C'est Akpedze une amie à moi, pour ne pas dire une sœur, qui m'a offert ce roman d'Edem Awumey. C'est un auteur qui comme elle, est né au Togo
et vit aujourd'hui au Québec. Quand j'ai découvert ce qu'il y avait à l'intérieur du paquet , elle a dit " Tu vas pouvoir parler d'un auteur du Togo maintenant" ! C'était un gentil petit coup de pression ! (rires)
Les pieds sales ce sont les personnes qui "avaient les pieds crottés et blanchies par la boue et la poussière de toutes les routes qu'elles avaient courrues depuis là-bas"
Ce sont les migrants,
les vagabonds poussés sur les routes , pour diverses raisons ; dans l'espoir de
connaître des jours meilleurs. Bien souvent, ils se dirigent vers le Nord, en
Occident, objet de tous les fantasmes.
Askia est un pied
sale. Son errance a commencé alors qu'il
n'avait que cinq ans. À dos d'âne et accompagné de ses deux parents, ils
fuyaient la sécheresse qui sévissait au Sahel.
À 47 ans, il erre
toujours mais dans les dans les rues de Paris, cette fois, au volant de son
taxi. La ville lumière n'est pour lui qu'un labyrinthe sinueux fait d'ombres
fantasmatiques qui ne cessent de lui échapper à l'image de son histoire. En
effet, Askia est hanté par un fantôme, celui
de son père qui a mystérieusement disparu quelques années auparavant en France.
Askia accepte l'idée que son père les ait abandonnés. Mais il semble que le
spectre de ce dernier et de sa disparition, ne veuille pas le lâcher. Tout le ramène
à son passé, à ce père : Sidi Ben Sylla Mohamed. L'avenir d'Askia semble obstrué
"Tu lui ressemble,
Askia. Si tu portais un turban, toi aussi , ce serait parfait. J'aurais l'impression
que c'est lui qui est revenu, tout juste l'impression. Car il ne reviendra
pas" lui disait sa mère.
"Embraye,
Télémaque ! En route ! Pour toutes les raisons que tu veux!" lui dit son père
disparu, lorsqu'il rêve.
Même les clients de son
taxi lui parle de ce dernier.
Lorsqu' Olia, une jeune photographe Bulgare,
monte dans son taxi, elle est tout de suite frappé par la ressemblance entre
Askia et ce monsieur en turban qu'elle a photographié quelques années
auparavant dans Paris.Les deux personnages se
lancent alors à la recherche de Sidi Ben Sylla Mohamed.
Askia nourrit enfin l'espoir de pouvoir
trouver des réponses à ses questions...
On assistera à la naissance d'une amitié entre les deux
personnages , autour de la figure de ce père.
Ils se sentent d'autant
plus proche qu'Olia est elle-aussi une pieds sales, à l'histoire affligeante.
Alors qu'ils sont sur
une piste sérieuse, les deux personnages seront rattrapés par leur histoire respective, par les actes posés sur les routes de leur pérégrination...
Ainsi, au-delà du mystère
entourant la figure de son père. Askia est dans une véritable quête
identitaire. La question "Qui es tu ?" reviens sans cesse...
Mais comment y répondre
lorsque l'on a jamais vu son père auquel tous les commentaires nous ramènent ? Lorsque
l'on est parti de chez soi depuis si longtemps que l'on n'ose plus y retourner
? Lorsque l'idée du retour est plus angoissante
que celle de continuer à vivre dans la misère, la pression et les menaces ? Comment
y répondre lorsque l'on est sans papiers ?
Edem Awumey nous
dépeint à travers la vie de ses différents personnages le calvaire d'un grands nombres de migrants
: les compromis, la précarité, le racisme, la solitude mais surtout la question
du retour ou au contraire de l'exil sans fin. Qu'ils fuient des régimes
totalitaires, la misère économique ou
d'autres problèmes, ces personnes , sont souvent prêtes à tout pour
partir de chez elle et atteindre la "terre promise". Pourtant, une
fois arrivée sur place, la réalité est loin d'être celle qui avait été
imaginée.
Certains se battront pour
être accepté, pour pouvoir mener une existence décente et ne plus être
considéré comme ces étrangers que l'on ne veut pas voir s'arrêter trop
longtemps chez soi.
Pour d'autres,
commencera une vie de désillusion de laquelle il sera difficile de se
soustraire . Car, en effet, à moins d'avoir les moyens ,le courage d'affronter
son passé, la situation que l'on fuyait, les changements dans le pays d'origine,
le regard des autres; la question du retour restera inconcevable pour beaucoup.
On est alors, malgré soi, obsédé par ce que l'on a laissé là-bas. On s'accroche
à tout ce qui pourrait nous rappeler ce là-bas qui nous est à la fois si cher
et effrayant.
On s'accroche aux
photos par exemple. Elles ont une place importante dans ce roman. Les
personnages s'accrochent aux visages qui y sont et les emporte partout avec eux.
Elles sont comme un semblant de stabilité dans leur univers agité ou tout peut
basculer. Elles leur permettent de retracer leurs pérégrinations, fixer leurs souvenirs, leur redonner le sourire ou leur rappellent tout simplement des événements ou période marquante de leur vie.
La question de la quête
et de la migration revient tout au long du roman, à travers l'histoire des
différents personnages mais également à travers les différentes références de
l'auteur. En effet le roman est émaillé de références littéraire et historique
qui le rendent intéressants mais complexe également. Askia est un Télémaque des temps modernes qui
cherche , Ulysse son père. L'auteur fait également référence à Don Qui Chott "Vous autres, chevalier errants,
vivez en rêvant et rêvez en vivant". L'auteur mentionne l'histoire de
l'empire du Songhaï et de l'un de ses rois "Askia Mohamed", l'exode
des Éwe, peuple du Togo....
On ne peut donc se
laisser aller pendant la lecture de ce roman et ce d'autant plus que l'histoire
n'est pas linéaire. L'auteur alterne entre rêve et réalité, retour brusque dans
le passé de ses différents personnages...
Les références à
différentes villes, continents et histoires sont nombreuses. L'univers d'Askia
semble alors atemporel. On oublie qu'il vit à Paris, qu'il vient du Togo où
sévit une dictature...
C'est tout simplement l'histoire d'un migrant, d'un
homme qui veut donner un sens à sa vie...
C'est un roman à portée
universelle.
L'histoire qui m'a le
plus touchée est une histoire secondaire, celle de Monsieur Ali de Port-Saïd :
" Il bougeait pour ne pas poser les fesses dans une gare avec le risque de
prendre froid. Il vendait ses marrons de Gonesse à Boulogne, histoire de
circuler. Et Port-Saïd s'éloignait de plus en plus, Port-Saïd et Abu Nuwas,
alors il se fabriquait des pyramides en papier sur le boulevard Saint-Michel
pour ne pas oublier..."