superposent, apportent des informations supplémentaires, racontent des évènements de leur propre vie. À côté de ceux qui parlent, il y a Jérôme, un personnage particulier qui lui, écrit, dans son "Fragments du Journal imaginé (notes et visions). Il y a donc de nombreux passages de l'oral à l'écrit, de la fiction à la réalité, des dialogues et répliques comme lorsque l'on écrit une pièce de théâtre, activité familière à notre auteur , qui est un dramaturge prolifique. Poésies, lettres, métaphores, répétition rythment le récit, lui donnant une allure très musicale. 

25 juil. 2012

Verre Cassé - Alain Mabanckou


Verre cassé, c'est l'histoire d'un anti-héro à qui l'on donne la parole et à travers lui  à tous les "éclopés" du Crédit a voyagé; ce bar congolais qui comme son nom l'indique ne fait aucun crédit et qui , à sa création, a suscité une polémique cocasse jusqu'au  sommet de l'État.

L'Escargot Entêté, patron du bar, offre un jour à Verre Cassé un cahier en lui confiant pour mission d'immortaliser les prouesses du bar et de ses clients.

Verre cassé accepte l'idée avec réticence au départ puis commence , à griffonner machinalement dans son cahier. Il nous raconte alors la création du bar avec son lot de problèmes. On apprend qu'a sa création , les fidèles de l'Eglise diminuaient progressivement au fil des dimanches. "Les gens d'Église" ont donc mener une "guerre sainte" contre le Crédit à voyager et surtout contre son patron : l'Escargot entêté. Grâce aux interviews donnés par le barman, devenu un véritable martyr, et aux soutiens des soulards toujours "solidaires jusqu`à la dernière goutte", l'"affaire le Crédit a voyagé" est arrivé jusqu'au conseil des ministres et a divisé la population. C'est alors que le ministre de l'agriculture, ami d'enfance de l'Escargot Entêté, prononcera son célèbre discours "J'accuse" pour apporter publiquement son soutien à son ami. Ce discours , marquera les esprits du pays et  suscitera la jalousie du président qui, essayera à son tour, de trouver, par tous les moyens, une formule qui restera dans la postérité et la mémoire de ces concitoyens !!

Verre cassé s'attarde ensuite sur les clients les plus assidus du bar.  Il y a le type aux Pampers , trahie par sa femme et  arrêté par une "policière de nationalité féminine", l'imprimeur "qui a fait la France" et qui a été ruiné par une femme blanche , "robinette", un véritable réservoir , "Zéro Faute" le sorcier sans pouvoir , Mouyeke , le féticheur qui réclame 1 million de CFA a chacune de ses consultations et qui n'aime pas la Bible car les Noirs y apparaissent toujours " entre deux versets sataniques" , Casimir "qui mène la grande vie" et bien d'autres encore... 

Étant lui-même un client assidu, Verre Cassé  ne déroge pas à la règle et se raconte également. On est plongé dans un soliloque ponctué de retour à la réalité , notamment pour manger un "poulet bicyclette" préparé avec amour par maman Mfoa. Il nous parle de "diabolique" ou plutôt angélique son ex-femme qui l'a quitté, mais ça, il s'en moque car les bouteilles de vin rouge lui donnent tout l'amour dont il a besoin ...






Histoire débordante d'humour, écrite d'une seule traite et contenant de nombreuses références littéraires, historiques et dénonciations subtiles, qui rendent le récit riche , surprenant et plus drôle encore... Une histoire pleine de fraîcheur, d'ironie et de dureté.
Cette fois, c'est à travers la plume d'un ivrogne novice en la matière qu'Alain Mabanckou nous fait passer des messages tout en finesse; chacun des personnages nous fait cogiter, rire et pleurer. 
On retrouve ici encore sa particularité : écrire sans ponctuation véritable, uniquement avec des virgules, ce  qui donne une cadence vive et rapide au récit, on "ressent" les "vipères au poing" monter en Verre Cassé lorsque le ton monte ou son amour profond pour le vin rouge , ce "long fleuve tranquille". 
En résumé, je donnerais une simple expression pour décrire ce livre : " à mourir de rire"! 

Quelques mots sur l'auteur : C'est le livre qui l'a véritablement révelé au grand public...

Conseil :  Ne surtout pas le lire dans un lieu public, au risque de passer pour un(e) folle (fou), comme moi, à force de rigoler.