25 juil. 2012

Verre Cassé - Alain Mabanckou


Verre cassé, c'est l'histoire d'un anti-héro à qui l'on donne la parole et à travers lui  à tous les "éclopés" du Crédit a voyagé; ce bar congolais qui comme son nom l'indique ne fait aucun crédit et qui , à sa création, a suscité une polémique cocasse jusqu'au  sommet de l'État.

L'Escargot Entêté, patron du bar, offre un jour à Verre Cassé un cahier en lui confiant pour mission d'immortaliser les prouesses du bar et de ses clients.

Verre cassé accepte l'idée avec réticence au départ puis commence , à griffonner machinalement dans son cahier. Il nous raconte alors la création du bar avec son lot de problèmes. On apprend qu'a sa création , les fidèles de l'Eglise diminuaient progressivement au fil des dimanches. "Les gens d'Église" ont donc mener une "guerre sainte" contre le Crédit à voyager et surtout contre son patron : l'Escargot entêté. Grâce aux interviews donnés par le barman, devenu un véritable martyr, et aux soutiens des soulards toujours "solidaires jusqu`à la dernière goutte", l'"affaire le Crédit a voyagé" est arrivé jusqu'au conseil des ministres et a divisé la population. C'est alors que le ministre de l'agriculture, ami d'enfance de l'Escargot Entêté, prononcera son célèbre discours "J'accuse" pour apporter publiquement son soutien à son ami. Ce discours , marquera les esprits du pays et  suscitera la jalousie du président qui, essayera à son tour, de trouver, par tous les moyens, une formule qui restera dans la postérité et la mémoire de ces concitoyens !!

Verre cassé s'attarde ensuite sur les clients les plus assidus du bar.  Il y a le type aux Pampers , trahie par sa femme et  arrêté par une "policière de nationalité féminine", l'imprimeur "qui a fait la France" et qui a été ruiné par une femme blanche , "robinette", un véritable réservoir , "Zéro Faute" le sorcier sans pouvoir , Mouyeke , le féticheur qui réclame 1 million de CFA a chacune de ses consultations et qui n'aime pas la Bible car les Noirs y apparaissent toujours " entre deux versets sataniques" , Casimir "qui mène la grande vie" et bien d'autres encore... 

Étant lui-même un client assidu, Verre Cassé  ne déroge pas à la règle et se raconte également. On est plongé dans un soliloque ponctué de retour à la réalité , notamment pour manger un "poulet bicyclette" préparé avec amour par maman Mfoa. Il nous parle de "diabolique" ou plutôt angélique son ex-femme qui l'a quitté, mais ça, il s'en moque car les bouteilles de vin rouge lui donnent tout l'amour dont il a besoin ...






Histoire débordante d'humour, écrite d'une seule traite et contenant de nombreuses références littéraires, historiques et dénonciations subtiles, qui rendent le récit riche , surprenant et plus drôle encore... Une histoire pleine de fraîcheur, d'ironie et de dureté.
Cette fois, c'est à travers la plume d'un ivrogne novice en la matière qu'Alain Mabanckou nous fait passer des messages tout en finesse; chacun des personnages nous fait cogiter, rire et pleurer. 
On retrouve ici encore sa particularité : écrire sans ponctuation véritable, uniquement avec des virgules, ce  qui donne une cadence vive et rapide au récit, on "ressent" les "vipères au poing" monter en Verre Cassé lorsque le ton monte ou son amour profond pour le vin rouge , ce "long fleuve tranquille". 
En résumé, je donnerais une simple expression pour décrire ce livre : " à mourir de rire"! 

Quelques mots sur l'auteur : C'est le livre qui l'a véritablement révelé au grand public...

Conseil :  Ne surtout pas le lire dans un lieu public, au risque de passer pour un(e) folle (fou), comme moi, à force de rigoler.

16 juil. 2012

Soundjata ou l'épopée mandingue - Djibril Tamsir Niane


Soundjata Keita est, selon les griots traditionnalistes du Manding, le dernier conquérant, celui qui a , par ses exploits, surpassé Alexandre Le Grand.
Fils du roi du Manding Maghan Kon Fatta, l'homme-lion et de Sogolon Kedjou, la bossue, la femme-buffle, on prédit à Soundjata Keita un destin hors du commun. 

Il nous est raconté ici par le griot Mamadou Kouyaté puis traduit et retranscrit par l'historien Djibril Tamsir Niane, auteur de ce roman.

Soundjata est né ,au XIII siècle, d'une union improbable entre le roi du royaume Manding et la femme la plus laide du village de Do. Les devins annonçaient sa naissance comme celle du véritable successeur du Manding, même si Maghan a déjà un fils né de sa première union avec la jalouse Sassouma Bérété. Il nait "sous le tonnerre et un ciel illuminé par des éclairs", sous le son des tams-tams qui  annoncent la nouvelle à tout le Manding  en liesse. Mais très vite, le royaume n'est plus à la fête, Soundjata et sa mère sont sujets à de nombreuses railleries car il est moche, a une grosse tête, ne marche toujours pas à 4ans. À la mort de son père il est chassé avec sa mère , par la jalouse Sassouma qui décide de placer son fils Dankaran Touma à la tête du royaume , et ce contre les vœux de son défunt mari... S'en suivront des années de terreur et de désolation au Manding et dans les royaumes alentour notamment en raison de la montée en puissance de Soumaoro Kanté, roi sorcier du Sosso, dit invicible, que seul le fils du Lion, pourra terrasser quand il sera appelé par son destin.


Trois personnes rappellent l'importance des griots traditionnalistes à travers ce roman.

Djibril Tamsir Niane, l'auteur/traducteur, le souligne dès les premières lignes en levant une équivoque sur ces derniers. En effet, Si le mot "griot" a aujourd'hui une connotation péjorative,  il en était autrement dans l'Afrique antique où ils étaient le pilier de la société ; à la fois conseiller des rois, précepteurs des princes ; dépositaire de l'histoire, des coutumes et des traditions; "chaque famille princière avait son griot préposé à la conservation de la tradition"...
Il se révèle être ici, un véritable pont entre tradition et modernité en retranscrivant cette histoire avec le moyen de vulgarisation le plus reconnu, répandu et accessible : l'écriture. Toutefois, il reste peut-être plus rustique qu'on le pense car il précise nous livrer, uniquement ce qui est "livrable" car certains secrets d'histoire doivent rester inaccessibles pour les non-initiés à l'art de la parole ...

Mamadou Kouyaté, le griot préposé à la mémoire des Keita qui nous raconte Soundjata. Il prête serment avant de commencer son long récit , assure que " sa parole est pure et dépouillée de tout mensonge" et ce d'autant plus qu'il la tient de son père qui lui-même la tien du sien, ect. Son langage est riche, musical , poétique, plein de métaphores, de paraboles et de proverbes.
Le fait de préciser que sa famille est "spécialiste des Keita" semble lui donner la légitimité nécessaire pour raconter cette histoire, pour faire de lui une référence pour la "mémoire des hommes" car ce sont les griots qui enseignent l'histoire des rois aux nouvelles générations. Enfin, sa prestation de serment témoigne de l'importance de son rôle, de ce qu'il va livrer , car il s'agit de secrets d'histoire. En effet, la caste des griots dispose d'un code de déontologie rigoureux dont quelques facettes nous sont livrées dans ce roman...

Balla Fasséké, le griot, légué à Soundjata par son père , aura un rôle primordial dans l'histoire et la victoire de ce dernier Face à Soumahoro Kanté. Il n'est pas seulement celui qui "fera regretter aux fils du Manding de n'avoir pas vécu au temps de Soundjata Keita" à travers sa parole, ses poèmes; mais il sera également celui qui harangue la foule des combattants , celui qui rappelle à Soundjata, avant chaque bataille, sa noble ascendance. Enfin il sera, celui dont la descendance perpétuera la mémoire de Soundjata Keita et de ses exploits.


Mis à part le rôle important des griots, nous retiendrons également que Soundjata Keita était un grand homme, digne du destin prédit par les devins. Après sa grandiose victoire, il est déclaré empereur ou Mansa suprême par l'ensemble des tribus présentes à la grande assemblée d'après-guerre. Alors, il  "prononça tous les interdits qui président encore aux relations entre tribus, à chacun il assigna sa terre ,établit les droits de chaque peuple et il scella l'amitié entre les peuples". Il donne par exemple aux Kouyaté "le droit de faire des plaisanteries sur toutes les tribus, en particulier sur la tribu royale des Keita"...

C'est la naissance de l'Empire du Mali, grand empire africain du moyen-âge où l'on parle la "langue claire" ( Malinké), qui a pour capitale Niani. C'est également la naissance de la célèbre charte du Mandén, proclamé à Kouroukan-fougan; le jour de cette célèbre assemblée d'après-guerre. Elle est inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

25 juin 2012

Mémoires de Porc-épic - Alain Mabanckou


Le conte philosophique Mémoires de Porc-épic, nous emporte dans le monde macabre du "double nuisible" d'un jeune africain. Selon une légende africaine, chaque Homme est doté d'un double animal, pour la plupart, d'un "double pacifique". Kibandi , initié malgré lui par son père, a hérité d'un Porc-épic, un "double nuisible" qui va changer le cours de son existence.

Au pied du baobab sous lequel il s'est réfugié, ce Porc-épic de quarante-deux ans , pas comme les autres, va nous raconter l'histoire de son maître, leur histoire . Au delà du fait que ce soit un animal qui parle, le lecteur est surpris , voire mal à l'aise face au regard sévère qu'il porte sur les Hommes.  On réalise rapidement que cet animal nous connaît bien . Après tout, il a vécu avec l'un des nôtres pendant très longtemps.

Les êtres humains n'ont pas la cote auprès des bêtes sauvages , c'est donc plein d'appréhension  qu'il répond à l'appel de son destin qui est celui de servir les hommes. Au départ, la "cohabitation" se passe sans trop de difficultés. Il se surprend  même à penser que les êtres humains ne sont pas si terrible qu'on le dit, qu'il est  peut-être  même un peu mieux parmi ces derniers, qui suscitent sa curiosité, que parmi son clan de Porc-épic avec leur chef méprisant et moralisateur.
C'est, à l'aide de ses "redoutables piquants", qu'il exécutera les désirs macabres de son maître sans trop se poser de questions jusqu'au jour où une folie meurtrière s'empare de ce dernier. Kibandi lui fait alors découvrir les travers de l'Homme : la convoitise, la jalousie, le mensonge, le désir de vengeance, la cruauté... Désormais c'est avec un pincement au cœur qu'il exécute ces meurtres "illégitimes". Il sait que son maître va trop loin, qu'il les pousse à leur perte car leurs destins sont intimement liés, mais que peut-il y faire ? Il se doit de lui obéir. Il est avant tout l'esclave de Kibandi même s'il est aussi, paradoxalement, son arme. Une arme dont Kibandi ne soupçonnera pas les limites...






Mémoires de Porc-épic est écrit d'une seule traite, avec des virgules comme unique point de ponctuation,  ce qui donne au récit une cadence rythmé et rapide. Ce style , peu conventionnel, déstabilisant au départ fini par donner tout son sens au récit. On ressent la confusion, l'inquiétude, l'incompréhension et l'envie du Porc-épic de témoigner au plus vite  pour expier ses péchés afin  de pouvoir passer à autre chose. 
Bien qu'étant surprenante, car nous sommes plongés au coeur de l'Afrique et de son mysticisme ; c'est une histoire agréable , envoutante;  où les travers de l'homme sont dénoncés à travers un animal a qui on donne la parole . Durant le récit , la prise de conscience et la culpabilité du Porc-épic s'oppose à l'indifférence et à la cruauté de Kibandi. Les rôles semblent alors inversés car l'animal est doté de sentiments "humains" tandis que Kibandi, lui, se transforme en véritable bête.

Quelques mots sur l'auteur : Alain Mabanckou a remporté le prix Renaudot en 2006 pour ce roman. Il est aujourd'hui professeur de littérature francophone à UCLA où il dispense ses cours en français ! 

15 juin 2012

Mémoires I et II - Amadou Hampâté Bâ


Bien plus qu'une simple autobiographie, Les mémoires d'Amadou Hampâté Bâ  regorgent de richesses  historiques, culturelles, humaines et spirituelles.  Se comportant en véritable héritier de la tradition orale, l'auteur transcende son moi intérieur, certes riche mais unique, pour relater avec justesse et précision la multitude d'évènements dont il a été témoin. Au côté de son enfance pleine d'insouciance , rythmée par les jeux et l'apprentissage des traditions peuls, il y a les réalités frappantes d'une Afrique en pleine mutation, désarticulée par l'établissement de l'administration coloniale. Celle-ci vient s'installer dans ce décor intact transformant radicalement les coutumes.
Ses mémoires se déclinent en deux tomes : Amkoullel l'enfant peul et Oui mon commandant.

Amkoullel, l'enfant peul
Dans le premier tome, nous plongeons dans l'enfance de l'auteur dans un Mali qui semble encore "authentique" , où les habitudes millénaires, le respect des coutumes et traditions semble encore de mise. Nous en apprenons également sur son ascendance royale tant du côté de son père , que de son "deuxième père" second mari de sa mère "Kadidja". Cette dernière, noble de par son caractère vertueux, peu encline au découragement et aux lamentations malgré une vie semé d'embuches ne laissera pas le lecteur indifférent.  Toutefois son entrée dans l'école coranique puis celle à l'"école des blancs" nous rappellent que l'Afrique connait alors des changements irréversibles qui la transformeront ,elle et ses futurs générations, pour toujours. L'auteur "Amkoullel" tout en étant attaché à ses traditions semblent alors ,malgré lui , devenir à la fois un témoin et un fruit de ses changements... Nous le suivrons alors dans les nombreux déplacements et évènements qu'il connaitra tout au long de ses 20 premières années.

Oui mon commandant!
Ici, Amadou Hampâté Bâ nous raconte sa vie d'adulte en tant que travailleur de l'administration coloniale. Comme pour marquer le passage de sa vie d'enfant à celle d'adulte, le destin ( ou plutôt le colon)l'éloigne de son Mali Natal. Sa vie sera  alors un  périple incessant. Ses nombreux déplacements l'emmèneront à la rencontre des "blancs blancs" "tout-puissants" et si imprévisible. Il rencontrera également de nouveaux peuples  et leurs traditions orales respectives , on assistera à son amour grandissant pour ces dernières qu'il commencera à retranscrire dans un cahier au fil de ses rencontres. Mais on sera également les témoins privilégiés de son périple intérieur, car désormais converti à l'Islam et en particulier à une branche du soufisme: la tidjanya; "Amkoullel" devient grâce aux conseils de son maître  Tierno Bokar, un homme plein de sagesse. Dès lors, son comportement exemplaire et la justesse  dont il fera preuve , dans ses jugements, en marqueront plus d'un qu'il soit "blanc blanc" , "noir noir" ou lecteur de son histoire au XXIè siècle.




J'ai adoré les deux tomes que  j'ai dévoré en quelques jours à peine et je dois même avouer que j'ai envié la vie d'Amadou Hampâté Bâ. Tout au long du récit, il décrit les personnage avec beaucoup de tendresse, les évènements avec de la justesse et du recul, les lieux avec clarté et précision, le tout avec beaucoup d'humour. On a du mal à s'arrêter, on est emporté par les nombreuses aventures et rencontres du petit garçon puis de l'homme et ce d'autant plus que le livre est très bien écrit.

Je considère ses Mémoires comme une véritable contribution à la connaissance de la culture et de l'histoire du continent car elles sont riches d'informations sur : les relations entre communautés ( notamment entre les peuls et les toucouleurs), l'histoire de l'empire peul du Macina, le parcours scolaire, associatif et initiatique des enfants de l'époque; la "solidarité africaine", la polygamie, l'organisation coloniale  et son impact sur les modes d'organisation préexistants , les tribus, la première guerre mondiale et ces nombreuses conséquences comme  la "rupture dans  la transmission des savoirs issus de la tradition orale " , véritable catastrophe pour le continent. Le voyage a également une grande place au sein de ses livre car ,  AHB aura, au cours de sa vie, parcouru une grande partie du continent ce qui lui donnera la chance d'aller à la rencontre de nombreux autres peuples dont il racontera les coutumes, les traditions et l'histoire pour notre plus grand bonheur.