16 sept. 2012

Les frasques d'Ebinto - Amadou Koné


Amadou Koné commence à écrire Les frasques d'Ebinto , alors qu'il n'est encore qu'au collège. Il l'achève  durant sa dernière année de lycée, à  l`âge de 18ans. Publié en 1979, ce roman a révélé au grand public le talent du jeune homme et annoncé son parcours  prometteur. Il est aujourd'hui professeur de littérature francophone et de culture africaine à l'Université de Georgetown.

Les frasques d'Ebinto c'est l'histoire d'un jeune intellectuel/rêveur, ambitieux/réaliste, issu d'un milieu modeste et promis à un grand avenir. C'est un garçon doté d'une grande sensibilité à force de lectures et de rêveries.

Durant tout son parcours scolaire, Ébinto s'illustre par son intelligence et sa passion pour le travail qu'il ne considère pas comme une corvée mais plutôt comme un passe-temps agréable. Il aime donc à réviser chez lui, lire de nombreux romans, philosopher sur la condition des africains et ce malgré son jeune âge.

Mais  comme tous les jeunes garçons, il est un jour rattrapé par la vie qui le sort de ses rêveries : il rencontre l'amour. Enfin il croit l'avoir rencontré et sa passion pour le travail est alors remplacée par celle pour cette fille qui va affecter son existence toute entière . Elle va le posséder, le hanter...
Ebinto le rêveur est alors confronté à une triste double réalité : celle de l'amour qui n'est pas réciproque, celle de la différence de milieu qui est un obstacle supplémentaire à cet amour à sens unique. Ce n'est alors que le début de ses malheurs....

En effet, à la suite d'un évènement inattendu, qui tombe comme une sentence pendant ses "grandes vacances", sa vie de jeune garçon en pleine adolescence va prématurément basculer vers celle d'un homme adulte. S'envolent alors ses rêves, ses ambitions, ses vœux les plus chers et commence une vie de désillusion qui va le faire basculer dans le MAL. Il choisira volontairement le "côté obscur .." et fera payer cette nouvelle vie à tout son entourage, à la femme qui l'aime...
Avec ce basculement , une série d'évènements tragiques se succèderont dans la vie d'Ebinto. L' adolescent rêveur et ambitieux, se transforme en "adulte" froid et amer...

Le roman prend alors une autre tournure. La première partie où l'on connait un Ebinto, plein de joie de vivre, qui a confiance en l'avenir laisse place à une partie sombre car l'on voit un Ebinto plein d'amertume se transformer, se révolter contre la vie ou plutôt contre la personne qu'il accuse de lui avoir volé sa jeunesse, ses rêves:  "La colère d'un jeune homme sérieux est calme et terrible. Elle n'est pas furieuse, elle est froidement cruelle ..." p78

Ce roman est écrit de manière remarquable. On y trouve de belles descriptions, notamment de la ville de Grand-Bassam où se déroule une grande partie de l'histoire. On y trouve également de nombreuses phrases proverbiales. De plus Amadou Koné semble maîtriser l'art du suspense et des retournements de situation. Il y a des livres que l'ont lit et qui nous semblent prévisibles mais celui-ci aura réussi, à me surprendre, à chaque chapitre, chaque paragraphe . Je l'ai tout simplement adoré et regretté de l'avoir terminé aussi vite car je me suis attachée à ce jeune Ébinto qui est ,à mon humble avis, devenu méchant malgré lui.

Mes deux personnages préférés sont  Ébinto et Monique.

Ébinto : le héros qui devient un anti/héros. 
C'est un adolescent plein de contradictions, qui se considèrent comme un "rêveur-conscient" car il a conscience de sa réalité difficile mais s'en évade à travers ses rêves, ses idéaux, dont celui de croire "qu'un jour tous les hommes seraient bons et que tout le monde serait bien" p36 ! Il a perdu son père très tôt et c'est sa mère qui s'occupe seule de ses frères et soeurs et finance difficilement ses études...
Ébinto est passionné d'"école" mais plus particulièrement de littérature. Sa plus grande richesse dans la maison au mobilier "pauvre et rustique" de sa mère est sa bibliothèque pleine de livres. Sa vie est rythmée par ses lectures, les nouvelles connaissances qu'il acquiert, les nouvelles évasions qu'elles permettent. Ainsi, il fait référence à de nombreuses œuvres littéraires dans ses conversations, dans son quotidien. Il fait,  par exemple ,référence à la fille qu'il aime comme à une "Sylphide". Lorsque la vie lui ôte ses rêves avec violence et qu'il choisit de lui répondre également par la violence, il se compare à Maldoror, l'homme bon qui "s'aperçut ensuite qu'il était né méchant".p78
Les livres sont ses amis car Ébinto est un solitaire qui n'est proche que de  Koula , Bazié et Monique. Il est d'autant plus seul que sa mère ne comprend pas son souhait de vouloir continuer ses études . Elle le poussera d'ailleurs à les arrêter quand sa vie basculera.
La lecture a une grande place dans ce roman et Ébinto semble être le miroir du Amadou Koné de l'époque qui du haut des ses 18ans avait déjà une grande culture littéraire. Tout comme l'auteur, Ébinto va également au collège dans la ville historique de Grand-Bassam.

Monique c'est la femme qui aime Ébinto.
Elle m'a marqué car la passion qu'elle éprouve pour Ébinto et la patience dont elle a fait preuve envers lui, quand il est devenu méchant, m'a semblé SURHUMAINE. J'irais même jusqu'à dire qu'elle est l' illustration possible de ce passage de la Bible : " L'amour est patient, il est plein de bonté. L'amour n'est pas envieux, il ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais au contraire l'amour se réjouit de la fidélité. Il excuse tout, il espère tout, il supporte tout. L'amour ne meurt jamais" (1 Corinthiens 13)
C'est la femme qui mènera Ébinto à cette belle conclusion "Que de peines nous éviterions si nous prenions chaque être pour ce qu'il est et non pour ce que nous aurions préféré qu'il fût"  ( p108, Éditions Hatier International)

C'est un roman bouleversant qui ne laissera pas le lecteur indifférent.

3 sept. 2012

Les prisonniers de la haine - Venance Konan


En Côte-d'Ivoire, Venance Konan, n'est plus un homme à présenter. Grand journaliste, lauréat à plusieurs reprises du prix Ebony, professeur à l'Université de Bouaké et plus récemment  lauréat du grand prix littéraire d'Afrique Noire 2012 pour son oeuvre "Edem Kodjo, un homme, un destin". Il est aujourd'hui directeur général du groupe Fraternité Matin qui produit entre autre le plus ancien quotidien ivoirien du même nom. Il s'est en 2003 mis à la fiction avec son premier roman : Les prisonniers de la haine qui sera suivi de Robert et les catapilas (2005), un recueil de nouvelles, Nègreries (2007) un recueil de chronique et plus récemment : Chroniques Afro-sarcastiques : 50 ans d'indépendance tu parles!(2011).

 Les prisonniers de la haine c'est d'abord  une histoire d'amour entre deux personnes que tout oppose . Il y a d'un côté Cassy, journaliste cultivé et de l'autre Olga, une jeune et jolie écervelée qui a pour unique ambition de percer dans le monde de la mode. À travers leur histoire d'amour tragique, l'auteur aborde des thèmes tels que la dépravation sexuelle, la drogue, les sectes... ou encore la guerre ; car Cassy quittera les rues de Treichville, ancien poumon culturel de la Côte-d'Ivoire en pleine déliquescence , pour Monrovia, dans un Libéria meurtri par la guerre. 

 Ce roman dénonce les maux les plus criards de la société ivoirienne Chacun des personnages, représente un ou plusieurs d'entre eux. La dépravation des mœurs sexuelles, le manque d'ambition intellectuelle , les mentalités arrivistes ( Olga, Vanessa);  l'impunité, la corruption, les bavures policières, l'irresponsabilité des journalistes ( Jo Chiwawa, Chico et Angelo); trafics d'influence, viols, prostitution (le libanais et le jeune Karim), l'endoctrinement dans des sectes, obscurantisme ( frère d'Olga), dérives des pratiques des sectes, manipulations( Dagobert Séri ou Dago 1er)...  

Cassy décide de quitter ce contexte malsain, où les hommes, uniquement motivés par l'argent sont prêt à recourir à des méthodes illégales : viols, mysticisme, détournement, perversion; pour Monrovia, afin de trouver des réponses. Le roman prend alors une autre "tournure" et se transforme en enquête sur les causes de la guerre au Libéria...

À Monrovia, grâce à ses rencontres, Cassy découvre l'héritage de la haine et du mépris que les africains ont les uns pour les autres : les guerres et ses nombreuses atrocités. Cette guerre au Libéria et l'"indifférence" des ivoiriens devant ce phénomène semble  être la cristallisation  du pourrissement des mœurs de la société ivoirienne et des sociétés africaines en générale. L'immobilisme des ivoiriens et leur indifférence face aux flots de réfugiés qui se déversaient dans le pays, la cruauté dont ils ont fait preuve en tentant d'exploiter la misère de ces derniers l'abasourdisse. Il réalise que malgré lui, il est lui même complice de ce qui se passe au Libéria et ceci est valable pour tous les ivoiriens et africains. 


C'est un message fort que Venance Konan tente de faire passer à travers ce roman où le pourrissement se généralise. Le mépris des peuples envers eux même , leur continent et leur semblable , la quête incessante de l'argent et du pouvoir engendre la haine qui a pour unique héritage la guerre. En témoigne le cas du Libéria qui explose, celui de la Côte-d,Ivoire qui pourrit et fini par exploser à son tour en 2011. La haine est contagieuse , "il faut évacuer la haine de soi et de son semblable" afin d'avancer.

Les prisonniers de le haine est un roman passionnant que j'ai particulièrement apprécié car en tant qu'ivoirienne et africaine, je fais dans mon environnement des constats semblable à ceux que l'auteur a voulu dénoncer. Je pense que l'exemple de la Côte-d'Ivoire et du Libéria qui se sont "contaminés" peuvent être élargi à l'Afrique toute entière ou des guerres fratricides affaiblissent et détruisent le continent, contribuant à la montée de la haine éprouvée les uns envers les autres.

C'est un roman très simple et bien écrit. Mais on sent , à mon humble avis, plus la plume du journaliste que de l'écrivain car Venance Konan va "droit au but". C'est un homme redouté pour son franc-parler et ses prises de position. Ce roman , à travers l'histoire de Cassy journaliste, très critique, semble être une tribune supplémentaire de l'auteur.

Je ne peux parler de ce roman, sans parler de mes personnages préférés Akissi et Barracuda qui sont d'ailleurs des personnages cruciaux car ils ont poussé Cassy à partir :

Akissi , "l'intellectuelle-villageoise" c'est la voisine de Cassy, surnommée "la villageoise" par Olga car contrairement à toutes les filles d'Abidjan qui ont des looks sophistiqués Akissi, elle, est "simple" et arbore fièrement ses cheveux naturels. Elle a été comme "toutes "les filles d'Abidjan avant. Elle faisait sans cesse la fête, sortait avec des hommes mariés, se défrisait les cheveux jusqu'au jour où  à la suite d'une rencontre troublante, elle décide de faire sa "révolution". Elle est importante dans la vie de Cassy car c'est l'épaule inattendue sur laquelle il pourra s'appuyer. Elle abordera avec lui des thèmes comme les complexes d'infériorité des africains qui les poussent à se mépriser et à mépriser également leur environnement, leurs continents au points de ne vouloir qu'une chose le quitter à force d'idéaliser l'extérieur. Selon elle, quand ils ne peuvent partir, l'amertume et le manque d'intérêt pour le continent est tel qu'ils le regardent se délabrer sans rien faire ou pire, en y contribuant. Elle invite Cassy et tous les africains à apporter leur pierre à l'édifice, à faire leur petite révolution, à leur échelle pour faire changer les choses. J'ai adoré ce personnage car j'ai trouvé que nous nous ressemblions!

Barracuda c'est un "loubard-poète". Un personnage étonnant car son "métier" semble difficilement compatible avec sa passion pour la poésie. Abandonné par sa famille, élevé par des religieuses, il s'enfuit à l'âge de vingt an avec quelques livres de poésies volés au Curé. C'est la rue qui l'a accueillit, lui qui se considère être un "juste" car il utilise ses muscles pour survivre , sans voler ni abuser de personne. N'ayant aucune attache à Abidjan il part "se chercher" au Libéria , mais rentre précipitamment à Abidjan de peur d'y être transformé en bête ou en surhomme , lui qui a pour unique prétention de vouloir tout simplement être un homme.

Un des passages qui m'a le plus  marqué est une fable alarmante racontée par le vieux général à Cassy:

"Il y a très longtemps, à l'époque où les animaux parlaient, le margouillat à tête rouge eut des histoires avec l'épervier. Ce dernier voulait absolument tuer le margouillat. Alors, le margouillat alla demander au mouton d'intervenir pour calmer l'épervier. Le mouton lui dit qu'il était occupé. Il alla voir le boeuf. Le boeuf lui dit que c'était une affaire qui ne le regardait pas. Il alla voir le lion. Le lion lui dit qu'il avait des affaires plus sérieuses à régler. Le margouillat, découragé, alla se cacher près d'un foyer de feu. De là-haut, l'épervier l'aperçut et fondit sur lui. Le margouillat se cacha sous une pierre. L'épervier confondit les braises avec la tête du margouillat. Il ramassa les braises et reprit son envol. Lorsqu'elles le brûlèrent, il les lâcha et les braises tombèrent dans la brousse. C'était la saisons sèche et toute la forêt prit feu, Le mouton, le boeuf, le lion, tous périrent"

p 165/166, NEI (Nouvelles Éditions Ivoiriennes)

Ce passage, annonciateur d'un mauvais présage semble s'être réalisé en Côte-d'Ivoire.





25 août 2012

Babyface - Koffi Kwahulé


Premier roman du dramaturge ivoirien Koffi kwahulé, Babybace , paru en 2006, a été lauréat cette même année du prix Ahmadou Kourouma et du grand prix ivoirien des lettres. Après ses nombreux succès théâtraux, l'entrée de l'auteur dans le roman semble donc réussie.



Babyface, c'est une histoire d'amour tragique, qui dévore, déroute et qui fait tomber  dans la folie. Elle se déroule dans la  république d'Éburnéa ,qui a elle-même sombrée, dans la folie meurtrière de la guerre. C'est l'histoire de la jeune Mozati, violée par son instituteur, installée avec le vieux Jérôme-Alexandre Dutaillis de La Péronnière par nécessité et qui rencontre finalement l'Amour : Babyface. Mais Babyface n'est pas celui qu'elle croit, malgré les mises en garde, les incohérences,  leur amour grandit  et elle décide de lui consacrer tout son temps, son corps , son coeur et son argent. Les détails de cet amour fou nous sont rapportés tout au long du roman par le journal intime de Jérôme, son ex/compagnon et par les proches de Mozati. Les voix  et les impressions se superposent , les scènes d'amour et de guerre également.  Car la république d'Éburnéa est en pleine crise à cause du concept d'éburnité qui a divisé le pays. Le bruit court que le président est invincible et immortel car il est l'amant d'une divinité aquatique (Mami Wata) qui le protège et permet "que tout lui réussisse et que tous les sortilèges soient vain contre lui". Il manipule le peuple comme Babyface manipule Mozati et avant elle, toutes les femmes qui l'ont aimé.   
                                           
L'auteur dénonce les manipulations politiques, les problèmes identitaires , les guerres et conflits intraétatiques en Afrique. Mozati est comme la République d'Éburnéa qui manipulée, sombre dans un cauchemar, dans la folie.

Babyface est un roman déroutant et complexe. Il est très difficile au départ de savoir qui parle, de qui et de quoi. Mais on finit par comprendre que ce sont différents personnages qui prennent la parole, se superposent, apportent des informations supplémentaires, racontent des évènements de leur propre vie. À côté de ceux qui parlent, il y a Jérôme, un personnage particulier qui lui, écrit, dans son "Fragments du Journal imaginé (notes et visions). Il y a donc de nombreux passages de l'oral à l'écrit, de la fiction à la réalité, des dialogues et répliques comme lorsque l'on écrit une pièce de théâtre, activité familière à notre auteur , qui est un dramaturge prolifique. Poésies, lettres, métaphores, répétition rythment le récit, lui donnant une allure très musicale. 

25 juil. 2012

Verre Cassé - Alain Mabanckou


Verre cassé, c'est l'histoire d'un anti-héro à qui l'on donne la parole et à travers lui  à tous les "éclopés" du Crédit a voyagé; ce bar congolais qui comme son nom l'indique ne fait aucun crédit et qui , à sa création, a suscité une polémique cocasse jusqu'au  sommet de l'État.

L'Escargot Entêté, patron du bar, offre un jour à Verre Cassé un cahier en lui confiant pour mission d'immortaliser les prouesses du bar et de ses clients.

Verre cassé accepte l'idée avec réticence au départ puis commence , à griffonner machinalement dans son cahier. Il nous raconte alors la création du bar avec son lot de problèmes. On apprend qu'a sa création , les fidèles de l'Eglise diminuaient progressivement au fil des dimanches. "Les gens d'Église" ont donc mener une "guerre sainte" contre le Crédit à voyager et surtout contre son patron : l'Escargot entêté. Grâce aux interviews donnés par le barman, devenu un véritable martyr, et aux soutiens des soulards toujours "solidaires jusqu`à la dernière goutte", l'"affaire le Crédit a voyagé" est arrivé jusqu'au conseil des ministres et a divisé la population. C'est alors que le ministre de l'agriculture, ami d'enfance de l'Escargot Entêté, prononcera son célèbre discours "J'accuse" pour apporter publiquement son soutien à son ami. Ce discours , marquera les esprits du pays et  suscitera la jalousie du président qui, essayera à son tour, de trouver, par tous les moyens, une formule qui restera dans la postérité et la mémoire de ces concitoyens !!

Verre cassé s'attarde ensuite sur les clients les plus assidus du bar.  Il y a le type aux Pampers , trahie par sa femme et  arrêté par une "policière de nationalité féminine", l'imprimeur "qui a fait la France" et qui a été ruiné par une femme blanche , "robinette", un véritable réservoir , "Zéro Faute" le sorcier sans pouvoir , Mouyeke , le féticheur qui réclame 1 million de CFA a chacune de ses consultations et qui n'aime pas la Bible car les Noirs y apparaissent toujours " entre deux versets sataniques" , Casimir "qui mène la grande vie" et bien d'autres encore... 

Étant lui-même un client assidu, Verre Cassé  ne déroge pas à la règle et se raconte également. On est plongé dans un soliloque ponctué de retour à la réalité , notamment pour manger un "poulet bicyclette" préparé avec amour par maman Mfoa. Il nous parle de "diabolique" ou plutôt angélique son ex-femme qui l'a quitté, mais ça, il s'en moque car les bouteilles de vin rouge lui donnent tout l'amour dont il a besoin ...






Histoire débordante d'humour, écrite d'une seule traite et contenant de nombreuses références littéraires, historiques et dénonciations subtiles, qui rendent le récit riche , surprenant et plus drôle encore... Une histoire pleine de fraîcheur, d'ironie et de dureté.
Cette fois, c'est à travers la plume d'un ivrogne novice en la matière qu'Alain Mabanckou nous fait passer des messages tout en finesse; chacun des personnages nous fait cogiter, rire et pleurer. 
On retrouve ici encore sa particularité : écrire sans ponctuation véritable, uniquement avec des virgules, ce  qui donne une cadence vive et rapide au récit, on "ressent" les "vipères au poing" monter en Verre Cassé lorsque le ton monte ou son amour profond pour le vin rouge , ce "long fleuve tranquille". 
En résumé, je donnerais une simple expression pour décrire ce livre : " à mourir de rire"! 

Quelques mots sur l'auteur : C'est le livre qui l'a véritablement révelé au grand public...

Conseil :  Ne surtout pas le lire dans un lieu public, au risque de passer pour un(e) folle (fou), comme moi, à force de rigoler.

16 juil. 2012

Soundjata ou l'épopée mandingue - Djibril Tamsir Niane


Soundjata Keita est, selon les griots traditionnalistes du Manding, le dernier conquérant, celui qui a , par ses exploits, surpassé Alexandre Le Grand.
Fils du roi du Manding Maghan Kon Fatta, l'homme-lion et de Sogolon Kedjou, la bossue, la femme-buffle, on prédit à Soundjata Keita un destin hors du commun. 

Il nous est raconté ici par le griot Mamadou Kouyaté puis traduit et retranscrit par l'historien Djibril Tamsir Niane, auteur de ce roman.

Soundjata est né ,au XIII siècle, d'une union improbable entre le roi du royaume Manding et la femme la plus laide du village de Do. Les devins annonçaient sa naissance comme celle du véritable successeur du Manding, même si Maghan a déjà un fils né de sa première union avec la jalouse Sassouma Bérété. Il nait "sous le tonnerre et un ciel illuminé par des éclairs", sous le son des tams-tams qui  annoncent la nouvelle à tout le Manding  en liesse. Mais très vite, le royaume n'est plus à la fête, Soundjata et sa mère sont sujets à de nombreuses railleries car il est moche, a une grosse tête, ne marche toujours pas à 4ans. À la mort de son père il est chassé avec sa mère , par la jalouse Sassouma qui décide de placer son fils Dankaran Touma à la tête du royaume , et ce contre les vœux de son défunt mari... S'en suivront des années de terreur et de désolation au Manding et dans les royaumes alentour notamment en raison de la montée en puissance de Soumaoro Kanté, roi sorcier du Sosso, dit invicible, que seul le fils du Lion, pourra terrasser quand il sera appelé par son destin.


Trois personnes rappellent l'importance des griots traditionnalistes à travers ce roman.

Djibril Tamsir Niane, l'auteur/traducteur, le souligne dès les premières lignes en levant une équivoque sur ces derniers. En effet, Si le mot "griot" a aujourd'hui une connotation péjorative,  il en était autrement dans l'Afrique antique où ils étaient le pilier de la société ; à la fois conseiller des rois, précepteurs des princes ; dépositaire de l'histoire, des coutumes et des traditions; "chaque famille princière avait son griot préposé à la conservation de la tradition"...
Il se révèle être ici, un véritable pont entre tradition et modernité en retranscrivant cette histoire avec le moyen de vulgarisation le plus reconnu, répandu et accessible : l'écriture. Toutefois, il reste peut-être plus rustique qu'on le pense car il précise nous livrer, uniquement ce qui est "livrable" car certains secrets d'histoire doivent rester inaccessibles pour les non-initiés à l'art de la parole ...

Mamadou Kouyaté, le griot préposé à la mémoire des Keita qui nous raconte Soundjata. Il prête serment avant de commencer son long récit , assure que " sa parole est pure et dépouillée de tout mensonge" et ce d'autant plus qu'il la tient de son père qui lui-même la tien du sien, ect. Son langage est riche, musical , poétique, plein de métaphores, de paraboles et de proverbes.
Le fait de préciser que sa famille est "spécialiste des Keita" semble lui donner la légitimité nécessaire pour raconter cette histoire, pour faire de lui une référence pour la "mémoire des hommes" car ce sont les griots qui enseignent l'histoire des rois aux nouvelles générations. Enfin, sa prestation de serment témoigne de l'importance de son rôle, de ce qu'il va livrer , car il s'agit de secrets d'histoire. En effet, la caste des griots dispose d'un code de déontologie rigoureux dont quelques facettes nous sont livrées dans ce roman...

Balla Fasséké, le griot, légué à Soundjata par son père , aura un rôle primordial dans l'histoire et la victoire de ce dernier Face à Soumahoro Kanté. Il n'est pas seulement celui qui "fera regretter aux fils du Manding de n'avoir pas vécu au temps de Soundjata Keita" à travers sa parole, ses poèmes; mais il sera également celui qui harangue la foule des combattants , celui qui rappelle à Soundjata, avant chaque bataille, sa noble ascendance. Enfin il sera, celui dont la descendance perpétuera la mémoire de Soundjata Keita et de ses exploits.


Mis à part le rôle important des griots, nous retiendrons également que Soundjata Keita était un grand homme, digne du destin prédit par les devins. Après sa grandiose victoire, il est déclaré empereur ou Mansa suprême par l'ensemble des tribus présentes à la grande assemblée d'après-guerre. Alors, il  "prononça tous les interdits qui président encore aux relations entre tribus, à chacun il assigna sa terre ,établit les droits de chaque peuple et il scella l'amitié entre les peuples". Il donne par exemple aux Kouyaté "le droit de faire des plaisanteries sur toutes les tribus, en particulier sur la tribu royale des Keita"...

C'est la naissance de l'Empire du Mali, grand empire africain du moyen-âge où l'on parle la "langue claire" ( Malinké), qui a pour capitale Niani. C'est également la naissance de la célèbre charte du Mandén, proclamé à Kouroukan-fougan; le jour de cette célèbre assemblée d'après-guerre. Elle est inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.